Ariel Henry ou ‘En attendant Godot’ !
MIAMI, 28 Janvier – ‘En attendant Godot’ est la pièce bien connue de Samuel Beckett qui fut jouée à Port-au-Prince dans les années 1960 par la compagnie française Jean Gosselin qui lors se produisait en Haïti chaque année. C’est l’histoire de deux clochards qui dans leur délire, attendent leur délivrance d’un personnage à qui ils s’adressent comme si c’était un proche, d’un surnom familier (Godot), mais en même temps hors de leur portée, car Godot bien sûr c’est God, traduisez Dieu.
Le premier ministre d’Haïti Dr. Ariel Henry n’a qu’un mot à la bouche : l’intervention étrangère pour venir nous délivrer de la situation actuelle - mais surtout le délivrer lui-même du piège dans lequel il s’est enfermé et qui chaque jour se referme sur lui davantage.
Mais son ‘God’ est, comme il se doit, tout aussi à la fois proche et lointain que le ‘Godot’ de la pièce. Appelons-le par son nom : c’est Washington. Aujourd’hui l’administration Biden.

La semaine écoulée vient de se jouer ce qui ressemblerait plutôt à un 4e acte de la tragédie racinienne. Au prochain lever de rideau, c’est le 5e acte donc le sort final n’est plus bien loin.
Voilà. On est le jeudi 26 janvier. Ariel Henry débarque de Miami. Il revient d’un sommet des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) qui s’est tenu à Buenos Aires (Argentine) où il a débité son antienne : seule une intervention étrangère qui soit capable de délivrer Haïti des réseaux de gangs criminels dont elle est aujourd’hui prisonnière.
Mais cela fait plus d’une année que notre premier ministre adresse la même prière à qui de droit, le Godot du monde occidental, mais qui s’il ne reste pas sourd, nous fait tourner en rond s’il ne nous fait tourner en bourrique.
Cependant au fur et à mesure, la nature ayant horreur du vide dans ce domaine comme dans tout autre, eh bien la situation se gâte chaque jour, chaque heure toujours plus.
Ainsi, ce jeudi 26 janvier, notre premier ministre est attendu devant l’aéroport international de Port-au-Prince par des commandos menaçants de la police elle-même, la police nationale d’Haïti, la seule force publique alignée face aux gangs impitoyables mais déjà très faible en nombre et qui voit ses membres tomber comme des mouches.


En une semaine pas moins de treize agents trucidés et qui plus est, leurs cadavres emportés on ne sait où.
La colère est à son comble. Les policiers sont appuyés par des membres de la population criant eux aussi leur ras-le-bol.
On menace de renvoyer Ariel Henry d’où il rentrait.
Alors que se passa-t-il ?
Soudain Godot descend du ciel !
Le représentant du dieu suprême, traduisez le chargé d’affaires a.i. des Etats-Unis, M. Eric William Stromayer, débarque à l’aéroport local Guy Malary, attenant à l’aéroport international Toussaint Louverture, et sort notre PM du piège.
Une fois à l’abri, jusqu’à présent on ne sait trop où, voici ce dernier qui remet ça : ‘seule une intervention militaire internationale’ et patati et … patatras !
Mais qu’est-ce qui a changé ?
Apparemment rien. Ariel Henry va continuer avec ses mêmes lamentations. Comme un disque rayé …
Et pourtant.
Non ce qui a changé c’est que Godot a été obligé de montrer sa face. Ariel est dès à présent le zombi incarné. Qu’il le veuille ou non, mais après avoir sorti ce dernier du traquenard, c’est M. Stromayer qui est désormais lui-même aux commandes. Comme dit le créole, langue que notre chargé d’affaires semble par ailleurs apprécier : ‘Lougawou si se ou di se ou wi.’
Or cette histoire nous rappelle une autre presque en tout point similaire. On est dans les années 1986-1990. Au lendemain de la chute de la dictature Duvalier (7 février 1986). Les gouvernements provisoires se succèdent, l’ancien système ne se résignant pas à partir totalement. Au palais national s’accroche un autre serviteur zélé de Washington, le lieutenant-général Prosper Avril. Mais comme aujourd’hui le temps presse …
Débarque de la capitale américaine un certain ‘Bourik Chaje’ …
Ambassadeur Alvin P. Adams. Dès l’aéroport il annonce son ordre de mission. Et que ça saute ! Mais à la surprise générale, cela dit en bon créole : ‘Bourik chaje pa kanpe.’


Le succès fut immédiat. Y compris dans le bon peuple charmé par ce langage. Avril embarqué pour Miami. Premières élections démocratiques du pays le 16 décembre 1990.
Mais Bourik Chaje fut encore là, hélas, pour placer l’élu (Jean-Bertrand Aristide) dans l’avion qui, le 30 septembre 1991, le conduira en exil à Caracas (Venezuela).
Cependant aujourd’hui il y a une différence capitale avec ce temps-là. Oui c’était le bon vieux temps. Notre pays avait encore des personnalités dignes de ce nom. Je n’en citerai pas le nom. Ce n’est pas ce qui importe le plus que surtout lors, si l’on peut dire, nous étions à l’aube, tout au début de l’Histoire …
Tandis qu’aujourd’hui nous en sommes tout à fait … à la fin.


Oui nous vivons la fin d’une histoire, et d’une histoire ratée.
Qui pis est. Ariel Henry s’est enfermé dans le piège du pouvoir personnel plus que Baby Doc ne l’avait jamais été.
Autant que Papa Doc mais sans l’envergure, bien sûr.
Quant à Washington il a le choix entre laisser pourrir davantage la situation. Au risque de ne pouvoir lui non plus la contrôler avant longtemps.
Ou se dire que Haïti n’étant pas l’Ukraine … il n’a nulle raison de se presser.
On verra !
Ariel Henry ou En attendant Godot ! … Mais avec des acteurs jouant si mal leur rôle que c’était dès le départ la catastrophe annoncée !

Marcus Garcia, Haïti en Marche, 28 Janvier 2023