PORT-AU-PRINCE, 8 Mars – Le premier devoir de ce gouvernement de transition aurait dû être de déclarer le pays en régime d'austérité.
Le président provisoire Jocelerme Privert a bien ouvert son mandat en déclarant que l'économie est dans 'une situation alarmante et catastrophique.'
Entrainant un démenti de la part du ministre sortant de l'économie, Wilson Laleau, ainsi que du premier ministre sortant Evans Paul.
Le président Privert a semblé marquer une pause, sans doute lui a-t-on vite rappelé que à dire aussi crûment les choses, cela peut provoquer une sorte de panique boursière, mettre en fuite les investisseurs éventuels.
Et pourtant il n'y a pas deux façons de le dire que le gouvernement qui s'apprête à entrer en fonction n'aura d'autre chose à gérer que la plus sévère austérité que Haïti n'ait eu à subir depuis plusieurs décennies.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : une monnaie nationale à 63, 5 gourdes pour 1 dollar américain, sans aucune recette pour arrêter la folle dégringolade ; la dette publique qui s'élève à plus de 2 milliards de dollars, quand après le séisme de janvier 2010 la dette avait été ramenée à zéro grâce à son annulation par de généreux donateurs ; une inflation à deux chiffres : actuellement 13, 5%, qui indique une hausse vertigineuse du coût de la vie ... dans un pays où le citoyen moyen vit avec moins de deux dollars par jour.
Toujours plus dans la mendicité et la dépendance ...
Sans oublier 1,5 million de nos compatriotes en situation de famine, et qu'on devrait déjà porter ce chiffre à 3,5 millions étant donné que les récoltes qu'on attendait ne se sont pas concrétisées ... Et qu'une aide alimentaire internationale s'avère en ce moment plus qu'urgente. Nous enfonçant toujours plus profondément dans la mendicité et la dépendance.
Et comment devrait-on appeler cela sinon le pire régime d'austérité qui soit !
L'austérité veut dire qu'un gouvernement qui y est confronté, n'est pas en mesure de faire ses frais, de payer ses factures. Locales et internationales. D'où la première décision du président provisoire qui a été de stopper toutes nouvelles installations dans l'administration publique. Et toutes nouvelles assignations de fonds.
Voire les 42 millions de dollars que le gouvernement sortant s'apprêtait à investir pour un projet de 'paradis fiscal' (en l'occurrence, paradis artificiel plutôt !) dans l'île de La Gonave, dans la baie de la capitale.
Mesures de conservation qui n'ont pas semblé plaire au gouvernement sortant.
Le scandale BMPAD ...
Et pourtant, celui-ci ne semble pas avoir fait suffisamment pour empêcher les choses d'empirer à ce point-là.
On en veut pour preuve le dernier scandale concernant le BMPAD ou Bureau de monétisation des programmes d'aide et de développement.
Qu'est-ce que le BMPAD ?
C'est un organisme d'Etat chargé de la gestion de l'aide matérielle reçue de l'étranger.
Autrefois c'était les provisions alimentaires, principalement le riz.
Le BMPAD organise la vente du produit sur le marché local et les fonds récoltés servent à des projets de développement.
Puis est venu 2006, avec une élection très appréciée par le président du Venezuela, lors feu Hugo Chavez : celle de René Préval.
Haïti fut placée automatiquement dans le programme Petrocaribe.
Vous savez ce que nous offre depuis Petrocaribe.
Du pétrole à des prix défiant toute concurrence. De plus, nous payons en cash seulement une partie des revenus de la vente de ce pétrole.
Délai de 25 ans et un taux d'intérêt de 1 pour cent ...
L'autre partie est déposée sur un compte intitulé Petrocaribe-Haïti.
Ces fonds constituent une ligne de crédits faits à Haïti ... avec des avantages sans comparaison : remboursables dans 25 ans et avec un taux d'intérêt de seulement 1 pour cent.
Ce sont ces fonds qui ont permis à l'Etat haïtien de s'engager ces dix dernières années dans de grands projets d'infrastructures : routes, électrification, urbanisme etc.
Comme nous vous disons, c'est le BMPAD qui a la gestion de tout ça.
Le pétrole vénézuélien est vendu, les compagnies de distribution locales paient au BMPAD, et celui-ci (selon l'accord conclu) reverse au Venezuela (plus exactement à la compagnie de production vénézuélienne PDVSA-Petroleum de Venezuela) une partie des revenus.
L'autre partie va sur le compte Petrocaribe-Haïti, toujours sous la supervision du BMPAD.
Cela a fonctionné à merveille. Même si on a reproché aux dirigeants haïtiens ces 5 dernières années d'avoir utilisé cette manne sans assez de ménagement, investissant dans des projets sans impact suffisamment large et de long terme sur l'économie locale. Reproche qui leur a été adressé, entre autres, par la direction locale de la Banque mondiale.
Une condition spéciale de l'accord ...
Cependant c'était jusqu'à l'actuelle chute des cours du pétrole sur le marché international.
Evénement de portée globale et qui est venu tout remettre en question.
C'est alors (seulement) qu'on se souvient de l'une des conditions spéciales de l'accord Petrocaribe :
Quand le pétrole se vend à 100 dollars le baril ou plus sur le marché international, le Venezuela amasse des milliards et Haïti est autorisée à garder la plus grande part des revenus du pétrole vénézuélien livré. Dont 70%, par exemple, peut aller sur la ligne de crédit.
Mais plus le prix du baril sur le marché international tombe, moins Haïti peut garder de l'argent collecté de la vente.
Et à ce train-là aujourd'hui c'est plus des ¾ de ces revenus que nous devons reverser à la compagnie vénézuélienne PDVSA.
L'Etat haïtien ne peut pas rembourser ...
Or qu'est ce que l'on constate ?
C'est que le BMPAD s'est arrêté de rembourser la compagnie vénézuélienne. Depuis août 2015 ... à date.
Alors que les fonds accumulés devraient totaliser aujourd'hui plus de 220 millions de dollars, le compte BMPAD contient 86 millions environ.
Que s'est-il passé ?
Nos dirigeants ne se sont pas contentés de faire une gargote des millions du fonds Petrocaribe, malgré les multiples mises en garde, mais face à la diminution de la partie des fonds retenue pour nous, à cause de la crise du pétrole sur le marché international, ils n'ont pas hésité à porter aussi la main sur un argent qui n'était pas à notre disposition : la part des revenus destinés à la compagnie vénézuélienne.
Et aujourd'hui l'Etat haïtien n'a pas les fonds nécessaires à sa disposition pour rembourser.
Qui plus est, il faut 8 millions de dollars pour payer la livraison de pétrole ce mois-ci ?
Où les trouver ?
Il y a bien entendu l'hypothèse que le Venezuela ne nous livre plus de pétrole, en tant que client insolvable.
Alors que, quant à elles, les compagnies nationales de distribution ont payé régulièrement à l'Etat haïtien son dû.
Et vous appelez ça comment ?
Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince