29 Novembre Hier & Aujourd’hui !
MIAMI, 30 Novembre – L’opposition haïtienne a décidé d’honorer cette année la date du 29 Novembre comme symbolique des crimes les plus abominables auxquels peut se livrer le pouvoir dictatorial en Haïti quand celui-ci a le soutien de Washington.
Le 29 Novembre 1987, les forces armées d’Haïti, héritières de la dictature Duvalier renversée une année plus tôt (7 février 1986), mettaient fin dans un bain de sang aux premières élections démocratiques organisées dans notre pays.
Le bilan officiel est de 14 morts dont une dizaine au seul bureau de vote de la Ruelle Vaillant, à l’école Argentine Bellegarde, où des électeurs faisant la queue ont été soudain assaillis par des bandes armées aux ordres des forces armées. Le massacre se déroula à coups de machettes et les victimes furent abandonnées baignant dans leur sang.
Un journaliste Dominicain (Carlos Grullon) qui filmait le vote, ne fut pas épargné. Blessé à mort, il devait expirer le jour même.
La minute d’après, le haut commandement militaire avec à sa tête le général-président Henry Namphy, annonçait l’annulation des élections à cause des violences survenues.
Violences bien entendu provoquées par le gouvernement militaire lui-même.
Et avec, pouvait-on dire, l’assentiment de Washington.
Vu que le chef de l’Etat, le Lieutenant-général Henry Namphy, était rentré peu auparavant d’une visite officielle dans la capitale fédérale américaine en annonçant, afin que nul n’en ignore : finie la bamboche démocratique ! (‘Banbòch la fini’).
Sacré Namphy !
Comme aujourd’hui, les missions spéciales américaines …
Comme aujourd’hui lors le président américain appartenait au camp Républicain, Ronald Reagan, succédant au chef d’Etat américain le plus libéral des dernières décennies, Jimmy Carter (Démocrate), qui avait beaucoup contribué au mouvement dit de ‘libéralisation’ qui débouchera sur la chute de la dictature Duvalier (1986).
Comme aujourd’hui, les missions spéciales américaines défilaient constamment à Port-au-Prince, lors présidées par un Assistant Secrétaire d’Etat nommé Elliot Abrams.
Ce dernier passait pour être violemment anti-gauche. Rappelez-vous qu’on était encore au temps de la Guerre Froide ou face à face du camp capitaliste au camp soviétique (même si celle-ci allait prendre fin peu de temps après, en 1991).
Cet Elliot Abrams voyait, paraît-il, un communiste dans tout ce qui ne pensait pas selon l’idéologie américaine la plus étroite.
C’est ainsi que les deux candidats les plus en vue aux élections du 29 novembre 1987 s’appelaient Me Gérard Gourgue, d’abord ancien membre du gouvernement civilo-militaire qui a succédé à Baby Doc mais pour remettre peu de temps après sa démission (Me Gérard Gourgue avait été aussi président de la Ligue haïtienne des droits humains et il s’en fallut de peu qu’il ne perdit la vie lorsque la première conférence sur les droits humains jamais organisée en Haïti fut écrasée par les forces dictatoriales, c’était le vendredi 9 novembre 1979, dans la paroisse de Saint Jean Bosco, depuis surnommé le ‘Vendredi noir’) ; le second candidat en bonne position était le Pasteur Sylvio Claude. Aucune affiliation connue avec la gauche, même socialo-démocratique. Cependant le plus brave des leaders à avoir affronté la dictature avant la chute de cette dernière, le 7 février 1986.
En face le camp pro-Duvaliériste ne comptait pas les candidats, et aussi déterminés, pour ne pas dire menaçants les uns que les autres, dont l’ex-général Claude Raymond, Clovis Désinor, Edouard Francisque etc.
Cependant sur le terrain et après 30 ans d’une dictature sanguinaire et rétrograde et qui avait fermé le pays de manière étanche à toute influence politique extérieure sinon les plus conservatrices, les secteurs de la gauche récemment revenus au pays d’un long et lointain exil, y compris Moscou, avaient pignon sur rue.
Qui plus est, lors d’une visite précédemment du Secrétaire d’Etat américain George Schultz, des jeunes manifestants mirent le feu au drapeau étoilé.
Ce qui déchaina une colère sans bornes, paraît-il, chez Mr. Elliot Abrams.
Armés seulement de leur bulletin de vote …
La veille du 29 Novembre 1987, le bruit courut que les élections seraient empêchées.
Beaucoup s’empressèrent de se mettre à l’abri.
Toute la nuit Port-au-Prince retentit d’explosions.
C’était une manœuvre d’intimidation des forces armées à l’adresse des éventuels électeurs.
Cependant au lever du jour, si le centre ville restait plutôt désert, par contre les quartiers populaires, notamment le Bel-Air ainsi que Cité Soleil, Poste Marchand, Saint Joseph, Bolosse, grouillaient de monde. La foule commença à se rassembler.
Et bientôt les bureaux de vote commençaient à se remplir car, malgré les menaces contre leur propre personne, les membres du CEP (conseil électoral provisoire) n’avaient pas annoncé l’annulation des élections.
Nous citons le Dr. Louis ‘Routo’ Roy, le Pasteur Rocourt, l’homme d’affaires Emmanuel Ambroise, Me Jean Robert Sabalat, Ernst Mirville (surnommé Bambou) etc.
Sur ce, entrée en scène d’un nouvel élément : les bandes armées aux ordres des forces armées (appelées aussi Paramilitaires), cela afin de camoufler la main de ces dernières dans les exactions à venir.
Ces nouveaux ‘Tontons Macoutes’ se répandirent dans les rues armés jusqu’aux dents, mais également d’armes blanches toujours pour éviter que l’armée ne soit directement mise en cause.
Secret de Polichinelle, bien entendu.
Après avoir tué plusieurs personnes sur leur chemin, ces ‘gangs’ (avant la lettre) envahirent le bureau de vote de la Ruelle Vaillant (école Argentine Bellegarde) et firent un carnage sur les nombreux compatriotes présents et armés seulement de leur bulletin de vote.
C’est l’inoubliable Massacre de la Ruelle Vaillant, 29 Novembre 1987, que l’opposition du Secteur Démocratique et Populaire a choisi cette année d’honorer pour son pouvoir symbolique vu les circonstances que traverse actuellement notre pays.
Et à juste titre pour rappeler jusqu’où peut aller la complicité entre un pouvoir dictatorial en Haïti et l’administration en place à Washington.
En effet, le même 29 Novembre 1987, Washington acceptait l’annulation des élections en Haïti et recommandait aux militaires haïtiens d’en organiser de nouvelles mais en veillant bien d’en écarter les candidats non désirés !
Et commença ainsi la chaine de coups d’état et d’instabilité chronique …
Quelques mois plus tard furent organisées des élections sous strict contrôle, dont sortira vainqueur le Professeur Leslie Manigat.
Mais celui-ci sera renversé peu de temps après pour être remplacé par le même Général Henry Namphy.
On connaît la suite, les généraux se mirent à se renverser les uns les autres.
Et commença ainsi la chaine de coups d’état et d’instabilité chronique qui, comme on le voit, dure encore de nos jours.
Et aujourd’hui comme hier dans des conditions aussi menaçantes.
Et continuant d’handicaper toute évolution de la nation haïtienne.
Marcus-Haïti en Marche, 29 Novembre 2019