Dominicains et Haïtiens sous la même pression

PORT-AU-PRINCE, 9 Mai – Gros échec pour le gouvernement haïtien mais trois fois plus pour son homologue dominicain.
La rencontre binationale plusieurs fois reportée, a dû finalement être annulée.
Programmée pour avoir lieu le jeudi écoulé, 8 Mai, dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, les deux gouvernements ont fini par aboutir à la solution sans solution de tenir deux rencontres séparées et sans annonce publique, l’une à Santo Domingo réunissant les titulaires haïtiens du tourisme et de l’intérieur avec leurs vis à vis dominicains et cela en même temps qu’à Port-au-Prince une délégation ministérielle dominicaine (industrie et santé) rencontrait les nôtres.
Le premier ministre haïtien Laurent Lamothe, l’un des architectes de cette stratégie diplomatique parallèle dont le but serait (retenez bien le conditionnel), en s’asseyant avec le gouvernement dominicain, lui fournir la possibilité de sauver la face pour réparer la bévue (aux yeux du monde civilisé) de sa Cour constitutionnelle qui a commis l’arrêt 168-13 enlevant la nationalité aux Dominicains d’ascendance haïtienne.


Mais il s’avère après trois de ces rencontres que les autorités dominicaines veulent surtout en profiter pour faire des Haïtiens leurs complices, consentants ou pas, pour ne rien changer à cette disposition qualifiée partout de raciste.

Confusion la plus totale …
Comment faut-il interpréter la décision du gouvernement Lamothe de faire finalement volte-face ?
Aucune note officielle n’a été publiée à ce sujet. C’est motus et bouche cousue !
En même temps qu’aucun gouvernement haïtien, peut-être de toute l’Histoire, n’avait autant multiplié les relations d’affaires (au sens probablement aussi d’espèces sonnantes et trébuchantes) avec nos frères de la partie de l’Est. Mais en même temps, frères-ennemis …
Si l’on écoute certaines déclarations émises jeudi au milieu de la confusion la plus totale dans laquelle semble avoir sombré le scénario des rencontres dites bilatérales mais probablement depuis le début cousu de fil blanc. Ecumant de rage, le président de la Junte centrale électorale, l’organisme dominicain chargé de l’identification nationale des citoyens, Roberto Rosario, a déclaré que les Dominicains n’accepteront de se soumettre à aucune loi qui ait été influencée par les Haïtiens, poursuivant que Haïti est un pays qui ne peut même pas garantir la sécurité de ses citoyens, parce qu’il n’a pas d’armée et que sa police est si peu efficace qu’elle doit se faire appuyer par une mission onusienne (Minustah).

La CIDH n’a pas l’intention de lâcher prise …
L’ambassadeur d’Haïti à Santo Domingo, Dr. Fritz Cinéas, a toutefois nié que Haïti exerce des pressions sur la République dominicaine pour qu’elle fasse voter un projet de loi qui viendrait annuler la dénationalisation des Dominicains d’ascendance haïtienne, un droit acquis par soixante dix années sous la règle constitutionnelle du jus soli (droit du sol).
Bien sûr que non, parce que c’est la partie dominicaine qui s’y était engagée, dès la rencontre de Ouanaminthe, en janvier dernier. Histoire de calmer la fièvre des protestations qui commençait à monter. Notamment côté Caricom.
Non, la pression ne vient pas principalement d’Haïti. Vu l’estime qu’ils ont de nous (dixit Roberto Rosario), nos voisins dominicains s’en ficheraient totalement ! Par contre, ils ont affaire à la CIDH (Cour interaméricaine des droits de l’homme) et celle-ci n’a pas l’intention de lâcher prise.

Partie de poker-menteur …
Et c’est cette même pression de la CIDH pour qui la disposition du tribunal constitutionnel dominicain viole l’un des principes sacrés du monde d’aujourd’hui : condamner des milliers de citoyens à l’apatridie (comme les Juifs dans l’Allemagne nazie), pression aussi des Etats de la Communauté caraïbe (Caricom), à majorité afro-caribéenne et qui n’y voit ni plus ni moins qu’une disposition raciste, oui cette même pression a fini par forcer nos actuels dirigeants haïtiens à se résigner à mettre fin à ce petit jeu de faire semblant, négocier pour faire passer le temps, bref à cette partie de poker-menteur.
Et même lorsqu’ils enragent que nos voisins dominicaine ne peuvent le faire que contre nous alors que nous sommes si peu effectifs dans la contestation de leur décision.
En tout cas c’est aussi un point en moins dans l’ardoise, à l’actif de notre premier ministre qui semble mener les affaires de l’Etat avec la même fougue et la même orientation à sens unique du champion de tennis qu’il avait voulu être …

Haïti en Marche, 9 Mai 2014