Que nous veulent nos voisins Dominicains ?

JACMEL, 26 Mars – Rien apparemment de plus contradictoire que les informations qui nous parviennent de chez nos voisins Dominicains.
D’un côté, le directeur général des douanes dominicaines demande une nouvelle fois la levée de l’embargo sur un grand nombre de produits alimentaires et industriels dominicains interdits d’entrée sur le marché haïtien par la frontière terrestre … (dépêche de l’Agence haïtienne de presse – AHP, 19 mars 2018).
D’un autre côté, Alterpresse nous apprend que les autorités de la république voisine ont rapatrié en une semaine près de 3.000 migrants haïtiens, selon le journal dominicain El Caribe.
‘2.793 sans papiers haïtiens ont été arrêtés et renvoyés en Haïti, du 9 au 16 mars 2018, a informé le ministre dominicain de la défense, Ruben Dario Paulino Sem. Ces arrestations ont lieu dans le cadre d’une opération de sécurisation de la frontière, a-t-il rappelé.’
Alterpresse poursuit : les ressortissants haïtiens sont contraints de fuir la région de Pedernales, depuis le lundi 12 mars, par peur des représailles annoncées par des commandos de civils dominicains suite à l’assassinat d’un couple dominicain dans cette province et crime imputé à un ou des ressortissants haïtien.
Certains aussi de ces derniers auraient été tués ou blessés au cours des événements (aucune confirmation).
Entretemps les autorités locales de la province de Pedernales auraient sommé leurs homologues haïtiennes (de la localité d’Anse à Pitre) de leur remettre le présumé auteur de l’assassinat du couple de fermiers dominicains, qui se serait ensuite enfui dans son pays Haïti (bulletin AHP).
Dès lors c’est le gel au niveau des relations entre les autorités municipales de ces deux provinces de part et d’autre de la frontière : Pedernales et Anse à Pitre (Sud-est).
Mais qu’apprenons-nous par le site d’informations rezonodwes.com : ‘à cause de l’absence des Haïtiens, les ventes à Pedernales ont été réduites à moins de 20%’ et c’est la panique chez les commerçants dominicains ainsi que chez les autorités municipales.
Le marché binational, qui se tient les lundi et vendredi, est fermé depuis deux semaines pour éviter une confrontation directe entre les deux communautés dominicaine et haïtienne.

Lequel tient l’autre ? ...
Selon le maire de Pedernales, Luis Félix Matos (surnommé Minguito), si la semaine prochaine (c’est à dire cette semaine) la situation n’est pas rétablie : la zone de libre-échange et la plupart des entreprises pourraient être obligées de fermer, ce qui laisserait plusieurs centaines de personnes sans travail dans une localité où les sources d’emplois sont rares.
Aussi qui tient l’autre par le ventre ?
On pourrait croire que c’est à l’avantage des Dominicains, à voir le flot de petits commerçants ou tout simplement de besogneux Haïtiens allant et venant dans tous les sens comme des fourmis sur le pont de la rivière Massacre (Nord-est) transportant des caisses de bananes, des poulets, des matériaux de construction, les uns à bord de véhicules, surtout des motos, mais beaucoup à la main et à pied, on peut donc en déduire que les Haïtiens de toute évidence mourraient de faim s’il n’y avait les produits dominicains.
Or avant que la famine ne frappe les Haïtiens d’Anse à Pitre, ce sont les producteurs et les commerçants de Pedernales qui n’en peuvent plus.
Comme quoi, tel est pris qui croyait prendre !

 

Carence de main d’œuvre immigrante haïtienne ...
Mais il y a aussi cet article paru dans le Listin Diario selon lequel : les autorités dominicaines se plaignent que la majorité des immigrants haïtiens abandonnent les fermes agricoles dès qu’ils obtiennent des papiers d’identité.
Ainsi fini le temps où des immigrants haïtiens pouvaient s’établir pour toute la vie dans les villages construits pour les coupeurs de canne dans la république voisine ou ‘bateys’.
Alors que la République dominicaine ne reconnaît plus la nationalité dominicaine qui était accordée à leur progéniture née dans le pays voisin, cela depuis les années 1930.
En effet une récente disposition de la cour constitutionnelle dominicaine a aboli ce privilège, sous prétexte que ces ‘viejos’ n’étaient pas des résidents permanents mais plutôt des travailleurs saisonniers.
Revenons à l’article du Listin : la production et l’exportation de bananes vers le marché européen se trouve en grave danger pour manque de main d’œuvre étant donné que la majorité des travailleurs agricoles sont d’origine haïtienne et que ces derniers, dès qu’ils ont obtenu les documents d’identification, abandonnent les fermes et émigrent vers la zone touristique comme l’Est, la Côte Nord et les grandes villes comme Santo Domingo (la capitale), Santiago etc.
Rafael Sosa, directeur exécutif de l’Association agricole du Nord-Ouest, qui regroupe la majorité des producteurs de bananes, a expliqué au journal que la République dominicaine est sur le point de perdre le marché d’exportation de bananes vers l’Europe à cause de cette carence de travailleurs agricoles.
Selon Rafael Sosa, pas moins de 15.787 Haïtiens qui travaillaient dans les fermes agricoles dans le Nord-Ouest, sont tous partis vers les centres touristiques comme Bàvaro (Est), la côte Nord et les grandes communautés urbaines, cela dès qu’ils ont obtenu les documents d’identification.
Or, explique le dirigeant agricole, ces documents sont incontournables, parce que c’est une obligation imposée par le Marché commun européen. Tous les étrangers qui travaillent dans la production destinée à ce dernier, doivent avoir une certification légale ainsi que l’accès à différents services publics.
Selon Rafael Sosa, il y a aussi des Haïtiens qui obtiennent un visa dominicain sous le prétexte de venir travailler dans les fermes agricoles mais pour beaucoup d’entre eux c’est plutôt dans l’intention d’aller au Chili ou au Brésil.

Une véritable muraille de Chine ...
Or c’est dans le même temps que les autorités dominicaines se conduisent comme si elles étaient sur le point d’ériger une véritable muraille de Chine à la frontière entre les deux pays, y transportant plusieurs milliers de nouvelles troupes appuyées d’hélicoptères, de drones, d’instruments de surveillance électronique, etc.
C’est en même temps aussi que se déclenche une énième chasse à l’homme dans la région des Pedernales, forçant plusieurs milliers de ressortissants haïtiens à déguerpir de l’autre côté, à Anse à Pitre, et de là vers le chef-lieu du département du Sud-Est, Jacmel où grouille déjà une nouvelle population de mendiants et de besogneux installant leurs chaudières de nourriture graisseuses et leurs sacs de charbon de bois au beau milieu du quartier touristique de la ville, l’un des rares existant encore dans tout le pays.
En même temps enfin que le directeur général des douanes dominicaines, Enrique Ramirez Paniaqua, vient demander une nouvelle fois la levée de l’embargo interdisant l’entrée d’un grand nombre de produits dominicains par la voie terrestre avec Haïti.
Cela parce que représentant un grand manque à gagner pour les recettes douanières haïtiennes à cause de la contrebande qui s’y donne libre cours. D’un côté comme de l’autre.
Selon la dépêche de AHP, la demande dominicaine aurait ‘rencontré un certain niveau de réceptivité’ de la part des responsables des douanes haïtiennes ainsi que du ministère de l’Economie et des Finances.
Que nous veulent nos voisins les Dominicains ?

Un marché de dupes ? ...
Non il n’y a peut-être aucune contradiction dans les termes ou entre leurs différents comportements …
Sinon qu’ils espèrent pouvoir avoir de nous à la fois tout. Et le contraire de tout.
Comme quoi Haïti n’existe que comme une population qu’on peut exploiter à tous les niveaux : comme main d’œuvre même apparemment incontournable, tout comme pour l’écoulement d’un surplus de production qui garantit à nos voisins le meilleur taux de croissance dans toute la Caraïbe.
Quel rôle joue l’Etat haïtien dans ce marché de dupes ?
C’est justement son absence totale qui fait défaut et empêche des relations qui soient plus équitables. Au bénéfice aussi bien d’un côté que de l’autre.
Et pourquoi les dirigeants haïtiens persistent-ils à rester dans cette absence ?
Nous avons failli dire ... à se complaire dans cette absence !

Haïti en Marche, 26 Mars 2018