Descente en enfer à toute vitesse

PORT-AU-PRINCE, 4 Mai – Dans l’interview accordée par le prêtre français Michel Briand, 67 ans, qui avec un groupe de religieux haïtiens et étrangers, a été pendant au moins deux semaines aux mains d’un gang de preneurs d’otages haïtiens surnommé les ‘400 Mawozo’, une phrase attire particulièrement l’attention.
Parlant avec le chef du gang surnommé ‘Lanmò San Jou’ (Mort sans Jour), rapporte le Père Michel : ‘Il m’a dit qu’il avait besoin de creuser des puits pour l’eau potable, de construire une école et un hôpital.’
Voilà donc qui n’est pas un langage de bandits comme à l’ordinaire, d’habitude considérés comme un petit groupe se déplaçant rapidement d’un endroit à un autre, d’une planque à une autre pour ne pas se faire repérer. Alors qu’ici on a plutôt l’impression, du moins comme c’est décrit dans l’article de Paris Match, d’une place forte, défendue par des gens lourdement armés, d’une citadelle, mais aussi d’une ville, une ville dans la ville, en construction, et aspirant à tout ce qui définit une ville puisque le chef ‘Mawozo’ dit au prêtre français qu’il a ‘besoin de creuser des puits pour l’eau potable’, également de ‘construire une école et un hôpital’.
Donc une citadelle habitée et auto-suffisante, comme les châteaux forts dans les contes médiévaux. Non une simple cachette pour une nuit, mais une véritable ville avec logements pour des familles entières, écoles, hôpital, y compris le temple vodou, éventuellement !


Est-ce que ‘Lanmou 100 Jou’ est en train de rêver ?
Ou de bluffer ?
Veut-il trouver une excuse pour les kidnappings dont c’est son gang ‘400 Mawozo’ qui est devenu le number one ?
Mais voici que tombe aussi sur les réseaux une vidéo montrant le numéro 1 des numéros 1, bien sûr le fameux ‘Barbecue’, de son vrai nom Jimmy Chérizier, ex-policier, créateur du gang des gangs, ‘G-9 fanmi e alye’ barbotant dans une énorme piscine en plastic avec des dizaines de gosses et remerciant un supporter qu’il dit de la Diaspora de leur avoir fait ce cadeau qui est, selon lui, bien sûr la justification de l’action qu’il entreprend.
Tiens, tiens !
En Haïti, le gangstérisme mène donc à tout, même à tout ce qu’on n’aurait jamais imaginé : l’action sociale.


Traduisez la reconstruction d’un pays abandonné il est vrai à tout point de vue par ses dirigeants. Voilà donc les gangsters en train de nous faire la leçon. C’est l’absence d’un véritable Etat responsable qui explique leur existence … Or cela ne saurait nullement justifier les nombreux crimes (meurtres, massacres, viols etc) commis.
Donc difficile de prendre au sérieux les discours tenus aujourd’hui par les ‘Lanmò 100 Jou’, Barbecue et consorts, ceux-là mêmes qui ont jeté tant de douleurs dans tant de familles …
Cependant voici aussi ‘Ti Lapli’ qui s’en prend au pouvoir et à la minorité riche (les fameux ‘oligarques corrompus’ comme dit l’autre) pour refus de l’aider à achever un hôpital qu’il dit être en train de construire pour ses sujets dans la communauté de ‘Gran Ravine’.
Ou leur homologue de Village de Dieu, ‘Iso’ qui convoque les DJ les plus en vogue pour faire danser son petit peuple …
Et tout cela se passe sous nos yeux impuissants et ébahis.
Et tout cela se passe en l’absence totale de toute forme d’Etat, de pouvoir administratif, de force publique.
Et tout cela se passe pendant qu’on assiste, impuissant, à l’agonie de l’Etat haïtien, de l’Etat d’Haïti, pendant que Toussaint, Dessalines et jusqu’à Papa Doc doivent se retourner dans leur tombe.
Et tout cela se passe pendant que nos dirigeants s’en foutent royalement pour ne s’occuper que … de leurs propres fantaisies à eux aussi.
Ni plus ni moins que les chefs de gang.
Renfermés eux aussi dans leurs chimères … tout à fait similaires. Eh oui.
Pendant qu’on nous prépare un pays régi uniquement par des ‘bandes’ comme les Jean François et Biassou d’avant l’entrée en scène de Toussaint Louverture pour poser la première pierre de ce qui deviendra un jour Haïti, la deuxième nation indépendante de l’Amérique. N’est-ce pas.
Oui on est en train de nous ramener au Moyen Age.
Un pays divisé en autant de petits bourgs, de ‘ti kote’ habités par des quasi-sauvages, d’éléments ni-homme ni-bêtes comme dans les films de fiction si à la mode aujourd’hui … Mais c’est du cinéma que tout ça, et pas la vraie vie comme doivent le penser les ‘G-9 alye e fanmi’.
Mais qui a planifié tout ça ?
Est-ce que tout cela arrive réellement par hasard ? Est-ce vraiment seulement la conséquence de nos inconséquences ?
En tout cas, quoi qu’il en soit, la seule bêtise, et celle qu’on pourra nous reprocher ce serait de ne rien faire, de ne rien tenter, de rester les bras croisés pendant que se poursuit cette descente dans le néant. ‘Tout bouli-n.’ A grande vitesse.
Plus vite que la navette qui amène les cosmonautes dans la nouvelle station spatiale.
Deux mondes allant dans deux sens … entièrement différents.


Marcus Garcia, Mélodie 103.3 FM, 4 Mai 2021