PORT-AU-PRINCE, 18 Décembre – Il s'en est fallu de peu que nous retombions en dictature. Aujourd'hui l'arme principale ce n'est pas la violence directe des tontons macoutes (on peut y recourir aussi éventuellement), mais le nouveau tiercé gagnant c'est la fatigue des vieux militants anti-duvaliéristes, la rage de réussite de nouvelles générations peu scrupuleuses sur les méthodes pour y parvenir et les nouvelles technologies de la communication qui permettent de contourner les médias traditionnels et leurs membres mieux rompus à la défense des libertés.
Les années post-Duvalier ont été dominées par la pensée de gauche, celle-ci règne encore dans les secteurs universitaires, ONG (organisations non gouvernementales), cadres des partis politiques traditionnels et mouvements féministes et pour les droits des minorités etc., mais force est de constater que son influence laisse beaucoup à désirer dans la psychologie profonde de nos compatriotes, à quelque catégorie qu'ils appartiennent, que ces théories (justement sans plus) n'ont aucune empreinte dans les arcanes du système.
Est-ce à croire que les Haïtiens sont davantage de culture dictatoriale que démocratique ? Ce serait faire un cadeau trop facile aux disciples de Papa Doc qui sont plus nombreux qu'on ne croit, y compris ceux, encore plus nombreux, qui s'ignorent.
Ensuite comment des pays comme la Russie de Staline, ou le Chili de Pinochet, ou l'Espagne de Franco, et plus près de nous la République dominicaine de Trujillo ont-ils pu faire le saut ? Et demain le Cuba des frères Castro.
Par l'éducation. Par des réformes essentielles comme celle de la justice. Par une sensibilisation constante aux libertés, plus précisément aux droits et devoirs. Et surtout, par l'exemple. Oh oui, c'est surtout là que le bat blesse.
Anniversaires incantatoires …
Ce travail de conscientisation se limite pour nous à des cérémonies anniversaires incantatoires, mais combien d'efforts ont été faits pour identifier les victimes anonymes de la dictature ? Le soldat inconnu de la guerre contre le totalitarisme.
Alors que des millions sont engloutis couramment dans la rubrique société civile. Voir, par exemple, budget de l'aide américaine.
Au lieu de conscientiser le pays, on a créé des spécialistes en conscientisation. Démocratie par personnes interposées (pour le moins au pluriel). Aussi suffit-il de désamorcer ces entités connues comme le loup blanc et le tour est joué. Par entités, nous n'entendons pas forcément des personnes que surtout des tendances agissantes au sein de la société.
Dans un pays qui se pique de démocratie mais sans sortir du sous-développement, où l'on abreuve les gens de symboles capitalistes (attendu qu'on nous enseigne que démocratie et capitalisme ne font qu'un), il suffit de rendre hommage à ces derniers ('Haiti is open for business') pour non seulement convaincre que tout marche bien mais, pour peu qu'on le veuille, obtenir aussi le droit de mener le pays à sa guise.
'Ne votez pas pour les communistes' …
'Haiti is open for business', et qui ne monte pas dans le train n'est pas un démocrate. Le président Michel Martelly l'a dit ouvertement : 'Ne votez pas pour les communistes.'
Pas étonnant que l'actuel régime ait pu faire illusion particulièrement dans la diaspora haïtienne où l'on est tout naturellement imbu de ces principes. Mais pas la diaspora qui invente, qui investit, et qu'on appelle de ses vœux dans les discours officiels. Celle-ci viendra plus tard, peut-être.
Il n'existe malheureusement pas un code où les 'diaspora' qui débarquent, avec bien entendu une lettre de recommandation pour un poste gouvernemental, puisqu'il n'en existe pas d'autres, pourraient se renseigner d'abord sur ce que le pays attend d'eux. Comme autrefois les nobliaux montés à Paris dans la France des rois, on doit se mettre coûte que coûte au service du roi, ou d'un prince bien en cour qui vous met au service de ses ambitions.
'Ne votez pas pour les communistes' ! Autrement dit, votez pour l'argent. Et comme celui-ci est rare, puisque étant, dans une économie sans production, alors on est prêt à vendre son âme au diable.
La distribution des prébendes n'est pas faite par un heureux hasard mais selon un système soigneusement mis au point pour à la fois se garantir des alliés 'aliénés' mais aussi désarmer les autres, les irréductibles.
Bidonvilles crasseux …
Le troisième élément fort c'est la communication. Tout le travail précédent étant fait, il reste à vendre la marchandise en y mettant les moyens. Des magiciens excellent à confondre poses de première pierre, inaugurations, maquette et réalisation véritable etc.
Pour finir, des lobbyists payés à prix d'or, mais eux aussi en camouflage puisque n'étant pas des firmes de relations publiques proprement dites mais des anciens présidents ou premiers ministres de grande réputation, dont le mot a donc plus d'impact.
Tout cela est en place pendant que les Haïtiens s'obstinent à rechercher ailleurs les signes traditionnels de la dictature naissante mais ne les voient pas bien entendu.
Ni tontons macoutes armés jusqu'aux dents, ni les masses Lavalas descendant de leurs bidonvilles crasseux.
Seul un accident de terrain comme les problèmes économiques du Venezuela, répercutés par l'accord Petrocaribe (dont nous sommes membre) qui viennent priver le pouvoir haïtien de la plus grande partie des ressources qui lui permettaient de mettre en place ce plan de conquête absolue du pouvoir !
On n'y aurait vu que du bleu. On l'a échappé belle. Mais cela peut recommencer n'importe quand. Parce que, comme disait l'autre, le ventre de la bête (c'est-à-dire, le nôtre) est encore pourri.
Marcus - Haïti en Marche, 18 Décembre 2014