Relations entre les émeutes et le séisme de 2010

PORT-AU-PRINCE, 13 Juillet – Les événements malheureux du week-end du vendredi 6 au lundi 9 juillet n’en sont pas moins aussi les conséquences de la négligence collective face aux dégâts laissés par le séisme qui a détruit la capitale haïtienne le 12 janvier 2010 (pas moins de 150.000 morts) et dont les conséquences s’étalent encore partout, sans aucune tentative de réparations, au vu et au su de tous, nationaux et internationaux.
Qui pis est, plus de 10 milliards de dollars américains reçus dans un fonds d’assistance extérieure, ont disparu mystérieusement. Avec une complicité internationale certaine. En tête, l’ex-président américain Bill Clinton.
Outre 3.6 milliards dilapidés dans un fonds placé sous l’autorité directe des gouvernants haïtiens : le fameux scandale Petrocaribe ou milliards tirés des revenus du pétrole livré à Haïti à un tarif préférentiel par le Venezuela.
A côté, au moins 3,5 millions d’âmes (sur 10 à 11 millions qui constituent la population globale d’Haïti) obligés de se serrer encore plus qu’avant la ceinture et dans de nouveaux bidonvilles de fortune (Canaan au nord, Cité de Dieu au sud, des appellations qui ne sont pas sans une signification fort symbolique), mais dont un plus grand nombre encore dort chaque nuit à la belle étoile. Notamment au Champ-de-Mars, la plus grande place publique du pays, au centre de la capitale.
Aussi quand éclate une situation comme les émeutes du week-end dernier (6 au 9 juillet 2018) et que les forces policières disparaissent de la circulation comme par magie, c’est bien entendu une occasion inespérée.
Un cadeau du ciel !
Vous devinez la suite.
L’explication pourrait s’arrêter là.
Bien entendu on jette la pierre sur le pouvoir en place.


Celui-ci ne mérite pas mieux. Non seulement c’est lui qui a pris la décision qui a mis le feu aux poudres : une augmentation excessive (malgré les mises en garde) des prix du carburant à la pompe (de 38 à 51%) et dans un contexte de pouvoir ‘ti zanmi’ c’est-à-dire en chasse gardée, avec utilisation sans contrôle des derniers maigres deniers du trésor public dans des opérations tape à l’œil symbolisées par la remise par le chef de l’Etat des clés d’une voiture toute neuve à une fillette de 9 ans pour avoir apprécié sa façon de danser ; on peut aussi reprocher au président Jovenel Moïse d’avoir voulu passer l’éponge sur le scandale qui en est venu à constituer la principale ligne de force dans la lutte politique en Haïti : pour ou contre un procès Petrocaribe ! …

Gaspillage des fonds de l’assistance post-séisme ...
Cependant on ne peut lui reprocher ni le gaspillage des 13 milliards de l’assistance post-séisme dont l’ex-président Bill Clinton aurait des comptes à rendre pour ses choix qui n’ont rien à voir, mais absolument rien avec la population victime du cataclysme (investissements dans la construction d’hôtels 5 étoiles etc).
Ou encore de grandes ONG internationales qui se seraient payées du bon temps, comme le scandale OXFAM le révèle. Entre autres …
Tout comme l’actuel gouvernement n’a à voir directement avec les projets qui ont été sélectionnés pour l’utilisation des fonds Petrocaribe (3.6 milliards).
On est sous l’administration du président Michel Joseph Martelly et du premier ministre Laurent Salvador Lamothe.
Délaissant la reconstruction du centre-ville de Port-au-Prince qui a été totalement détruit, ces messieurs (et dames) optent pour opérer des dépenses urbanistiques somptuaires dans la commune de Pétionville, banlieue de la capitale et déjà chasse gardée des plus fortunés, mais surtout qui n’a pas été autant affecté par le séisme.
Cependant leur décision fut généralement bien accueillie. Bien entendu ceux qui font l’opinion, comme on dit, ont aussi leurs antennes à Pétionville.

Le peuple tenu en dehors ...
Mais sur ce, les petits marchands et petites marchandes du quartier commercial de la capitale, s’empressent eux aussi de transporter leurs tréteaux dans cette nouvelle vitrine commerciale.
Mal leur en prit. L’administration communale de Pétionville leur interdit les lieux. Ne venez pas transformer notre petite cité touristique en une pétaudière comme Port-au-Prince !
Ce sont probablement beaucoup de cette population-là, rejetée dans les projets d’urbanisme avec les fonds qui devraient naturellement être consacrés davantage au relèvement de la capitale après le séisme, qui se trouvait les samedi 7 et dimanche 8 juillet écoulés dans le pillage systématique des grands centres commerciaux particulièrement de Pétionville et de Delmas.
Bien entendu ces mêmes milieux d’affaires n’avaient rien trouvé à redire aux choix de l’ex-président Martelly.
Pas étonnant non plus qu’aux premières heures de cette révolte populaire (mais plus razzia, ou en créole ‘bale wouze’, que révolte au sens politique du mot), l’ex-président Martelly ait jugé plus prudent de grimper dans un hélicoptère avec toute sa smala pour se réfugier en République dominicaine voisine, où il a non seulement son pied à terre mais également des complices – affaire du sénateur Felix Bautista indexé par le Département du trésor aux Etats-Unis pour sa participation à la dilapidation en Haïti des fonds Petrocaribe.

Nous tous qui faisons la politique de l’autruche ...
Ainsi donc, nos décideurs (ceux du gouvernement comme les autres : secteur privé, organisations internationales réfugiées également dans ces hauts lieux fuyant la capitale transformée en ‘zones rouges’, bref tous nos décideurs, aussi bien nationaux que internationaux) devraient pouvoir tirer les leçons qui s’imposent après ces événements du 6 au 9 juillet derniers.
Conclusion : nous vivons sur un baril de poudre. Et par notre propre faute.
C’est-à-dire non seulement celle des dirigeants en place mais aussi de nous tous, qui faisons la politique de l’autruche. A commencer par les milieux possédants qui pensent pouvoir toujours tirer les marrons du feu, en quelque situation que ce soit.
Parce que, comme dit encore le créole : ‘pita pi tris.’
Les émeutes du week-end dernier c’est seulement le hors d’œuvre.
‘Se twòkèt la, chay la dèyè.’
Comme s’intitule un célèbre film sud-américain : ‘La prochaine fois, le feu !’
Et nul n’est exempt.

Haïti en Marche, 13 Juillet 2018