Brigades de vigilance ?
MIAMI, 8 Mars – Quelqu’un a dit ‘brigades de vigilance’? Armé seulement d’un sifflet, le peuple avait toujours su mettre lui-même en échec toute menace contre son quartier, ses familles, ses écoles, ses églises …
C’est ce qu’on appelle brigades de vigilance (en créole ‘Brigad vigilans’). Selon un slogan qui a fait fortune dans les années 1970, ‘un peuple uni n’est jamais vaincu.’
Donc alors pourquoi pas aujourd’hui refaire les ‘brigades de vigilance’ contre la dictature des gangs armés qui n’ont aucune pitié, aucun égard ni pour les écoles, ni pour les hôpitaux, ni pour les églises ?
Réponse : parce que les brigades de vigilance ont été détruites, autant par l’abus qu’en ont fait certains politiques que de manière délibérée par les forces réactionnaires, de l’intérieur comme de l’extérieur.
Les ‘brigades de vigilance’ sont probablement un instrument d’autodéfense aussi ancien sinon plus encore que la nation haïtienne elle-même.
Nos historiens en font souvent mention. A Port-au-Prince avant Cité Soleil qui fera l’actualité à partir de la chute de la dictature Duvalier en 1986, il y a eu le Bel Air historique.
Toute cette période d’après la fin de l’Occupation américaine du pays (1915-1934) est marquée par le rôle éminent souvent joué par ce qu’on appelle les masses populaires sur l’échiquier politique, et mouvement qui a plus d’une fois été indispensable pour débloquer la situation.
Tel le renversement du président conservateur et pro-Occupation Elie Lescot (1946) par la grève de Damiens …
Mais avertie, en 1957 l’armée du général pro-putschiste Antonio ‘Thompson’ Kébreau massacrera la population du Bel Air pour empêcher le ‘Rouleau’ comme le peuple revendicatif de la capitale se dénommais lors, de voler au secours du populaire président provisoire Daniel Fignolé qui fut embarqué le même jour pour l’exil.
Depuis et après quelques soubresauts vite écrasés par la dictature, celle-ci jouant aussi le divisez pour régner, le peuple fut contraint de rester dans ses quartiers, au fond de ses ‘lakou’. Cela durera 29 ans.
7 février 1986, Baby Doc s’enfuit au petit jour. De Cité Simone Ovide Duvalier, quartier abritant le gros de la main d’œuvre ouvrière à Port-au-Prince, naissance de Cité Soleil, la nouvelle base du peuple-souverain.
Cité Soleil joue le même rôle que le Bel Air trente ans plus tôt. Celui de faiseur de roi.
Le plus influent de ces derniers s’appelle père Jean Bertrand Aristide, surnommé ‘Titid’.
Après de nombreux bouleversements, élu président de la république, en décembre 1990, celui-ci fut renversé dans un violent coup d’état militaire à peine 7 mois plus tard.
Et commence une entreprise de décapitation et de démembrement systématique de cette nouvelle citadelle par le peuple et pour le peuple.
A cette fin, comme hier les tontons macoutes de Papa Doc, les militaires putschistes créent une milice civile, le FRAPH.
Cible principale : le mitraillage chaque nuit des maisonnettes de Cité Soleil ; mais aussi casser partout en ville et nous y arrivons, les foyers de brigades de vigilance.
Parce que la différence entre celles-ci et le bidonville de Cité Soleil, c’est que la brigade de vigilance n’a pas une couleur forcément d’appartenance politique, ce sont des groupes de citoyens dits engagés qui s’organisent pour assurer la protection de leur quartier contre le gangstérisme, criminel ou politique.
Il en sort de partout. Aussi bien dans les hauteurs de Martissant, quartier ouvrier, qu’au Bois Verna ou dans les hauteurs de Turgeau, plus résidentielles.
Alors que s’est-il passé ?
Pendant trois ans (1991-1994) que durera le gouvernement militaire putschiste, un travail systématique a été accompli pour éliminer de la scène les brigades de vigilance. Celles-ci ayant été jugées peut-être encore plus dangereuses par qui de droit, que les masses de Cité Soleil. Dangereuses bien sûr pour les intérêts des oligarchies autant nationales qu’internationales.
A tel point que lors de la seconde confrontation avec le même Aristide réélu cinq ans plus tard (2001), les rapports de forces ne sont plus les mêmes. Si le pouvoir ‘Lavalas’ détient encore Cité Soleil, par contre les quartiers du centre-ville ne bougent pas, ayant perdu leur engagement, leur force de frappe, par la force des choses.
Tandis que, chose inimaginable de tout temps, voici la jeunesse universitaire de Port-au-Prince, depuis toujours foyer de rébellion aussi bien contre les pouvoirs économiques que contre les pouvoirs autoritaires, voici l’université qui se jette aussi dans la bataille mais dans le camp des forces économiques, bref de la bourgeoisie et face aux organisations populaires (OP) rangées derrière Aristide.
C’est le grand bouleversement. Les étudiants n’étaient pas obligés de prendre position en faveur d’Aristide et de son populisme aux objectifs incertains, oui mais ni non plus et encore moins en faveur de l’oligarchie, renversant des traditions aussi anciennes que l’existence de la nation elle-même.
L’université d’Etat d’Haïti, hier principal bastion de la lutte contre la dictature Macoute, s’est laissée manipuler. A coups de bourses d’études et autres car ce qu’on appelle les ‘grandes puissances’ étaient aussi dans le coup et jusqu’au cou dans la bataille autour de 2004. Jusqu’à la célébration du Bicentenaire de notre indépendance nationale (1804-2004) qui passera aussi à la trappe. Dessalines doit encore se retourner dans sa tombe.
Conclusion : ce sont les fondements mêmes de l’arme de défense la plus importante depuis toujours aux mains de la population : les brigades de vigilance, qui ont été ainsi éliminées, coup sur coup.
D’abord sous les coups de boutoir de la dictature militaro-putschiste de 1991-1994 pour enlever à la jeunesse de Port-au-Prince toute possibilité d’influence sur les événements, préparant le règne de la démocratie mais que de nom, seulement sur le papier …
Ensuite les luttes de pouvoir Lavalas – GNB (‘grenn nan bouda’) mais les unes comme les autres, d’un côté comme de l’autre, sans lendemain parce que recherche du pouvoir pour le pouvoir. Et pour ses millions voire milliards. Comme on voit défiler actuellement dans les enquêtes de l’ULCC (unité de lutte contre la corruption) où tous se retrouvent compromis.
Quant à nos étudiants, ils auront beau essayé par la suite de se rattraper en redescendant dans la rue sous les gouvernements PHTK (Martelly – Jovenel Moïse, 2010-2021) mais sans succès, le peuple haïtien n’a pas la mémoire courte.
Néanmoins trêve de bavardage, revenons à l’actualité. Comment remobiliser la population face aux gangs qui ont fait main basse sur la capitale ?
Quelqu’un a dit : refaire les brigades de vigilance ?
Absolument.
Un peuple uni n’est jamais vaincu, dit la formule.
Comme on dit dans l’armée : refaire les rangs.
C’est toujours possible.
Pour cela il était bon aussi de revenir un peu en arrière pour savoir les pièges à éviter.
Et voir que si les brigades de vigilance ont été éliminées c’était dans l’intention de les remplacer par … en un mot : l’intervention internationale. L’ordre international. Le même qui nous fait tourner aujourd’hui en bourrique.
Alors oui refaire les brigades de vigilance.
Mais en réconciliant tout ce que nous avons ‘dé-concilié’ comme on vient de voir pendant ces dernières décennies.
En commençant par chasser les marchands du temple. Refaire la croisade sacrée.
En sommes-nous capables ?
Oui.
La preuve : n’a-t-on pas fait mieux que ça déja ?
Et déjà plus d’une fois.
Marcus Garcia, Haïti en Marche, 8 Mars 2023