Le coup d’Etat qui mit fin au processus démocratique
PORT-AU-PRINCE, 2 Octobre – Ce n’est pas trop de dire que c’est en effet le plus sanglant coup d’état militaire survenu dans le continent ces trente dernières années.
Non seulement le jour même des événements les forces militaires tirèrent en plein dans la foule pendant qu’on entend sur la liaison radio le Major Michel François qui crie comme un forcené ‘Met mayèt nan janm yo’, mais pendant les trois années que dura ensuite le régime militaire putschiste, l’armée et ses sbires (sous l’acronyme FRAPH, dirigé par un cocaïnomane, Toto Constant) ne passèrent pas une semaine sans intervenir dans les quartiers populaires de Port-au-Prince, des Gonaïves (Raboteau) et des Cayes tirant à hauteur d’homme sur les paillotes. On parle d’un bilan autour de 3.500 morts.
Etant donné que le coup d’Etat du 30 Septembre 1991 n’avait pas seulement pour objectif de renverser un gouvernement (d’ailleurs le président Jean-Bertrand Aristide ne sera-t-il pas ramené au pouvoir trois années plus tard, en septembre 1994, à la suite d’une intervention militaire américaine) mais c’était un coup d’Etat pour enlever aux Haïtiens toute idée qu’ils peuvent décider eux-mêmes et tout seuls de l’avenir politique d’Haïti. Selon le mot du général Raoul Cédras lui-même : c’était une ‘correction démocratique’. Oui, pour bien montrer aux Haïtiens que la démocratie n’est pas ce qu’ils croyaient : une nouvelle indépendance, comme nous aimons à dire. Démocratie, oui mais sous haute surveillance !
Met à nu tous nos démons …
Donc coup d’Etat à plusieurs volets : l’influence de Washington derrière une armée encore totalement ‘macoutisée’ ; la corruption, à l’époque via le trafic de la drogue ; la voracité des élites économiques locales et les préjugés sociaux ; mais aussi l’incompétence politique des nouveaux élus et leur tendance à s’entredéchirer.
Le coup d’Etat du 30 Septembre 1991 met à nu tous les démons qui vont conduire le pays là où nous avons atterri aujourd’hui.
Le président à peine investi (7 février 1991) que les mêmes qui ont fait campagne en sa faveur se mettent à se tirer dessus les uns les autres. Jeu de massacre mais, qui pis est, dans une totale inconscience.
C’est d’abord l’éclatement entre le FNCD de Evans Paul-K Plim, l’un des fers de lance de la lutte populaire depuis le renversement du régime Duvalier, le 7 février 1986, et les OP (organisations populaires) qui composent la base du régime Lavalas naissant.
Le FNCD s’oppose à la nomination par Aristide de René Préval comme premier ministre.
Le FNCD a la majorité au parlement. Selon la Constitution, c’est le parti majoritaire qui désigne le premier ministre.
Aristide résiste. Préval est installé. Le Premier ministre est convoqué au Parlement qui est prêt à lui coller un vote de renvoi.
Chaque jour les OP occupent les abords du parlement (lors situé à la Cité de l’Exposition – Bicentenaire) et livrent bataille aux députés et sénateurs, cherchant à les empêcher de regagner leur poste.
‘Fermé pour restructuration’ …
Mais ce n’est pas tout. D’autres groupes, eux aussi attachés au pouvoir élu, organisent sur une base quasi quotidienne des manifestations monstre à la capitale, dont celui de Ben Dupuy, plus à gauche que la gauche puisque pour Washington, ainsi que pour les possédants en Haïti, c’est un pouvoir de gauche (en Haïti cela se lit automatiquement ‘communiste’) qui est sorti des urnes du 16 décembre 1990.
Pour couronner le tout, le Premier ministre René Préval, débordé, déclare le gouvernement, tenez-vous bien, ‘fermé pour restructuration.’
Aristide prend des décisions un peu à tort et à travers, dont une menace d’augmentation des taxes pour permettre d’améliorer le quotidien de la population, les plus de 80 pour cent qui ont voté en sa faveur, c’est la participation électorale la plus importante depuis le renversement de la dictature.
L’élite économique enrage et est prête à tout pour renverser le pouvoir.
L’armée n’est-elle pas là qui attend ?
Beaucoup de lobbying aussi mené à Washington, probablement, et à prix d’or.
Outre que l’administration Aristide-Préval n’est de toute évidence pas à la hauteur de la situation.
Gagner les élections, quand c’est après 30 ans de dictature absolue, et gouverner se révèlent deux choses différentes.
Le facteur cocaïne …
Mais ce n’est pas tout. Il y a le trafic de la drogue comme déstabilisateur par excellence.
Haïti est un point de transit idéal (à l’époque) entre la Colombie et le reste du monde, parce que ce sont les Forces armées d’Haïti elles-mêmes qui s’en occupent.
Deux années auparavant le no. 1 dans le domaine avait pour nom Colonel Jean Claude Paul, chef du bataillon d’élite des Casernes Dessalines.
Paul fut empoisonné mystérieusement !
Son aéroport personnel au pied du Morne à Cabrits, a été reçu en héritage par un jeune major nommé Michel François.
Mais autour du président Aristide se trouvent aussi de jeunes et fringants officiers tout aussi intéressés.
Le conflit couve.
Selon les dires du Major Michel François qui lancera le coup d’Etat dans la soirée du dimanche 29 septembre, c’est pour échapper aux menaces du clan appartenant à la Garde présidentielle qu’il dut passer à l’action.
Un putsch pas comme les autres …
Mais au fond le chef putschiste Major Michel François (dès le lendemain nommé Colonel) avait l’appui des milieux d’affaires … ainsi que peut-être aussi celui de l’administration Bush père à Washington, les uns comme les autres à l’affut d’une occasion pour se débarrasser du nouveau pouvoir élu de Port-au-Prince, d’autant que celui-ci tardait trop lui-même à prendre la situation en main.
Le coup d’Etat du 30 septembre 1991 ne fut presque pas tant une surprise quand il arriva, tellement les choses semblaient piétiner, par contre on se rendit compte immédiatement que ce n’est pas ce qu’on pensait et que ce n’allait pas être un putsch comme les autres. Comme il y en a eu plusieurs déjà depuis le renversement de la dictature Duvalier le 7 février 1986, y compris le renvoi lui aussi quelques mois seulement après son investiture du Professeur Leslie Manigat.
Par contre cette fois la répression ne cessa pas et même prit encore plus d’ampleur plusieurs mois plus tard, revêtant toutes les formes : tueries collectives (massacre de Raboteau) mais aussi d’autres formes de persécution pour forcer les jeunes ou à gagner le maquis, ou gagner l’exil à l’étranger. Objectif : nettoyage total. Disparaissez !
Tuer dans l’oeuf le mouvement démocratique …
On comprit alors que le coup d’état avait pour but d’opérer une sorte d’opération vidange en vue de casser le squelette, tuer dans l’oeuf le mouvement démocratique naissant.
Y compris les militaires qui n’eurent pas ce qu’ils espéraient puisqu’ils seront trois années plus tard chassés du pouvoir tandis que le président ‘rechouqué’ par les troupes américaines prenait prestement la décision de démobiliser les forces armées, avec probablement l’aval de Washington qui, comme on sait, continue de s’opposer à la remobilisation des anciennes FADH, aujourd’hui encore quoi qu’il en semble.
Le coup d’Etat du 30 septembre 1991 rappelle cet événement qu’on désigne dans l’Histoire de France sous le nom de ‘Journée des dupes.’
C’est-à-dire tout le monde s’est fait duper (rouler dans la farine).
Et nous avons aujourd’hui la conséquence directe. Tout est raté. Aussi bien par la faute des uns que aussi des autres.
N’est-ce pas !
Seuls gagnants peut-être, quelques inconscients !
Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince