PORT-AU-PRINCE, 29 Juin – Le fait que malgré plusieurs mois de lutte avec une importante participation populaire, le pouvoir en place n’ait pas cédé fait parfois dire que le pays n’a pas de leader politique à la hauteur …
Nous dirions plutôt que le pays n’a pas aujourd’hui une pensée politique.
La lutte politique s’articule autour d’une pensée politique c’est-à-dire un certain nombre d’idées majeures véhiculées parfois de génération en génération comme dans les années 1940 et 50 le mouvement indigéniste ou expression d’une fierté raciale née de l’occupation du pays par les Etats-Unis (1915-1934) …
Au lendemain du renversement de la dictature Duvalier (7 février 1986) c’est l’idée de démocratie liée à celle de la lutte populaire (appuyée surtout par le mouvement ‘ti legliz’) qui aboutira aux élections du 29 novembre 1987 écrasées dans le sang par l’armée (‘massacre de la Ruelle Vaillant’) puis 3 années plus tard le peuple remet ça, affrontant les mains nues le retour des tontons macoutes avec à leur tête l’ancien homme fort de la dictature Duvalier, le Dr Roger Lafontant, pour élire le 16 décembre 1990 le père Jean-Bertrand Aristide lors de la plus forte participation électorale de notre Histoire.
Ce ne sont pas simplement des millions d’Haïtiens qui ont fait cet événement de portée internationale c’est la pensée qui les animait.
Aujourd’hui le pays entier est debout contre le pouvoir en place (mobilisation ‘pays lock-ed’) pendant pas moins de deux semaines, en février 2019 …
Mais rien.
Ce ne sont cependant pas des leaders qui manquent. Il y en a même trop !
Non ce qui manque c’est ce qu’un général De Gaule appelait une certaine idée (dans son cas ‘de la France’).
Pendant un demi-siècle (1950-1990) le monde était divisé au nom de deux idées (idéologies) opposées l’une à l’autre : le capitalisme et le communisme.
On a connu aussi le siècle des nationalismes qui a été à la base de deux guerres mondiales …
En Europe opposant l’Allemagne et ses voisins.
En Asie à cause du militarisme japonais.
Etc.
Le continent américain reste marqué dans son esprit par le colonialisme nord-américain, la ‘doctrine de Monroe’ ou l’Amérique aux Américains !
Il n’y a pas de véritable mouvement politique sans une cause pour le porter en avant, indispensable non seulement pour en assurer la victoire mais surtout pour l’inscrire dans le temps.
Pour en assurer le lendemain.
Comme ceux qui disent aujourd’hui avec raison, haïtiens mais aussi observateurs étrangers : renverser le pouvoir en place, mais pour le remplacer par quoi, et surtout quoi de meilleur ?
Quelle idée sous-tend la lutte qui fait rage dans notre pays depuis déjà plusieurs mois sans être arrivé à renverser un chef de l’Etat qui de toute évidence ne pèse pas lourd, et un pouvoir en place qui est prêt quotidiennement à prendre la fuite ?
Quelle idée ?
Bien sûr le scandale Petrocaribe ?
Cependant est-on certain que le peuple comprend vraiment ce que c’est ?
A-t-on pris le temps de bien le lui expliquer ?
A-t-on laissé à Petrocaribe le temps d’être compris, dans toutes ses nuances, comme une chance unique d’éduquer notre pays sur l’importance de la lutte contre la corruption mais aussi sur la vraie justice qu’il ne faut pas confondre avec la simple vengeance politique … avant de s’en emparer uniquement pour gonfler les rangs de nos ‘mobilisations manche longue’ ?
Parce que la pensée politique ne se fait pas seulement sur le béton, sur les barricades enflammées …
Mais aussi mais d’abord par un travail de sensibilisation, d’éducation, et qui doit prendre le temps nécessaire.
Comme sous la dictature Duvalier elle se faisait par le théâtre, la poésie, la peinture …
Avant même les sermons des prédicateurs des ‘ti-legliz’.
C’était la pièce Pèlen Tèt de Frankétienne, Debafre d’un certain Evans Paul-K Plim, Ma p pale Nèt de Fayolle Jean ; les chansons de Manno Charlemagne ; la poésie de Philoctète, Phelps et autres ; les numéros de l’hebdomadaire Le Petit Samedi Soir , mais aussi le mouvement des Conseils communautaires dans un début de conscientisation de la paysannerie …
Le 7 Février 1986 n’est pas né par hasard mais est le produit d’une longue maturation, d’un long cheminement ; depuis les cours d’alphabétisation dispensés gratuitement au fond des corridors par des étudiants qui ne pouvaient pas être des casseurs à l’époque parce que forcés de vivre dans une quasi-clandestinité … jusqu’aux micros de quelques rares stations de radio.
Aujourd’hui la faiblesse vient aussi que l’on croit tout inventer, que rien ne s’est jamais passé avant MOI. Avant l’invention de What’s app …
Et que les idées, les causes, eh bien tout cela c’est du blabla.
On ne croit plus que dans les ‘caoutchoucs’ et la gazoline pour enflammer les barricades, même les masses qui sont remplacées par les taxi-motos …
Et les militants purs et durs par des gamins de 10 ans !
Haïti en Marche, 29 Juin 2019