Le problème est-il économique ou politique … ou les deux ?
PORT-AU-PRINCE, 28 Août – Le couperet est tombé. La ministre de l’Economie a annoncé pour le mois prochain l’augmentation des prix de l’essence à la pompe. Selon Marie Carmelle Jean Marie, cette hausse sera progressive. Cependant elle n’a pas hésité à avancer, en guise de comparaison, que la gazoline pourrait passer à la limite de 200 à 300 gourdes le gallon. Ce qui, tenez-vous bien, représenterait une augmentation de 50%.
C’est très grave 50% parce que tous les autres prix sont supposés emboiter le pas et ces 50% se reproduire sur toutes les dépenses généralement quelconques puisque l’énergie entre dans la fabrication de tout ce que nous utilisons et consommons, de la course en tap-tap aux patates sur le carré du marché.
La ministre Jean Marie a expliqué qu’il n’y a pas d’autre solution. Nous lui donnons acte. Devant la commission économie et finances du Sénat qui lui a exigé des précisions dans le dossier gazoline, elle s’est répandue dans de longues et importantes explications.
Quelle ne fut pas la surprise de maints observateurs de noter que Mme Jean Marie a introduit un nouvel élément au dossier. Elle a parlé abondamment de compagnies auxquelles nous achetons de la gazoline et qu’il nous faut payer cette dernière au prix du marché libre international (ou ‘spot market’), c’est-à-dire au prix fort étant donné que nous faisons face à la concurrence d’acteurs plus puissants économiquement …
Et un prix si fort que l’Etat haïtien ne peut pas le répercuter tout de suite sur le consommateur haïtien. Mais seulement au fur et à mesure.
Aussi il nous faut enlever totalement de notre esprit le régime de ces dernières années, a poursuivi la ministre de l’Economie, avec la gazoline à un prix, disons, modéré, cela grâce à la subvention de l’Etat.
‘Koukouy’ …
Désormais nous achèterons la gazoline beaucoup plus cher. Elle revient si cher à l’achat que l’Etat ne peut plus nous accorder de subvention. L’Etat est au contraire obligé de répercuter cette augmentation sur le prix de vente à la pompe.
Sinon plus de gazoline, nous n’aurons que les lucioles (‘koukouy’) pour tout éclairage.
Et si ce n’était que l’éclairage car la gazoline c’est aussi tout le reste. Sans gazoline, un pays s’arrête. Plus rien n’existe. C’est le retour à l’homme des cavernes.
Ne riez pas. C’est grave. C’est une grave crise qui s’annonce !
Et pourtant nous ne sommes pas dans les années 1970 au moment de la crise du pétrole.
Quid de Petrocaribe ? …
Donc il y a une chose tout aussi importante que la ministre Marie Carmelle Jean Marie a omis de nous dire. C’est pourquoi nous sommes arrivés à cette situation ? Pourquoi devons nous payer la gazoline ‘tèt nèg’ dans la concurrence brutale avec d’autres acteurs plus forts économiquement ?
Bref où est passé Petrocaribe ?
Depuis 2006, et correspondant à l’arrivée au palais national pour un second mandat du président René Préval, le Venezuela a inclus Haïti dans ce programme qui nous permet de recevoir la quantité de gazoline nécessaire à nos besoins et à des prix défiant toute concurrence.
En outre, l’accord Petrocaribe met à la disposition de l’Etat haïtien une sorte de ligne de crédit alimentée par le paiement différé d’une partie des revenus payés au Venezuela.
Ce sont les fonds Petrocaribe.
Petrocaribe nous a permis depuis 2006 de n’avoir jamais de rareté de gazoline mais aussi de bénéficier de tarifs relativement stables. La dernière augmentation des prix à la pompe remonte déjà à plusieurs années.
Problèmes propres au Venezuela …
Eh bien, de source bien informée, notre situation actuelle vient directement que le Venezuela fait face lui aussi aujourd’hui à des problèmes économiques et a besoin de tirer davantage profit de ses exportations pétrolières.
Le Venezuela a pour principal client les Etats-Unis. Mais aujourd’hui un autre gros consommateur de pétrole s’est mis de la partie : la Chine achète également du pétrole vénézuélien. Etant donné certaines incertitudes régnant aujourd’hui dans le monde arabe, le pétrole vénézuélien aujourd’hui plus que jamais ne suffit plus pour les demandeurs …
Cependant le président Nicolas Maduro n’a pas totalement renoncé aux accomplissements de son prédécesseur et mentor, feu Hugo Chavez. Petrocaribe est maintenu. Cependant de nouvelles conditions de livraison font que nous ne recevons plus de quoi satisfaire totalement notre marché. Pourquoi l’Etat haïtien est obligé de retourner sur le marché libre international, là où c’est la loi de la jungle.
Le cochon de payant …
La ministre de l’Economie a raison, c’est un problème purement économique. C’est à prendre ou à laisser. Nous devons payer la gazoline que nous consommons. Espérons encore que les règles du jeu soient respectées. C’est-à-dire que le consommateur haïtien ne soit traité comme le cochon de payant mais qu’il puisse bénéficier aussi quand les tarifs internationaux baissent car cela arrive aussi. Pour cela il ne faut pas laisser le monopole de la question à l’Etat, il nous faut une société civile plus sensible à ces questions-là, la protection du consommateur. Ce n’est pas encore tout à fait le cas. La politique politicienne prend tout l’espace.
Une affaire politique aussi ! …
Cependant revenons à cette assertion de la ministre Jean Marie, savoir que ce dossier gazoline est purement économique, n’en faisons pas (dit-elle) une affaire politique !
Oui et non. Oui parce que certains faits objectifs comme le ralentissement des livraisons du Venezuela nous obligent à rechercher d’autres sources … Et donc à faire face à la nouvelle situation si nous ne voulons pas revenir à l’âge des cavernes.
Mais c’est NON, pardon oui c’est bien une question politique si l’on en vient à la question des fonds Petrocaribe.
Parce que à la faveur de ce débat sur le vote du projet de budget par devant le Sénat, on apprend bien des choses …
Que par exemple, 60% des recettes de l’Etat à nouveau devraient servir au paiement de la dette publique …
Que notre dette envers Petrocaribe est de près de 1 milliard et demi de dollars. Etc.
Il resterait donc à peine 40% du budget public pour financer tout, tout et tout (santé, production nationale, éducation etc).
Or, faut-il rappeler que le gouvernement Préval a laissé en partant un fonds Petrocaribe lourd de plusieurs centaines de millions de dollars.
Aujourd’hui on a tout consommé et il nous faut au contraire commencer à rembourser.
Calculs trop à courte vue …
Et tout cela sur le dos d’un consommateur (chômeur à plus de 70%) et qui n’a que la peau et les os.
Alors qu’une bonne partie du pactole a été utilisé (non véritablement à la reconstruction) mais, par exemple, à l’embellissement d’une banlieue comme Pétionville – et que, avant le contribuable ordinaire, c’est le propriétaire immobilier de cette ville qui aurait dû être le premier facturé ayant vu la valeur marchande de son immeuble multiplié en trois années par plus de dix.
Il est évident que le gouvernement actuel a dépensé plus qu’il ne possédait réellement. Il est évident que tous les projets non achevés sont condamnés à rester dans leur état actuel.
Il est évident que par des calculs trop à courte vue (c’est le moins qu’on puisse dire), le pouvoir Martelly-Lamothe nous a plongé dans une chute grave qui ne tardera pas à devenir une crise difficilement gérable.
Et qu’il serait pas étonnant que au lieu d’être réellement ‘open for business’, l’on doive retourner bientôt devant les institutions internationales pour négocier une nouvelle … annulation de notre dette !
Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince