PORT-AU-PRINCE, 13 Juin – La presse entre deux feux. D’un côté des escadrons de la mort supposés proches du pouvoir, de l’autre des manifestants hostiles aux organes de presse qui n’entonnent pas le même évangile.
C’est ainsi que le même jour (lundi 10 juin), un jeune confrère, Pétion Rospide de RSF (Radio Sans Fin) est assassiné dans la soirée au Portail Léogane, quartier Sud de la capitale, en regagnant sa maison après son émission où il aborde les problèmes de l’actualité la plus brûlante tandis que dans la matinée les véhicules de reportage de notre consoeur Radio-Tele-Ginen sont incendiés par une foule fuyant sous les gaz lacrymogènes de la force de police nationale.
A chaque crise politique la presse fait les frais, avec des morts (Jean Dominique, Jacques Roche, Brignol Lindor, l’année dernière Vladimir Legagneur et ce lundi Pétion Rospide – et sans remonter à nos martyrs des années 1970 Gasner Raymond, Ezéchiel Abélard etc), mais on a presqu’envie de dire qu’il y en a encore plus depuis la fin des années de dictature (1986), comme quoi la liberté de la presse étant un fait accompli, n’est-on pas en régime démocratique, mais c’est la presse qui en fait les frais, la presse étant devenue la principale incarnation d’une démocratie, où les partis politiques qui devraient être normalement la principale représentation de cette démocratie comme partout ailleurs, démocratie signifiant régime de partis mais partis qui n’existent même pas de nom puisqu’ils sont en si grand nombre que vous ne pouvez retenir leur nom. Donc, échec en premier lieu des partis politiques, oui quels qu’ils soient, voilà la presse qui se retrouve par conséquent seule dans ce champ de bataille et champ de ruines, et comme de juste qui prend tous les coups.
Bien entendu doit-on encore dire la presse, puisqu’on est à la fois le porte-voix des politiques, aussi bien des pouvoirs que de l’opposition, également leur souffre-douleur, puisqu’il suffit de leur déplaire un jour pour se retrouver éternellement au pain sec et à l’eau, condamné à la misère.
Aussi peut-on continuer à s’appeler presse, au sens véritable, professionnel, éthique du mot quand on doit éternellement faire attention à ne pas déplaire aux puissants du moment, que ce soit pouvoir ou opposition.
Il en résulte alors une nouvelle presse qui prend naissance dans le but évident de jouer le jeu comme la situation l’exige, une presse pour les puissants, à leur service, que ceux-ci soient du pouvoir ou de l’opposition, une presse pour reproduire la position des tenants du pouvoir ou/et de la fortune.
Que reste-t-il alors comme véritables professionnels, comme presse réellement indépendante ?
Même ce mot d’ailleurs (presse indépendante) qui n’a plus la signification qu’il avait auparavant. Le terme de journaliste indépendant ne se réfère plus à une attitude éthique, garder son franc parler, ne pas accepter de vendre sa plume ou son micro, non aujourd’hui est appelé journaliste indépendant le confrère tout simplement qui coopère comme on dit à la pige c’est à dire qui ne fait pas partie du staff par exemple de Mélodie mais qui nous vend de temps en temps une information à la pièce, on les appelle ailleurs ‘freelance’ (comme aux Etats-Unis), voilà le journaliste indépendant du jour …
Or tout en appréciant leur service on doit constater que c’est une faiblesse profonde dans la presse d’aujourd’hui qui n’a pas les moyens de payer ses collaborateurs à plein temps.
Pourquoi ?
Parce que c’est le système qui vous force à cela. Tout est fait pour ruiner la véritable presse indépendante et assurer la promotion d’une presse de parti pris.
Du côté du pouvoir comme de l’opposition.
Comment ?
Elémentaire. De la façon la plus barbare. Par exemple, en délivrant des fréquences radio et télé en veux-tu en voilà.
Et bien entendu d’abord aux puissants du moment.
Cela se fait depuis au moins vingt ans déjà.
La bande sonore finit par n’être plus audible tellement les fréquences sont collées les unes aux autres.
Il en résulte une véritable cacophonie ou comme dit le créole ‘bon mas ak move mas’, professionnels et bluffeurs ne font plus qu’un.
Seuls gagnants les grands manipulateurs, qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition ou de n’importe quel secteur en mal par exemple de monopole …
Mais un seul perdant, la presse elle-même.
Autrement dit, la société qu’elle a pour mission de servir. En toute franchise. ‘Non bon ti manmit’
De plus les annonceurs, ou ce qu’il en reste dans un milieu commercial dominé par les monopoles, ne vont pas se soucier de presse professionnelle, de liberté d’expression ou autre ce n’est pas principalement leur affaire dans un milieu dominé partout et pour tous par une question de survie, tout cela contribue à la disparition de la presse proprement dite.
Mais voici que l’international s’en mêle lui aussi, comme tout le monde choisissant dans le tas, puisqu’on n’a que l’embarras du choix, ceux et celles qui assurent mieux la promotion de sa ‘bonne parole’.
C’est donc tout ça qui repose aujourd’hui sur le dos de la presse.
D’abord le pouvoir en place qui puise sans hésitation dans les caisses de l’Etat pour récompenser les médias propagandistes … ceux-ci poussant leur audace jusqu’à se proclamer la vraie presse indépendante du jour parce que donnant la parole à qui le veut mais d’abord bien sûr à qui paie le plus …
Ensuite nous autres mais nous autres qu’on soumet à un véritable cannibalisme pour essayer de survivre …
Mais on ne survivra pas. On n’y survivra pas. C’est certain.
Aujourd’hui, cette semaine même, pris de panique devant ce que sont devenues toutes les institutions du pays, à commencer par le pouvoir politique et administratif, tous les secteurs généralement quelconques (société civile, religions, patronat, syndicats, universitaires il est rare de constater une telle unanimité) tous appellent à une révision totale, à une refondation du système, pendant que pris de court les pouvoirs, aussi bien exécutif, législatif que judiciaire, à commencer par le chef de l’Etat en perdent visiblement la parole.
Mais dans toutes ces considérations on oublie la presse. Or c’est elle aujourd’hui la principale courroie de transmission. Aussi bien de la bonne que surtout de la mauvaise parole, aussi bien éveilleur que empoisonneur d’âmes.
Quoi qu’il en soit c’est d’abord à ce qu’il en reste encore de professionnel de poser (nous mêmes) les jalons pour éventuellement cette grande remise en question, ou comme on lit actuellement dans maints communiqués, cette refondation.
Sinon, eh bien nous nous condamnons à compter nos morts à chaque crise, à la litanie des médias incendiés sans qu’on saura jamais par qui ni comment.
Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince