Vibrations et couleurs au carnaval de Jacmel
JACMEL, 7 Février – Jacmel est en fête. Tout Port-au-Prince se déverse sur la métropole du Sud-est. Comme des lucioles dans la nuit, vendredi soir la caravane suit l'enchevêtrement de la route dite de l'Amitié qui traverse l'un des pics les plus élevés du pays.
Tous les établissements hôteliers affichent complet. Les derniers arrivants passeront le week-end au fond de leur voiture. Il faudra prendre l'habitude des véhicules-caravane ou roulottes familiales.
C'est le carnaval de Jacmel. La seule ville du pays où carnaval ne rime pas uniquement avec le bruit assourdissant du défilé des chars musicaux (comme ce sera le week-end prochain à Port-au-Prince) mais avec la plus belle exposition de produits artisanaux qui soit en Haïti et même dans la Caraïbe.
La rue du Commerce ne désemplit pas de touristes européens et nord américains.
Moins de 'diaspora' (compatriotes vivant à l'extérieur) cette année. L'actualité politique délirante, leur fait peur.
Principaux stops : l'atelier de Moro et Paule Barouk, qui porte le papier mâché au niveau des plus grandes joailleries internationales.
Non loin de là, sans que l'un ne fasse tort à l'autre, l'Hôtel Florita présente une exposition rare de peintures, sculptures et autres trésors sortis des mains expertes des artisans de la ville.
Nous passerons l'après-midi dans la montagne chez des amis qui ont une vue imprenable sur la baie étincelante de Kabic-Ti Mouillage.
A peine le temps de rentrer pour jeter quelques notes dans l'ordinateur, que la soirée culturelle démarre au centre de Convention, dans le quartier historique de Jacmel.
Le spectacle s'ouvre majestueusement avec Ayikodans. Ce n'est pas tout de dire que c'est une troupe haïtienne de stature internationale, mais comment l'esprit d'innovation parvient à faire de la danse d'origine vodou toutes les danses de la terre. On y perçoit côté vibration les autochtones ou premiers habitants du continent, puis sur un autre tempo quoique en même temps le même, la danse japonaise silencieuse et à gestes feutrés et quoi encore. Et l'exécution aussi professionnelle qu'une troupe de New York, le centre du ballet moderne.
Mais c'est la chanteuse Rénette Désir qui fait toute la salle se lever comme un seul homme (ou une seule femme) pour entonner les airs les plus beaux de son répertoire. Ce petit bout de femme a un abattage comme on n'en trouve plus.
Les invités spéciaux défilent. Mesdames les ministres de la culture et du tourisme, le maire de Jacmel, la directrice du tourisme, etc., sous la baguette d'une MC peu ordinaire, Mme Michaelle Craan, chacun ses petites salutations conçues spécialement pour l'occasion avec ce sentiment du respect d'autrui qui n'a pas disparu dans ces villes qui ont toujours été des hauts lieux de la richesse culturelle et du sens de l'hospitalité qui ont fait la réputation de notre pays.
Notre compagnon de table, chargé des relations publiques à l'Ambassade des Etats-Unis, y apporte son grain de sel sous la forme d'un poème de Langston Hugues (Sing of America) : 'Ils m'ont envoyé manger à la cuisine. J'y ai été pour prendre des forces afin un jour prochain de pouvoir accéder à la table des invités.'
Puis place à la jeunesse : la scène fut envahie par une troupe de danse locale dans un spectacle haut en couleurs.
Le véritable metteur en scène de toute la soirée regarde avec approbation, c'est le sénateur Edwin (Edo) Zenny. Jamais autorité ne s'était sentie aussi responsable. Et aussi fière de sa juridiction.
Les troubles politiques et autres n'ont pas épargné Jacmel ces dernières semaines et on pouvait craindre que le carnaval ne fût gâché. Mais point du tout. Ce serait sans compter avec le fort sentiment d'appartenance d'une population qui est aussi vigilante dans la défense de ses droits qu'elle l'est aussi pour protéger le patrimoine local.
Le carnaval représente des rentrées de devises uniques pour tous les secteurs, aussi bien le restaurateur que l'artisan, le cultivateur de légumes que le taxi-moto.
Aussi tout le monde met la main à la pâte. A commencer par l'usine électrique. Jamais on n'avait été aussi gâté là aussi.
Seule ombre au tableau : les vendeuses de fripes qui débordent l'espace du marché pour envahir les lieux de loisirs, transformant la vénérable place publique elle-même en un marché-pèpè.
C'est ce que les autorités avaient tenté de prévenir en déplaçant le marché traditionnel vers un autre espace construit en dehors de la ville, mais celui-ci attend comme un cadeau de fin d'année abandonné dans un coin du salon.
Les responsables locaux ne trouvent pas suffisamment d'autorité pour mettre ces nouvelles mesures en application.
Cependant on ne peut rêver d'une capitale du tourisme (de nouveaux investissements viennent encore d'être consentis par la communauté internationale : la BID etc) tout en continuant à s'abandonner à la bidonvilisation.
Marcus – Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince