A quoi sert la société civile?

MIAMI, 11 Août – Ce fut d’abord un idéal: la société civile ne doit pas se mêler directement de politique. 

Héritage du monde occidental, cependant chez nous la société civile n’a pas suffisamment évolué, à l’heure où en Europe comme aussi en Amérique latine c’est elle qui est à la pointe du combat pour des causes comme le droit à l’avortement ou au mariage pour tous (légalisation de l’union homosexuelle) et aux Etats-Unis pour conscientiser les femmes à briguer des postes électoraux, lutter contre la prolifération des armes à feu et contre toutes formes de discriminations, faire barrage aux politiques conservatrices et même sexistes de l’administration Trump.
Par contre en Haïti, nous avons une société civile qui semble n’avoir pas bougé depuis sa naissance au lendemain de la chute de la dictature Duvalier (1986).

D’abord il faudrait commencer par définir qu’est-ce qui est société civile en Haïti?

Sont-ce les organisations de défense des droits de l’homme ? De plus en plus nombreuses. Si nombreuses que cela en devient suspect! Malgré tout d’une utilité sans égale.

Ou les organisations féministes? Par contre celles-ci de moins en moins présentes. Leur grande victoire a été le quota de 30% de femmes obligatoire dans les institutions gouvernementales. Or c’est comme si l’entrée dans le gouvernement signifiait la fin de leur combat. Comme si depuis la création du Ministère à la condition féminine et aux droits des femmes, tous ces droits-là étaient comblés.

Les droits de la femme politique, peut-être mais il est évident que ce ne sont pas ceux de la femme haïtienne. Ni de la ville, encore moins de la campagne.
Ou encore la société civile dite organisée? Ce qui est une contradiction dans les termes. Car le synonyme de organisé c’est officiel. Conclusion : on reviendrait au même point. Une société civile officielle parmi les officiels. Ce n’est plus une position critique comme se voulait notre société civile.
Est-ce que la presse ne devrait pas faire également partie de la société civile? Disons la presse indépendante. C’est à se demander.
En conclusion, le fait même de devoir se poser tant de questions révèle toutes les difficultés pour avoir une société civile plus effective, plus performante, plus commune à toute notre société, à toute notre communauté de plus de 11 millions d’Haïtiens.
Seule condition pour que la société civile joue le rôle qui devrait être actuellement le sien dans un pays en panne non seulement d’un pouvoir crédible, mais en panne de leadership national.

Il est évident pour tous, nationaux comme internationaux, que le pouvoir politique en Haïti ne fonctionne pas comme cela devrait (niveau de compétence trop restreint mais surtout une corruption généralisée à tous les niveaux, impliquant aussi de larges pans du secteur privé) … Mais surtout, et qui plus est, le pays est en panne d’une alternative véritable pour obvier aux déficiences de l’heure.


En un mot, nous sommes aussi bien en panne d’un pouvoir compétent et crédible que d’une opposition à la hauteur.

Quelle solution?

Ce ne peut-être le laissez aller, le ‘bon Dieu bon’.

Encore moins … Papa Washington!

Par contre, la société civile (ou ce qui en porte le nom) reste à tourner autour du pot. Pour ne pas trahir sa condition première, et soi-disant fondamentale de ne pas se mêler directement de politique (même quand ce serait pure hypocrisie ou une des conditions pour recevoir la manne internationale ?).

Et quand le système démocratique, ou ce qu’il en reste, aurait disparu complètement, quel sera le sort de la société civile?

A moins que, comme disent les mauvaises langues, ce soit une société civile ‘business as usual’ ?

Nous ne pensons pas. Mais le moment semble venu de faire un choix. Comme pour tout le monde.

Haïti en Marche, 11 Août 2018