Mirlande Libérus sera-t-elle extradée ?

PORT-AU-PRINCE, 1er Avril – Mirlande Libérus Pavert, ex-sénatrice et réputée un bras droit de Jean-Bertrand Aristide durant son second mandat brutalement écourté (2001-2004), est recherchée par la justice haïtienne comme auteur intellectuel de l’assassinat du journaliste Jean Dominique, le 3 avril 2000, voilà déjà 15 ans.
Mme Libérus Pavert vit aux Etats-Unis depuis le renversement du gouvernement Aristide-Lavalas en février 2004.
Elle ne semble avoir été l’objet d’aucune inquiétude de la part des autorités judiciaires américaines contrairement à de nombreux autres ex-collaborateurs du président renversé. Celui-ci de son côté est resté 7 ans en exil en Afrique du Sud avant de regagner Haïti en 2011.
Le juge actuellement en charge du dossier de l’assassinat de Jean Dominique, Yvickel Dabrésil, a instruit le ministre de la justice, Me Pierre Richard Casimir, qui de son côté a transmis à son collègue des affaires étrangères, Pierre Duly Brutus, la demande d’extradition de l’ex-sénatrice auprès des autorités américaines afin qu’elle puisse comparaitre devant la justice haïtienne.
Le dossier a été une nouvelle fois relancé par l’assassinat le mois dernier de Oriel Jean, ex-chef de la sécurité rapprochée du président Aristide au palais national.
Oriel Jean a été abattu en plein jour le 2 mars écoulé à Port-au-Prince. Et comme toujours, par des individus à moto !


Auparavant il avait accordé secrètement une interview au journaliste Guyler C. Delva, ex-secrétaire à la communication dans l’actuelle administration Michel Martelly et président d’une organisation pour rechercher justice pour Jean Dominique.

‘Faire taire’ le célèbre éditorialiste …
Dans cette interview, l’ex-chef de la sécurité présidentielle met nommément en cause Mirlande Libérus Pavert comme celle qui a donné l’ordre d’abattre Jean Dominique parce que ce dernier (sic) faisait de l’ombre à la campagne à la réélection de Jean-Bertrand Aristide.
Oriel Jean laisse entendre également que l’ordre serait venu initialement de Aristide lui-même qui aurait ordonné de ‘faire taire’ le célèbre éditorialiste et patron de Radio Haïti Inter.
Mais avant même que s’ouvre l’investigation sur l’assassinat de Oriel Jean (bien entendu jamais on ne retrouve les fameux tueurs à moto, c’est la garantie aujourd’hui du crime parfait !), barre à tribord, retour à la sénatrice Pavert.
Selon un bulletin de l’agence d’informations locale, Alterpresse, qui semble suivre ce dossier avec beaucoup d’application (article du 3 article 2015), elle ‘fait l’objet d’un mandat d’amener, émis par la justice haïtienne, dans le cadre d’une autre affaire. La justice réclame son extradition pour son implication présumée dans des faits de blanchiment des avoirs, trafic illicite de drogue et association de malfaiteurs.’
Un premier dossier qui semble n’avoir pas beaucoup progressé.

Exil tranquille sous la protection du drapeau étoilé …
Mais, poursuit Alterpresse, ‘on a observé une apparente accélération’ après la diffusion de l’interview avec Oriel Jean.
Donc aux premières charges mentionnées plus haut, la justice haïtienne ajoute maintenant, pour étoffer la demande d’extradition, celle de auteure intellectuelle (présumée) de l’assassinat de Jean Dominique.
Mais mettons-nous un instant à la place des autorités judiciaires américaines.
Mirlande Libérus Pavert vit depuis 2004 aux Etats-Unis.
Elle était certainement l’un des plus proches collaborateurs de l’ex-président Aristide en tant que responsable de la Fondation Aristide qui a joué un rôle central dans la gestion financière des activités du parti politique Fanmi Lavalas.
Or plus d’une dizaine d’autres proches collaborateurs de l’ancien président ont fait de la prison aux Etats-Unis pour les mêmes charges que la justice haïtienne reproche à l’ancienne directrice de la Fondation Aristide : blanchiment, trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs.
Alors que Mme Libérus, elle, n’a jamais été inquiétée et continue de couler un exil tranquille sous la protection du drapeau étoilé.

Un jugement en extradition n’est pas une mince affaire …
Or l’un de ces derniers pensionnaires dans les prisons américaines n’est autre que Oriel Jean.
Jugé pour trafic de drogue, celui-ci encourait une peine de 20 ans mais a bénéficié d’un ‘deal’ avec les procureurs pour avoir collaboré, disent ces derniers, de manière ‘substantielle’.
Oriel Jean fera seulement trois ans en tôle, contrairement à certains de ses anciens collègues dans le pouvoir Lavalas.
Puis il retournera en Haïti. Pour être assassiné le 2 mars dernier dans les conditions mentionnées plus haut. En un mot, ni vu ni connu comme c’est de rigueur dans les cas de tueurs à moto !
On parle d’extradition en Haïti comme si cela allait de soi. Peut-être oui, quand c’est Haïti qui embarque, menottes aux poignets, tout suspect de trafic de drogue ou kidnappeur de ressortissants américains, à destination de la Floride.
Mais un jugement en extradition aux Etats-Unis n’est pas une mince affaire. Voire s’agissant d’une personne contre laquelle la justice haïtienne porte les mêmes charges pour lesquelles la même justice haïtienne envoie ses citoyens aux Etats-Unis pour être jugés.

Règlement de comptes entre clans Lavalas ? …
Avant les conventions diplomatiques, il existe aux Etats-Unis un véritable Etat de droit.
Pourquoi Mirlande Libérus n’a-t-elle pas été jugée pour les mêmes charges qui ont conduit Oriel Jean et les autres derrière les barreaux de la prison fédérale en Floride ?
Pourquoi le dossier de l’assassinat de Jean Dominique n’a-t-il pas été ajouté aux charges soulevées devant la justice fédérale américaine ?
Pourquoi Oriel Jean a-t-il soulevé cette question seulement après sa remise en liberté et non dans le cadre de son système de défense à Miami ?
Est-ce un règlement de comptes tous azimuts entre différents clans Lavalas ?
Qu’est-ce qu’il faut croire dans tout ça ?
Sans préjuger des réactions des juges américains, nous pensons, comme on dit, qu’un supplément d’informations est largement nécessaire. D’autant que Haïti est un pays très volatile pour un témoin d’une telle importance.
La preuve : les meurtriers de Jean Dominique, après 15 ans, courent toujours.
Ceux de Oriel Jean ne le seront pas moins, probablement.

Haïti en Marche, 1er Avril 2015