Haïti-Rép. Dom. : un tel déséquilibre ne présage rien de bon

PORT-AU-PRINCE, 19 Avril – Haïti et la République dominicaine, deux Etats sur la même toute petite île mais qui ne se parlent pas.
Et aujourd’hui, semble-t-il, plus que jamais.
En tout cas, les seuls sujets d’actualité entre nos voisins et nous ce sont les sans papiers haïtiens qui traversent la frontière et se font ramener sans ménagement à leur point de départ quand ils ne se font tout simplement pas occire ; ensuite c’est la contrebande vu les importations monstre reçues par notre pays, on nous dit le troisième partenaire commercial (disons plutôt, premier client) d’une nation voisine qui a le taux de croissance le plus important (6,4) de la Caraïbe (Haïti : prévision 1,8).
Le troisième sujet de conversation c’est l’arrivée de la Chine, deuxième puissance économique de la planète chez nos voisins avec ses milliards en investissements.
Comment se pourrait-il que cela ne change la donne entre ces deux nations se partageant jalousement un même bout de terre ?
De toute évidence ces trois items (l’immigration illégale, la contrebande par la frontière commune et l’entrée en scène du géant chinois) menacent de bouleverser l’avenir de cette île de 76. 192 km2 (dont 27.750 pour la partie haïtienne) que nous appelons Kiskeya et nos voisins Hispaniola (première divergence – chacun revendiquant ses origines : Afro-caribéennes pour les Haïtiens et Hispaniques pour nos voisins).
Si l’on tente un peu de politique fiction, aujourd’hui aussi bien d’un côté que de l’autre qu’on aurait raison d’être inquiet.
La Chine voudrait utiliser la république voisine comme un tremplin pour ses visées économiques expansionnistes dans le continent et être plus près du plus grand marché du monde : l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada).
Et aussi comme un tremplin (pied à terre stratégique) à proximité des nouvelles puissances économiques régionales qu’on nomme le Brésil, le Mexique etc.
Moins d’une année après la reconnaissance diplomatique de la grande Chine (Pékin) par l’Etat dominicain, ce dernier rompant avec Taiwan comme une obligation, ce sont des centaines de millions qui sont tout de suite investis de l’autre côté de la frontière avec notre pays dans d’importants projets d’infrastructure (ports, aéroports, voies ferrées etc).

Toujours l’apport de main d’œuvre haïtienne ...
Cependant il n’y a pas un seul tournant dans l’histoire économique chez nos voisins qui n’ait nécessité un important apport de main d’œuvre haïtienne.
De l’industrie sucrière (1930) au passage à l’agriculture d’exportation (1970) pour déboucher sur les grands investissements dans le domaine ‘services’, principalement touristique (établissements hôteliers, modernisation du ‘Malecon’ - boulevard du front de mer, construction du métro de Santo Domingo etc.).


Nul doute que ce sera pareil avec les multiples projets (méga projets) envisagés ou même déjà en cours de réalisation, avec les milliards de la Chine.
Il y a fort à parier qu’on va continuer à entendre parler de la migration illégale haïtienne, mais de manière plus complexe. Comme autrefois sous Trujillo, les Haïtiens doivent rentrer chez eux, mais après que la saison est terminée. Au risque de ‘pogroms’ (chasses à l’étranger) comme on en a expérimenté encore récemment. Justement avant l’arrivée de la Chine et que le taux de croissance s’était un peu ralenti.
Parce qu’il est carrément impossible de ne pas profiter d’une main d’œuvre aussi abondante et la moins chère qui se puisse imaginer.

La disparition d’Haïti comme espace économique national ...
Et plus Haïti va mal, donc mieux ça vaut !
Car c’est ça l’autre pendant, Haïti de son côté ne peut s’empêcher d’aller plus mal, voyant partir de l’autre côté sa main d’œuvre la plus jeune et la plus qualifiée, mais aussi ses derniers cadres mais aussi les derniers emplois comme la compagnie sud-coréenne implantée au parc de Caracol (Nord-Est), Sae-A Trading Co. Ltd, entreprise de fabrication de vêtements pour exportation, qui fait elle aussi le grand saut dans la même direction, faisant perdre plus de 13.000 emplois à la main d’œuvre locale.
Mais aussi les capitaux privés haïtiens ... car on ne connaît plus individualiste, n’est-ce pas.
Etc.
Voici donc ce que nous promet, et tout de suite, l’arrivée de la Chine et ses milliards chez nos voisins.
La descente en enfer définitive, la tête la première.
En un mot, la disparition même d’Haïti comme espace économique national.
On ne se souvient d’aucun exemple semblable depuis la création de la Nation haïtienne en 1804.
Récapitulons : à la fois main d’œuvre, capitaux privés et entreprises créatrices d’emplois traversant de l’autre côté avec armes et bagages ...
No.2, la contrebande à la frontière, rebondissant avec le made in China, faisant perdre toujours plus à l’Etat haïtien des centaines de millions de dollars de taxes l’an, tout en inondant davantage notre pays que cela ne l’est déjà, la production nationale étant déjà au point mort, nos gouvernants qui aiment l’argent facile (dans tous le sens) ayant tout misé sur la taxation des importations plutôt que sur la production nationale comme richesse économique. Taxation mon œil !

Inquiétude aussi pour le Dominicain ...
Cependant autant l’Haïtien doit craindre une disparition pratiquement inscrite dans les faits, autant son homologue dominicain ne peut ne pas se méfier lui aussi d’un tel déséquilibre avec un (trop) proche voisin. Et qui plus est, celui-ci tenaillé par la faim !
De retour récemment d’une rencontre avec le président américain Donald Trump en Floride (Mar-a-Lago) avec des dirigeants caribéens, dont le président haïtien Jovenel Moïse, le président dominicain Danilo Medina a raconté en conférence de presse combien Trump n’en est pas revenu de l’énorme fossé économique entre les deux pays.
Jovenel Moïse, lui, n’en a pas rapporté un mot.
Quelque chose doit donc être fait pour éviter le cataclysme.
Les Haïtiens du haut au bas de l’échelle sociale, ne voient rien à l’horizon.
Ils n’ont plus confiance. Ni dans les choix de nos dirigeants.
Ni dans les promesses de la communauté internationale.
Mais ils savent par cœur ce qui nous attend.

Haïti en Marche, 29 Avril 2019