FURCY, 18 Avril – Nous voici repartis pour la énième édition d’un théâtre de l’absurde parce que se reproduisant en vain depuis toujours.
L’opposition part à l’assaut du pouvoir. Celui-ci rassemble aussi ses forces. Mais avant le choc final, un troisième larron intervient qui emporte la mise.
Au fait, jamais un chef d’état en Haïti n’a été renversé effectivement par l’opposition. Cela depuis près d’un siècle. Depuis le dernier président issu du cacoïsme (1915) ouvrant la voie à l’occupation américaine du pays jusqu’en 1934.
Au temps des Cacos, un chef local levait sa propre armée, souvent sur sa propre tirelire (genre Viva Zapata !), et marchait sur la capitale pour en chasser le dictateur en exercice. C’était notre forme d’alternance démocratique à nous !

A la barbe des héros …
Contrairement à la légende, Baby Doc n’a pas été renversé par une révolution le 7 février 1986. Mais avant que cette dernière n’eût le temps de se concrétiser, Washington le poussa dans un avion en partance pour la France et confia le pouvoir aux forces armées d’Haïti.
En 2004, idem. Au moment où un large mouvement de subversion (secteur économique, classes moyennes, étudiants, guérilla armée) allait entrer en collision directe avec les masses soutenant le président Jean-Bertrand Aristide, que les troupes américaines et canadiennes débarquèrent, le 29 février 2004.
A chaque fois un gouvernement provisoire est installé qui subtilise le pouvoir à la barbe des nouveaux héros du jour.

Comme une maladie congénitale …
On peut déjà en dire autant du coup d’état militaire de septembre 1991 qui vit l’armée d’Haïti envoyer ‘Aristide 1’ en exil.
Trois années plus tard celui-ci est ramené à son poste par les forces armées des Etats-Unis (septembre 1994)pour organiser des élections qui donneront le pouvoir à celui qui était lors son dauphin, René Préval (1996-2001).
Ou remonter jusqu’aux événements de Quarante-six (1946). Un mouvement insurrectionnel conduit par la gauche intellectuelle, force à se démettre le président Elie Lescot.
Un major des forces armées nommé Paul Eugène Magloire, homme de confiance du Pentagone, manoeuvra intelligemment et maitrisa la situation.
D’abord faisant élire son favori, le président Dumarsais Estimé (1946-1950). Puis renversa ce dernier à son tour et monta sur le trône (1950-1956).
A chaque fois, coup de théâtre. Le petit oiseau (l’Aigle étoilé !) sort de la boite. Coucou ! Et l’opposition en est pour ses espoirs perdus.
Pourtant on recommence à chaque fois comme avant et sur le même modèle. Ni revu ni corrigé.
C’est une constante de notre Histoire, comme une maladie congénitale : les présidents qui ne finissent pas leur mandat. Et contre laquelle l’occupant américain (1915-1934) n’a rien pu. Sinon s’empresser à chaque fois d’intervenir à nouveau avant que la situation ne lui échappe. Ce qui explique pour une bonne part la tolérance envers la dictature Duvalier au moment où le communisme cubain faisait monter les enchères dans la région. Situation dont Papa Doc a su bien tirer parti pour prolonger son règne tyrannique pendant 29 ans (1957-1986)

Jusqu’où on peut aller trop loin …
Or cela devrait supposer plusieurs leçons à retenir.
Et des deux côtés. Pouvoir et opposition.
D’abord l’opposition. Il est plus facile de pousser au radicalisme dans un pays où les gens n’ont aucun espoir que de prendre le temps de créer une alternative crédible qui puisse convaincre notre (incontournable) puissant voisin de voir venir un peu.
Bref pour l’opposition la question devrait être : savoir jusqu’où on peut aller trop loin, sans précipiter l’irruption du gendarme régional qui craint de se retrouver à chaque fois devant un vide encore plus grand.
Est-ce que cela signifie pour le pouvoir qu’il puisse dormir sur ses deux oreilles, sûr que son opposition n’a pas une meilleure feuille de route et que Washington a pour le moment d’autres chats à fouetter ?
Réponse : la même démonstration précédente prouve qu’aucun pouvoir n’est non plus à l’abri de l’envoi, sans avertissement, depuis la base américaine de Guantanamo d’un C130 pour embarquer (ou plutôt ‘débarquer’) un président et sa clique.

Faire la preuve que nous sommes enfin un peuple majeur …
Cela parce que le ‘grand frère’ est mieux renseigné que nous tous sur la situation réelle du pays. Il a des paramètres dont nous ne disposons pas pour évaluer le pouls réel de la situation.
Aussi n’est-il point obligé d’attendre la veille du grand soir pour passer à l’action. Et aujourd’hui où plus que jamais ses propres intérêts économiques semblent en jeu (parcs industriels, ports etc).
Bien entendu la moindre incartade d’un côté comme de l’autre peut précipiter le dénouement. Une provocation, une déclaration intempestive !
On se demande si nos politiciens prennent toute la mesure du labyrinthe dans lequel ils nous enfoncent.
La seule solution serait une prise de conscience suivie d’un accord garantissant un partage des responsabilités selon les règles de la transparence administrative et de l’alternance démocratique, autrement dit faire la preuve que nous sommes enfin un peuple majeur et capable de gérer nos petits différends.
Ce que le Dialogue d’El Rancho a pu faire flotter un instant. Mais pour être vite poignardé dans le dos.
Et continue le combat des gladiateurs. Toujours sans aucune issue que donner l’image d’une irresponsabilité totale dans un continent respecté aujourd’hui justement pour son prestige retrouvé et jalousement protégé. Regardez comment le Venezuela sur lequel a pesé ces derniers jours (et pèse encore) une menace bien pire, a su retrouver le chemin du dialogue.

Haïti en Marche, 18 Avril 2014