Jacmel, ville libérée !

JACMEL, 2 Mai – A Jacmel, la richesse ne fait pas le bonheur. Et vice versa.
Le 1er Mai, fête patronale de la ville de Jacmel, chef lieu du département du Sud-Est, et l'une des villes jadis les plus prospères d'Haïti, a connu une gaité sans pareille. Fêtards et vacanciers du week-end ont dégringolé de partout, principalement de la capitale. Les hôteliers semblent s'être tirés d'affaires mais jusqu'au dernier moment les réservations se faisaient rares et les galeries d'art et d'artisanat qui se bousculent des deux côtés de la Rue Sainte Anne n'ont pas vu défiler grand monde que les citoyens de la ville eux-mêmes. Endimanchés il est vrai.
Pareil à l'Alliance Française, la magnifique exposition d'un jeune artiste du dernier pop-art haïtien, entre Hector Hyppolite et Jean-Michel Basquiat.
Ne vous fiez pas à la soirée Tropicana annoncée à cors et à cris parce que jusqu'à 1 heure a.m., il y avait beaucoup plus de gens sur l'Avenue Baranquilla qu'à l'intérieur.
La patronale de Jacmel subit les contrecoups de la profonde crise du pouvoir d'achat (et du pouvoir tout court) que nous subissons en ce moment, et dont nul ne voit la fin prochaine.
Cependant la construction n'en continue pas moins à progresser. Nos compatriotes continuant à fuir la capitale, Port-au-Prince, qui ne se relève toujours pas du terrible séisme de janvier 2010. La circulation automobile se fait encore plus dense au fur et à mesure qu'on laisse Jacmel pour Cayes-Jacmel et surtout Marigot, lovée entre les contreforts de la Forêt des Pins, qui porte bien son nom, et la mer Caraïbe.

A l'ombre du Libertador ...
En face se trouve le Venezuela, à vol d'oiseau de Jacmel, ce qui a permis au Libertador, Simon Bolivar, de mettre pied à terre la même nuit qu'il avait laissé Haïti pour sa dernière expédition militaire, la victorieuse, grâce à l'aide reçue des nouvelles autorités haïtiennes, les Pères de notre indépendance de 1804.
Aussi telle n'est pas leur fierté à la petite équipe du 'Mouvement social des citoyens jacméliens' de nous présenter la maison où avait résidé Simon Bolivar, avec la plaque portant le nom de celui-ci, mais qui avait disparu de vue depuis un quart de siècle. Pour eux, un tel exploit est presque aussi héroïque.
En effet, nous sommes invités par eux à faire le tour du centre historique de Jacmel, la cellule initiale dominée, comme toute ancienne ville européenne dont Jacmel est en Haïti la réplique parfaite, par la cathédrale et le marché public.

 

Inscrit comme patrimoine de l'Humanité ...
Or ce lieu sacré, d'où son nom de Belair, avant d'être enlevé d'assaut le mois dernier par le petit commando du 'Mouvement social des citoyens jacméliens', avait été maintenu en otage, comme autrefois les païens le centre de la chrétienté, par une armée sans cesse grossissante de ... marchandes venant de tous les horizons.


Le tremblement terre a chassé de plus en plus de déracinés vers ces lieux, et la horde avait envahi toutes les rues et bâtiments publics alentour (églises, bibliothèque, hôtels, la place d'armes etc.).
Cependant parmi les quelques projets conduits jusqu'à achèvement avec les fonds Petrocaribe (héritage de feu le président du Venezuela, Hugo Chavez, grand admirateur de Bolivar et en reconnaissance de l'aide qui fut apportée à ce dernier par Haïti), l'administration du président Michel Martelly inscrivit un nouveau marché public, construit en banlieue de Jacmel et devant permettre aussi de dégager le centre historique de la ville.
Mais les marchandes refusèrent de décamper et de permettre la rénovation du bloc autour de la place du marché et de la cathédrale. Et qu'on espère voir figurer officiellement au titre de patrimoine de l'Humanité.
Parce que entretemps aussi, tous les propriétaires, boutiquiers et artisans de père en fils, avaient dû vider les lieux. Depuis très longtemps.

Descendants de Bolivar et autres immigrants de tous les coins du monde, parce que Jacmel est depuis l'indépendance (1804) et même avant, l'un des carrefours de l'immigration européenne dans la Caraïbe. C'est ici que se réfugia la famille du révolutionnaire français guillotiné Camille Desmoulins. Les principaux halls qui abritaient les tonnes de café en partance pour les ports du Havre, de Bordeaux ou de Hambourg portent aujourd'hui encore les noms de Vital, Boucard, Madsen etc.

Chevaliers sans peur et sans reproche ...
Mais, n'en pouvant plus d'attendre un geste de la part des autorités, un beau jour, un petit groupe de Jacméliens, des deux sexes, s'est réuni au local de l'Ecole de musique Dessaix Baptiste, dirigée par notre collègue journaliste et philantrope, Fritz Valesco, surnommé 'Pitit Fèy', pour donner naissance au 'Mouvement social des citoyens jacméliens.'
Sans crier gare, et avec une ardeur et une conviction sans faille, ces nouveaux chevaliers sans peur et sans reproche ont entrepris, avec des moyens de persuasion suffisamment convaincants, d'amener les centaines de marchandes à plier bagages et à aller s'installer au marché tout neuf.
Malgré l'inauguration de ce dernier, les autorités n'étaient pas arrivées à un tel résultat.

Un exemple rare de conscience citoyenne ...
Ensuite a commencé la récupération proprement dite du quartier. Puisque les propriétaires avaient déserté, c'est donc à ce petit groupe de 'citoyens concernés' qu'il est revenu aussi d'enlever les tonnes de détritus laissés sur place.
Mais non découragés par la tâche - et en souvenir de la fête patronale de Jacmel, le Premier mai, et de la messe avec Te-deum qui était chantée chaque année à la cathédrale - ils ont conçu de prendre le monde entier à témoin, cela par la décision de repeindre eux-mêmes tous les bâtiments du quartier, qui ne l'avaient pas été depuis des siècles, donnant à celui-ci un petit air coquet. Couleurs pastel, préférablement.
La contribution des autorités ne semble pas s'être encore manifestée et celle des grands commerçants de la place peu évidente non plus.
Mais personne ne peut plus rester indifférent.
C'est un exemple rare de conscience citoyenne qui devrait faire tâche d'huile partout dans notre pays.
Comme au temps de Bolivar, c'est encore Jacmel qui ouvre la marche.

Marcus – Haïti en Marche, 2 Mai 2015