Administration mise en coupe réglée dans un pays sans autres ressources
PORT-AU-PRINCE, 10 Juin – A chaque administration, les mêmes difficultés. Parce qu'il n'y a pas d'administration mais que des nouveaux promus. Et tous les 5 ans, il faut recommencer à zéro.
On sait depuis longtemps que le principal problème de l'Etat haïtien et pourquoi il lui est impossible serait-ce aujourd'hui de débarrasser les rues des immondices, c'est l'absence de gestion publique.
Or au lieu de corriger la situation on n'a fait que l'aggraver et encore plus quand c'est le même parti politique qui occupe tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire, ce dernier via le CSPJ – Conseil supérieur du pouvoir judiciaire), nous voulons dire bien entendu le PHTK (Parti Haïtien Tèt Kale de l'ex-président Michel Martelly), dès lors non seulement tous les postes de direction sont raflés comme de plein droit par ces derniers, mais vu que chaque élu (sénateurs et députés : 30 sénateurs plus 99 députés) considère avoir les mêmes droits, chacun doit avoir sa part du gâteau et donc un siège ou plus dans le nouveau gouvernement.
Commençant par le choix du premier ministre ou chef du gouvernement qui n'est pas fait selon des critères techniques ou d'expérience (y compris le dernier en date, l'actuel premier ministre choisi par le président élu Jovenel Moïse, Dr. Jack Guy Lafontant, un médecin de profession).
Idem le choix des ministres du gouvernement qui ne répond qu'à un seul critère : le partage des macarons ministériels entre les plus influents élus du parlement et/ou les secteurs qui ont facilité la victoire aux dernières élections (politiciens influents, barons du monde des affaires, communauté internationale, oui celle-ci intervient aussi dans des domaines ayant rapport avec ses intérêts - économiques ou stratégique - dans le pays etc).
Mais, hélas, cela ne s'arrête pas là.
Bien sûr c'est dans tous les pays, comme on le voit avec Donald Trump à Washington ou Emmanuel Macron en France, que les nouveaux élus forment leur propre équipe ministérielle.
Un travail d'équipe ...
Mais un ministre ne tombe pas du ciel totalement. Il doit être en harmonie avec une machinerie administrative préétablie, et avec une équipe apte à faire fonctionner cette dernière quotidiennement. Durablement ?
Or les ministères ne dépassant pas une vingtaine et les secrétaireries d'Etat étant à peine une poignée, on est forcé pour satisfaire toute la bande de faire aussi main basse sur les autres postes de direction de l'administration : directions générales, administration, organismes autonomes ou déconcentrés etc.
Le dommage est double. Et même triple. D'un côté, on décapite les ministères et autres institutions de gestionnaires ayant fait leur preuve (secundo, automatiquement leurs pareils à l'avenir se garderont de se montrer trop consciencieux) ; pour finir, l'administration est abandonnée à elle-même, totalement démantibulée, chaotique et à chaque fois, tous les 5 ans, encore plus qu'avant.
Haïti n'existe pas ! ...
Bien entendu le seul perdant dans cette hécatombe perpétuelle c'est le contribuable qui ne reçoit plus aucun service. Seulement celui le pressant de payer ses taxes (impôt sur le revenu, assurance auto, sans oublier l'augmentation de la note pour le carburant à la pompe etc).
Non, Haïti n'existe pas ! Au sens où il n'y a pas un Etat qui fonctionne. L'Etat est inexorablement une coquille vide ...
Et cela depuis que des constitutionnalistes ont eu l'idée, pour faire plus démocratique, de confier au parlement la ratification du chef du gouvernement et de son équipe. Voire le droit de renvoyer ces derniers comme bon leur semble par le procédé de vote de confiance (ou de défiance).
On a confondu l'idéal et le réel.
C'est la preuve que les auteurs de cette Constitution eux-mêmes n'avaient pas une idée suffisamment claire de l'administration d'un Etat.
Petits intérêts individuels et sans envergure ...
Vous me direz (et cela sonne logique) qu'on ne peut pas accuser la Constitution de tous les péchés de politiciens soucieux uniquement de leurs petits intérêts minables ?
Parfait !
Mais dans ce cas qu'attend-on pour y apporter les correctifs nécessaires, les garde fous devant empêcher qu'un président élu, soit par complicité, soit par lâcheté (le fameux 'qui t'as fait roi ?') accepte de liquider aussi les privilèges que lui confère la même Constitution de nommer lui-même les Directeurs généraux et les Administrateurs, non pour satisfaire ses admirateurs ou ses bienfaiteurs, mais pour assurer la permanence de la machine administrative. En un mot, de l'Etat.
Et quel jugement, quel verdict, quelle punition prévoit la Constitution pour un chef de l'Etat qui s'amuserait ainsi à détruire l'Etat au nom de petits intérêts individuels et sans envergure ?
Pénélope-gate à l'haïtienne ...
Enfin il y a encore, pour satisfaire la bande de nos élus sans foi ni loi mais tous aussi assoiffés, l'invention de ce qu'on appelle 'cabinet privé' des premier ministre et ministres.
On a vu le nouveau président français, Emmanuel Macron, prendre parmi ses premières mesures, celle de diminuer le nombre de membres du cabinet privé d'un ministre.
En effet, plusieurs scandales à ce sujet ont émaillé la dernière campagne présidentielle en France.
Dont le plus retentissant est le Pénélope-gate, ou accusation contre le candidat de la droite (Les républicains), François Fillon, d'avoir quand il était premier ministre, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, fait son épouse et deux de ses enfants bénéficier d'emplois de ce genre mais en réalité inexistants, 'fictifs'.
Alors que chez nous on en est à inventer à tours de bras des emplois plus fictifs que ça tu meurs !, pour satisfaire les appétits de la nouvelle meute au pouvoir.
Revenons donc au fameux 'cabinet privé' d'un ministre, dont le rôle est principalement de conseiller le ministre parce que ce dernier n'a pas seulement pour fonction d'assurer le bon fonctionnement de son ministère mais aussi d'introduire lentement mais sûrement des innovations défendues par la nouvelle administration !
Mais voici qu'aujourd'hui le 'cabinet privé', simple adjoint au bureau du ministre mais sans reconnaissance constitutionnelle, se retrouve envahi lui aussi par les appétits gloutons des nouveaux hommes au pouvoir, au point de devenir en lui-même un pouvoir, en cherchant à supplanter les vrais responsables de la gestion ministérielle (les directeurs généraux, administrateurs, comptables publics etc).
Et cela continue.
'Côte des Arcadins' ...
Conclusion : après la mise en coupe réglée de tous les postes administratifs - comme on l'a vu sous Papa Doc (car le système actuel de parti unique sans le nom, n'est pas moins un monopole sur toute l'administration publique que sous la dictature Duvalier), tout normalement c'est le pays lui-même, ses 28.773 kilomètres carrés, ses plaines et ses montagnes, mais d'abord ses plages publiques et ses 'côtes des Arcadins', ainsi que ses kilomètres de frontières ouvertes à la contrebande, bref c'est la nation elle-même, dans toutes ses dimensions, à tous les niveaux, qui est condamnée à satisfaire une classe politique d'autant plus assoiffée et nombreuse que c'est la seule occupation, dans les circonstances actuelles, qui paie son homme !
Haïti en Marche, 10 Juin 2017