Hollande vient en Haïti rendre hommage à Toussaint Louverture

PORT-AU-PRINCE, 8 Mai – François Hollande arrive ce mardi (12 mai) pour une visite officielle d'une journée en Haïti.
C'est (seulement) le second président français qui visite notre pays, après Nicolas Sarkozy au lendemain du séisme du 12 janvier 2010, cela depuis l'indépendance de l'ancienne colonie française de Saint Domingue après une violente guerre de libération couronnée en 1804 par la victoire des anciens esclaves contre la force expéditionnaire (oui, avec pour mission d'exterminer les chefs noirs et mulâtres) dépêchée par Napoléon Bonaparte.
Cependant les présidents Hollande et (haïtien) Michel Martelly ont choisi de célébrer leur rencontre aux pieds de Toussaint Louverture, dont la statue trône devant le palais national de Port-au-Prince.
Alors que c'est Toussaint qui avait mis en marche le mouvement vers l'indépendance. D'où son titre de 'Précurseur de l'indépendance.'

L'indépendance a donc été un accident ...
Ancien esclave, Toussaint Louverture s'est hissé jusqu'au grade de général en chef des forces armées de Saint Domingue, tout en gardant son allégeance à la France (républicaine, celle de 1789).
Puis il rédigea la première constitution de l'île (1802) et se nomma gouverneur général.
C'est lui qui écrit à Napoléon avec la mention : 'du premier noir au premier des blancs.'
C'en était trop pour le futur empereur des Français qui envoya une force commandée par son propre beau-frère, le général Leclerc, pour abattre celui qui cependant voulait constituer un pays autonome, sans esclaves ni noir ni blanc, mais dont la France resterait toujours la métropole.
En un mot, Toussaint Louverture ne voulait pas l'indépendance mais l'autonomie mais plus que même aujourd'hui la Martinique et la Guadeloupe.
Partant l'indépendance aussi 'prématurée' d'Haïti, a donc été un accident.

'J'aurais dû écouter Toussaint !' ...
En même temps, Louverture était trop en avance sur son temps et sur une France bouffie de préjugés. Comme tous les Etats (aristocratiques) européens de l'époque. Y compris la première république du Nouveau Monde, les Etats-Unis, qui ne reconnaitront l'indépendance d'Haïti que près de 60 ans plus tard sous Abraham Lincoln et dans la fureur de la guerre civile américaine (la Guerre de Sécession).
Y compris en Haïti même, faut-il dire, où les problèmes de discrimination à base de colorisme domineront jusqu'au milieu du 20e siècle ( ?) la vie politique et surtout la répartition des richesses nationales.
Cependant la France n'a pas attendu le président Hollande pour rendre hommage à son ancien prisonnier (Toussaint Louverture est mort, de froid et de chagrin, au Fort de Joux, dans le Jura français, le 7 avril 1803) mais ses restes (symboliques) ont été transportées à Paris, au Panthéon où reposent les héros de l'Histoire de France.
Toussaint avait été arrêté, déporté et emprisonné comme général français. Lorsque ses troupes affrontèrent celles de Leclerc à la Ravine à Couleuvre ou à la Crête-à-Pierrot, les deux armées marchèrent sous le drapeau tricolore et au son de la Marseillaise.
Ce n'est qu'après sa déportation que les troupes révolutionnaires, sous les ordres d'un ancien esclave, le général Jean-Jacques Dessalines, rejetèrent les symboles français pour créer leur propre emblème, le bleu et rouge.
Et déjà Napoléon reconnut son erreur. Dans ses mémoires, il écrit : 'j'aurais dû écouter Toussaint !'
Car la France perdit non seulement sa 'perle des Antilles' (Saint Domingue) mais dut aussi liquider la Louisiane, jusque-là possession française, aux Etats-Unis nouvellement indépendants.

Dette de l'indépendance ...
Cependant longtemps l'historiographie française va s'acharner à occulter cette partie de l'Histoire. Au point qu'un président Jacques Chirac lui-même dira avec une totale candeur qu'Haïti n'a jamais été une colonie de la France.
Car il y a non seulement la défaite face à des anciens esclaves nègres (à l'époque une honte terrible) mais il y a aussi la fameuse dette de l'indépendance - qui continue de hanter les gouvernants français et jusqu'à François Hollande qu'on sent lui aussi dans une totale confusion à ce sujet. Ce dimanche, à la Guadeloupe et lors de l'inauguration d'un mémorial à la Traite, il a reconnu 'une dette morale (envers Haïti), et non financière' ( !). En effet, Haïti fut forcée de payer à la France une somme gigantesque destinée à dédommager les anciens colons de Saint Domingue (90 millions de francs or). Et qui reste encore une pomme de discorde entre les deux pays.
Comme le prouvent les réponses de l'homme de la rue à Port-au-Prince lors des micros trottoirs réalisés à la veille de l'arrivée du président français ce mardi.

1915 – 2015 : un pied de nez aux Etats-Unis ? ...
François Hollande nous arrive aussi après une visite officielle à Cuba ce lundi (11 mai), fort médiatisée comme il se doit dans le cadre du rapprochement à marches forcées des deux plus anciens ennemis du temps de la Guerre froide, du moins dans le continent américain : Washington et La Havane.
Pendant longtemps, les gouvernants français ont boudé le Cuba socialiste.
L'hommage à notre Toussaint peut être une excellente façon de contrebalancer celui qui vient d'être (ainsi) rendu aux anciens barbudos, histoire de ne pas paraître trop opportuniste !
Mais de plus, Haïti commémore cette année (même sans commémoration officielle) le centième anniversaire du début de l'Occupation américaine de notre pays (1915-1934).
Pour la France, honorer son ancien adversaire (Toussaint Louverture) peut aussi être interprété comme un pied de nez aux Etats-Unis ?
En effet, l'ancienne puissance occupante n'a jamais manifesté la moindre sympathie envers ses adversaires de ce temps-là. Ni pour le chef de la guérilla qui a combattu les Marines et aujourd'hui élevé au rang, lui aussi, de héros national en Haïti, Charlemagne Péralte. Lui aussi a été arrêté traitreusement et exécuté sans autre forme de procès (oui, procès comme il se doit même à son pire ennemi).
Ni pour les paysans avec pour seule arme leur machette et qui sont tombés sous les balles de mitraillettes des militaires américains au carrefour de Marchaterre, près des Cayes (Sud), parce que protestant contre la réintroduction du régime de travaux forcés ... comme sous la colonie.
Les grandes puissances aiment aussi parfois se jouer des tours !
Mais devons-nous toujours nous contenter d'en être seuls spectateurs ?

Marcus - Haïti en Marche, 8 Mai 2015