PORT-AU-PRINCE, 13 Avril – Le dernier communiqué de presse du Département d’Etat américain fait disparaitre de lui-même toute velléité de confier au gouvernement de Jovenel Moïse le soin d’organiser des élections cette année en Haïti avant que celui-ci ne plie bagages.

En effet le communiqué en question dépeint Haïti sans aucune concession en un terrible enfer que notre pays est devenu où comme dit la légende : seuls les plus justes seront sauvés, pour ne pas dire au train où vont les choses : ‘seuls plutôt les plus injustes.’

Le titre ne laisse aucun doute : ‘NE VOYAGEZ PAS EN HAITI’. Raisons : ‘KIDNAPPING, CRIME, TROUBLES CIVILS ET COVID 19.’

A l’exception du Covid, Haïti étant avec Cuba le pays le moins frappé du continent, le communiqué du Département d’Etat est tout ce qu’il y a de plus véridique dans son ‘country summary’ ou compte-rendu de la situation. « Le kidnapping fait rage et n’épargne pas les citoyens américains. Les kidnappeurs utilisent des plans sophistiqués et peuvent prendre avantage de la moindre négligence de votre part ; même des convois ont été attaqués. En dehors de la rançon exigée, des citoyens américains ont été physiquement victimes aux mains des kidnappeurs.

« Les crimes violents comme vols à main armée sont fréquents. Des voyageurs sont violemment attaqués après avoir laissé l’aéroport international de Port-au-Prince. Les criminels attaquent aussi des véhicules privés bloqués dans la circulation et souvent aussi s’en prennent aux conducteurs isolés, surtout les femmes. Pourquoi l’ambassade demande à son personnel d’utiliser du transport officiel en allant à l’aéroport et en en revenant.

« Les protestations, manifestations, barricades enflammées et routes bloquées sont fréquentes, imprévisibles et se transforment en violences. Le gouvernement américain a peu de possibilités pour fournir de l’assistance à ses citoyens dans ce genre de situations.

« La Police locale manque habituellement de ressources pour répondre aux incidents sérieux, y compris aux crimes.

« Il est recommandé de ne pas visiter les banques ni d’utiliser les ATM ; de ne pas conduire la nuit ; il est décommandé de visiter certains endroits sans des mesures de sécurité préalables … de confier des informations personnelles à n’importe qui ; et voyagez toujours en groupe d’au moins deux personnes … ».  Etc.

Voici donc comment le Département d’Etat américain décrit notre pays.

Or c’est le même pays que le même gouvernement américain juge apte à tenir des élections avant la fin de l’année, comme quoi les Haïtiens ne sont pas sujets aux mêmes conditions d’insécurité et de sauvagerie, comme quoi les Haïtiens seraient une race inférieure qui n’est pas soumise aux mêmes misères, que décrit si éloquemment la note de presse soumise par les diplomates américains en poste en Haïti.

Outre qu’on pourrait y ajouter la réaction des gouvernants haïtiens eux-mêmes après les récents événements qui ont provoqué ce sursaut sans précédent de la part des autorités américaines.

Au lendemain du dernier scandale provoqué par le kidnapping de 7 religieux catholiques (5 prêtres et deux religieuses), dont deux citoyens français, le dimanche 11 avril écoulé, et qui sont encore aux mains des kidnappeurs alors que nous écrivons ces lignes, réaction (bien obligée !) du président Jovenel Moïse :

Le chef de l’Etat promet la tolérance zéro contre les marchands d’armes. « Alors qu’il inaugure, le lundi 12 avril, un nouveau bâtiment pour loger l’Administration générale des douanes, Jovenel Moïse a insisté sur l’obligation pour les autorités judiciaires et policières de se montrer intraitables à l’encontre des trafiquants d’armes et de munitions. » (VBI)

Bref c’est comme si le gouvernement avouait qu’il n’a aucun moyen de combattre directement les réseaux de kidnappeurs et doit se contenter de formuler comme on dit des vœux pieux.

Il est vrai que la seule opération tentée jusqu’ici a été un échec lamentable, c’est celle de Village de Dieu où les unités spécialisées de la police nationale ont été battues à plate couture par les gangs, laissant plusieurs morts sur le terrain et au moins trois blindés également en otage.

Et c’est avec le même pouvoir que le même Washington, qui (dans sa dernière note) juge l’actuelle Haïti de Jovenel Moïse si peu fréquentable, veut nous forcer à aller à des élections. Ces dernières vitales bien entendu vu le degré de pourriture atteint par le système.

On aurait espéré que l’administration Biden ait pour nous une autre appréciation que le ‘shithole’ de l’ex-président Donald Trump au plus fort de sa lune de miel avec Mr. Jovenel Moïse !

Reste bien sûr à notre classe politique toute entière à se montrer elle aussi, d’un meilleur niveau. Et capable de refaire la réputation à ce point ternie, de notre cher pays.

Marcus Garcia, Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince