Quand l’OEA s’invite !
PORT-AU-PRINCE, 29 Mars – Le secrétaire général de l’OEA (Organisation des Etats Américains) a reçu un accueil plutôt frais du côté de la classe politique haïtienne.
C’est la visite d’adieu de Mr Jose Miguel Insulza qui sera remplacé le mois prochain par le nouveau secrétaire général, l’Uruguayen Luis Almagro.
Mr Insulza est venu promettre l’assistance de l’OEA pour les prochaines élections haïtiennes.
Elections à tous les niveaux. Législatives (20 sièges du sénat sur 30 ; toute la chambre des députés / 119 ; 140 municipalités) et avant la fin de l’année un nouveau président de la république pour succéder à Michel Martelly en février 2016.
Le secrétaire général sortant a annoncé qu’une mission de l’OEA va arriver instamment pour prendre position dans le pays.
Voilà des propos qui autrefois seraient reçus avec un ouf ! de soulagement : Youpi, la communauté internationale appuie la jeune démocratie haïtienne !
Une histoire qui avait bien commencé ...
Mais, hélas, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Et lors de sa visite au sénat (les 10 sénateurs encore en fonction) ou dans ses rencontres avec des leaders politiques, Mr Insulza s’est fait rabattre passablement le caquet.
Les rapports de la communauté internationale avec la démocratie haïtienne ne sont plus autant une histoire d’amour.
Une histoire pourtant qui a bien commencé. Pressions sur le conseil militaire de gouvernement après que l’armée et des anciens Duvaliéristes eurent fait avorter les premières élections démocratiques, celles de novembre 1987.
Importante mission (OEA, ONU, Union européenne) pour accompagner la deuxième tentative : les élections de décembre 1990 qui verront l’arrivée de Jean-Bertrand Aristide, plébiscité par les masses.
Participation à l’opération retour en 1994, ramenant le même Aristide d’exil aux côtés de plusieurs milliers de Marines dépêchés par le président Bill Clinton.
Le CEP de Léon Manus ! …
Mais première anicroche. Lors des législatives de mai 2000, la mission de l’OEA confirme d’abord la bonne tenue du scrutin.
Puis le lendemain, elle se ravise.
La petite histoire veut que, alors qu’ils étaient sur le point de remporter la majorité des sièges, des barons Lavalas seraient allés dans la nuit trafiquer les résultats des urnes pour transformer cette majorité en totalité.
Vrai ou faux. En tout cas l’OEA fait volte face.
Le conseil électoral de l’époque essaie de résister. Mais son président, Me Léon Manus, cède aux pressions internationales. Et finit par s’évaporer dans la nuit noire.
C’est le début d’une longue période de troubles politiques qui ne se terminera qu’après le second renversement d’Aristide en février 2004.
Préval-Mulet …
La communauté internationale tout entière appuie le candidat René Préval pour décider qu’il n’y aura pas de second tour aux présidentielles de 2006 malgré qu’il n’ait pas remporté la majorité absolue (comme l’exige la Constitution) et alors que résonnent les protestations du candidat le plus proche, le professeur Leslie Manigat.
Cependant 5 ans plus tard, aux présidentielles de 2010, rien ne va plus.
Placé devant la crise électorale (jamais de présidentielles en Haïti sans une crise !), Préval accepta de rechercher la médiation de l’OEA.
Mais, écoutons René Préval : ‘lorsque le chef de la Minustah (casques bleus onusiens), Mr Edmond Mulet, m’appela pour me dire que les résultats ont été établis, je lui dis : Super, la crise est donc terminée ! Mais lui de me dire : pas du tout, on n’acceptera aucun autre vainqueur. Il a voulu me dire par là que le candidat choisi par la communauté internationale est celui qui doit gagner, et ce candidat-là c’était Michel Martelly. Je lui ai alors dit : alors Mr Mulet, pourquoi des élections ?’
C’est alors que Mulet aurait menacé le président d’Haïti de le placer sur un avion et de l’expulser du pays.
(Interview avec René Préval dans le film de Raoul Peck ‘Assistance mortelle !’)
Mirlande Manigat …
On comprend alors le peu de sympathie nourrie aujourd’hui dans l’opposition haïtienne pour les missions de l’OEA.
Parmi les plus sévères, à en juger par leurs réactions confiées ensuite dans la presse locale, le président du Sénat, le sénateur Andrice Riché (OPL) et surtout la concurrente de Michel Martelly au second tour en 2011, la professeure en constitutionnalisme, Mirlande Manigat. Elle avait peut-être là sa chance de retourner au palais national - où elle avait séjourné comme première dame sous la présidence (éphémère) du professeur Leslie Manigat, élu en 1988, dans des urnes rapidement concoctées par l’armée au lendemain des élections avortées de novembre 1987.
Un président la voix de son maître …
Mais aujourd’hui l’OEA s’invite toute seule. Ou alors l’invitation par le président Martelly n’est qu’une simple formalité. Aujourd’hui plus que jamais on a le sentiment que le président d’Haïti c’est la voix de son maître.
Prenons la Minustah ou mission des casques bleus des Nations Unies, établie dans le pays depuis les troubles de 2004.
Rappelons que Michel Martelly avait basé sa campagne en 2010-2011 sur le départ des forces de l’ONU. Il continuera de battre cette grosse caisse pendant ses premières années de mandat, histoire de faire jouer la corde nationaliste toujours chère aux régimes populistes.
Mais aujourd’hui, que voit-on ? C’est le Conseil de sécurité qui vote pour un début de désengagement de ses forces militaires en Haïti et c’est notre président qui les supplie de ne pas bouger à cause de la proximité des élections.
Que croire ?
Un sentiment très fort de l’intérêt supérieur de la nation …
Mais la classe politique haïtienne ne peut non plus se contenter de gesticulations, elle doit agir. Prendre des engagements. Pour des élections un jour sans OEA et sans Minustah, il faut réunir d’autres conditions.
Oui, un ACCORD entre les acteurs nationaux eux-mêmes pour respecter les résultats des urnes.
Mais c’est vite dit parce qu’un tel accord nécessite plusieurs changements.
- Etre capables soi-même de réaliser des élections sans tâche.
- Un sentiment très fort de l’intérêt supérieur de la nation que rien ni personne n’a le droit de transgresser.
- Enfin il faut un arbitre. Aux Etats-Unis c’est la Cour suprême. La Constitution haïtienne prévoit un Conseil constitutionnel mais qui n’a jamais encore été mis en application. Et pour cause !
Ainsi donc on a beaucoup à faire si c’est pour de bon que l’on veut prévenir toute interférence de l’étranger (comme on dit) dans nos affaires !
Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince