Haïti : nouvelle approche par l’administration Trump

JACMEL, 17 Mars – Un discours aussi important d’un ambassadeur américain en Haïti mérite d’être décrypté, passé au peigne fin.
Tel celui qui a été prononcé le 13 mars écoulé, par Mme l’Ambassadeur Michèle Sison à l’Université Henri Christophe de Limonade, Nord d’Haïti.
D’abord c’est une nouvelle reconnaissance du pouvoir en place par les Etats-Unis et une confirmation des rapports de travail que Washington entend entretenir avec lui.
En même temps que ce discours ignore la remobilisation des ex-Forces armées d’Haïti par l’actuel chef de l’Etat Jovenel Moïse, en s’engageant plutôt à renforcer la Police nationale d’Haïti avec la création de nouvelles unités, cependant est ignorée également la nouvelle mission onusienne connue sous le nom de MINUJUSTH (mission des Nations Unies pour l’appui à la Justice en Haïti).
A un moment où le gouvernement se trouve en grande difficulté sur le plan économique (lui-même le reconnaît par la voix de plus d’un ministre proclamant pratiquement que les caisses sont vides) et que non seulement l’opposition appelle à son départ mais certains milieux d’affaires cachent mal aussi leur mécontentement, eh bien les mots du représentant attitré de l’administration américaine valent leur pesant d’or.
Nous citons : ‘Aujourd'hui, après une période d'impasse politique, Haïti a mis en place un gouvernement démocratiquement élu. A présent, les États-Unis et la communauté internationale ont donc un partenaire à long terme avec lequel nous pouvons collaborer, pour aider le pays à construire un avenir prometteur.  Nous continuons sans faille à travailler pour soutenir les objectifs et la vision de son peuple.
‘Effectivement, nous travaillons ensemble pour le brillant avenir d'Haïti.’
Les mots de ‘partenaire à long terme’ ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd.


Le président Moïse peut aussi considérer comme un satisfecit le coup de chapeau par l’ambassadeur Sison à son programme ‘Caravane du changement’ …
‘Nous sommes fiers de contribuer à la production agricole nationale d'Haïti et nous croyons que Son Excellence le Président Jovenel Moïse, avec l'attention particulière qu'il apporte à l'agriculture dans le cadre de la Caravane du Changement, est également fermement déterminé à soutenir la production agricole nationale et à favoriser les opportunités dans le secteur agricole pour le peuple haïtien.’
Par contre le président haïtien continue à buter contre un mur dans sa tentative de remobilisation des Forces armées d’Haïti dont il vient d’annoncer les noms des autres membres de l’Etat-major.

Cette initiative est ignorée superbement par la représentante attitrée de l’administration américaine, qui a mis en avant pendant près de la moitié de son discours les efforts actuellement entrepris par les Etats-Unis pour consolider l’institution policière, y compris par la création d’entités nouvelles comme la POLIFRONT :
‘En outre, toujours pour renforcer l'état de droit, la coopération bilatérale entre nos deux pays soutient aussi la Police Nationale d’Haïti, en l’aidant à améliorer sa capacité institutionnelle et augmenter ses effectifs pour mieux servir le peuple haïtien.
‘Dans les départements du Nord et du Nord-Est, les États-Unis ont construit la prison à Fort Liberté II, les commissariats de police dans les environs de Caracol et Terrier Rouge, et les installations du Bureau de Lutte contre le Trafic des Stupéfiants (BLTS) ici au Cap Haïtien.
  ‘Plus tard aujourd'hui, je rendrai visite à la brigade de lutte contre les stupéfiants appuyée par les États-Unis près de l'aéroport de Cap-Haïtien, où nous avons récemment achevé une rénovation du bâtiment du Sous-Commissariat.
  ‘Nous avons également aidé à mettre en place l'unité de police des frontières nouvellement créée, POLIFRONT.
  ‘Je suis très heureuse d'avoir pu participer hier à une cérémonie avec l'Organisation Internationale pour les Migrations et des représentants de la PNH pour remettre cinq véhicules à POLIFRONT.’

Chasse à l’homme contre les haïtiens à la frontière …
Cela à un moment où des commandos de civils dominicains sont lancés dans une chasse à l’homme contre les résidents haïtiens dans la zone frontalière.
Mais aussi à un moment où la misère innommable qui frappe le pays force un nombre plus grand que jamais de compatriotes à tenter de se réfugier dans le pays voisin.
Voilà un problème qui aurait dû être adressé par l’Etat haïtien lui-même. Ce n’est pas le cas. A quoi sert donc ce dernier, aurait-on envie de demander quand, quoique dise l’ambassadeur Sison en faveur du pouvoir en place, c’est une autre institution internationale et non le gouvernement haïtien qui sert de partenaire dans le projet POLIFRONT :
‘Je suis très heureuse d'avoir pu participer hier à une cérémonie avec l'Organisation Internationale pour les Migrations et des représentants de la PNH pour remettre cinq véhicules à POLIFRONT.’
Cependant, coup de théâtre, la Police nationale n’est pas seulement privilégiée par rapport à la tentative présidentielle de recréer l’armée (tentative probablement mort-née puisque avec quel financement !), mais pas un mot non plus de la mission onusienne, actuellement la Minujusth (mission de support à la justice).
Alors même que la question justice n’est pas ignorée dans l’intervention de Michèle Sison :
‘Je devrais également ajouter que notre assistance en matière d'état de droit vise également à renforcer l'indépendance de la justice, à réduire les niveaux de détention prolongée et à soutenir les réformes législatives
‘Et bien sûr, le développement à long terme d'Haïti montre l'importance de l'état de droit et à maintenir des institutions transparentes et responsables pour améliorer l'avenir des citoyens haïtiens.
  ‘Par exemple, notre visite au Tribunal de Première Instance du Cap-Haïtien hier m'a permis d’être témoin de l’importance de notre partenariat avec le secteur judiciaire ici dans notre projet de soutien à l'état de droit à travers l'USAID.’

Le secteur privé doit également apporter sa pierre …
Au moment où le gouvernement vient de signer un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) pour la relance de l’économie, contenant parmi ses dispositions la suppression d’un certain nombre de subsides et de franchises, y compris sur le coût de la gazoline et de l’électricité, nous citons :
‘La question de la croissance économique locale ici en Haïti est d'une importance cruciale - nous sommes tous d'accord que l'État haïtien doit générer des revenus grâce aux douanes et à la fiscalité, afin que l'État puisse assumer ses responsabilités envers la santé, l'éducation et les autres services sociaux. Et je sais que nous sommes tous d'accord sur le fait que la seule façon de réussir est de générer un momentum de croissance économique, en créant des opportunités économiques supplémentaires.’
Et plus loin : ‘Le secteur privé a bien sûr un grand rôle à jouer dans ce domaine.’
Cette phrase peut avoir plus d’une signification : le secteur privé doit avoir les moyens de progresser.
Mais aussi : il doit également apporter sa pierre aux efforts pour rebâtir l’économie.

Renversement des alliances …
Cependant par-dessus tout le discours de l’ambassadeur Michèle Sison est un renversement total de l’approche par l’administration américaine de la question Haïti.
Depuis les troubles de 2004 (renversement brutal du président Jean-Bertrand Aristide), le gouvernement américain avait une approche de concert avec la communauté internationale dans toutes les questions politiques importantes en Haïti.
A commencer par la présence depuis lors d’une force onusienne de maintien de la paix : MINUSTAH ou Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti.
La Minustah a été démobilisée après 14 ans et remplacée par une force moindre : la MINUJUSTH.
Cette dernière a eu récemment maille à partir avec le gouvernement de Port-au-Prince après la diffusion d’une note de presse félicitant des citoyens qui ont porté plainte dans le cadre du dossier dit de dilapidation des fonds Petrocaribe (plus de 3 milliards de dollars puisés sur la caisse publique).
Le gouvernement haïtien a demandé le rappel de son ambassadeur à l’ONU, estimant que la MINUJUSTH avait outrepassé son mandat.
Toujours est-il que à lire entre les lignes du discours du nouvel ambassadeur des Etats-Unis : Washington semble désormais vouloir décider tout seul en ce qui concerne les affaires haïtiennes.
Ni retour des Forces armées d’Haïti …
Ni non plus de présence de forces internationales.
Mais dernière question : que devient ce qu’on appelait jusqu’à un passé encore récent : le Groupe des Amis d’Haïti ? Soit les Etats-Unis, la France, le Brésil etc. ?

Marcus, Haïti en Marche, 17 Mars 2018