Haïti : 200 ans d’histoire revisitée

JACMEL, 4 Mai – Une très belle affiche sur les murs de Jacmel. Non ce n’est pas ‘Papa Tounen’, le slogan du futur candidat aux prochaines sénatoriales et ex-sénateur du Sud-Est, Joseph Lambert.
Si la politique a quelque chose à voir avec l’actuelle exposition, c’est un accueil plutôt par la petite porte - qui traduirait, paraît-il, une certaine désaffection des autorités de Jacmel, quoique des proches du président Michel Martelly, à cause du dernier remaniement ministériel où leurs choix pour certains postes gouvernementaux n’auraient pas été pris en considération …
Jacmel possède en tout cas l’un des meilleurs espaces pour une aussi importante exposition avec le nouveau Centre de Convention, construction d’un modernisme certain, récemment inauguré.
Et force a été de faire une petite place à l’événement, même par la porte cochère. Le vendredi 2 mai, on s’y bousculait. Mais pas un seul officiel ni local ni du gouvernement central. A croire que la culture (celle qui n’est pas exploitable comme un gadget touristique quelconque) est le cadet de leurs soucis à nos officiels d’aujourd’hui.

Des inédits des Archives nationales …
Le problème c’est que tout étant politique actuellement ou objet de propagande, voilà pourquoi l’exposition a dû rester fermée les deux jours les plus indiqués au contraire pour la visiter, aussi bien le samedi que le dimanche écoulés. Or elle ne doit rester sur place pas plus de 15 jours.
‘Depuis 200 ans’ c’est son nom. Réalisée avec des pièces inédites des Archives nationales.
Sur place deux des principaux organisateurs : l’artiste Patrick Vilaire et Jacques Oriol.
A propos justement des querelles entre nos chefs d’aujourd’hui, la première leçon à tirer de cette exposition c’est comment la gloire est illusoire !!!

Aussi bien noirs que mulâtres …
‘Depuis 200 ans’. Les premiers panneaux traitent en effet de la Guerre d’Indépendance. L’emballement pour le Général en chef et Libérateur, Jean Jacques Duclos, nom de guerre Dessalines. Puis deux années plus tard, la déception devant le tyran et piètre administrateur.
Jusqu’à son assassinat, le 17 octobre 1806.
Première désinformation écartée d’un revers de main : Dessalines ne fut pas tué lors d’un festin chez Pétion mais bien au Pont Rouge (entrée Nord de Port-au-Prince) et aussi bien des noirs que des mulâtres plongèrent leurs mains dans son sang. Documents et description rigoureuse à l’appui.
C’est le plus significatif avec cette exposition qu’elle revient sur plein d’idées reçues accumulées à travers les âges et qui nous sont parvenues comme autant de vérités révélées.
Par exemple, toujours concernant l’Empereur Dessalines qu’une certaine historiographie probablement d’origine Française présente comme le monstre assoiffé de sang qui avait tôt fait de faire égorger des milliers de Français restés dans la colonie au lendemain de la déroute de la force expéditionnaire française.
Or il importe de préciser que le massacre n’a pas eu lieu au lendemain du 1er janvier 1804.

Encouragés en sous-main par les Anglais …
Ensuite les circonstances dans lesquelles il se produisit.
Les restes de l’armée coloniale avaient fui dans la partie de l’Est (la future République dominicaine), lors possession de l’Espagne mais davantage une sorte de no man’s land (‘les Hattes’). Pressentant le danger qui continuait de peser sur la nouvelle nation indépendante, Dessalines entreprit de conquérir la partie orientale de l’île. Mais voici qu’on apprit qu’une escadre française se trouvait en face de Santo Domingo. L’Empereur s’empressa de revenir en arrière. Mais pour entendre que les vaisseaux français croisaient au large des Gonaïves. La population paniqua. D’où le massacre, que personne ne tenta d’empêcher. Même que les Haïtiens auraient été encouragés en sous-main par les Anglais lors en pleine guerre contre la France napoléonienne.

Pas question d’aliéner ‘notre souveraineté’ …
On se prend aussi à rêver de la même façon devant la décision tellement critiquée (par les générations futures) du président Boyer pour avoir accepté de payer la dette de l’indépendance exigée par la France et qui fera tant de tort à la nouvelle petite république indépendante.
Que vouliez-vous qu’il fît lorsque les flottes françaises venaient nous narguer à longueur de journée ?
Napoléon avait été défait à Waterloo et interné à Sainte Hélène.
Les anciens rois sont revenus au pouvoir en France. La France est ruinée par les guerres napoléoniennes. Charles X se retourna tout naturellement vers l’ancienne ‘perle des Antilles’, faisant différentes sortes de propositions aux nouvelles autorités. Celles-ci répondirent crânement qu’il n’est pas question d’aliéner ‘notre souveraineté’.
Faut-il rappeler aussi que Haïti est une exception unique jusque-là dans l’Histoire universelle. Ne pouvant obtenir de secours de personne. Les Etats-Unis n’aboliront l’esclavage que 30 ans plus tard et toutes les îles environnantes appartiennent à des puissances esclavagistes (Angleterre, France, Hollande …).

150 millions de francs lourds …
Finalement on en vint à la Dette de l’indépendance, pour mettre fin aux menaces exercées par l’ancienne métropole. Haïti consentit à payer 150 millions de francs. En monnaie actuelle, plusieurs milliards.
On pourrait en dire autant de la signature du Concordat avec le Vatican par le président Geffrard ouvrant le pays aux éducateurs religieux …
Facile de se montrer aussi critiques quand les générations futures, à l’évidence, feront très peu pour corriger le tir s’il y avait lieu.
Voire de nos jours, hommes (et femmes), et jusqu’à la jeunesse, de si peu de foi !

‘De l’Egalité des races humaines’ …
Au chapitre des idées préconçues on relèvera aussi le sort réservé au président Nord Alexis, vielle ganache analphabète et obtuse, c’est la réputation qui lui a été faite par des intellectuels pour se venger de la défaite électorale de l’un des leurs, le célèbre Anténor Firmin, l’un des plus grands défenseurs de la race et l’auteur de ‘De l’Egalité des races humaines’, ouvrage de portée universelle.
Alors que ‘Tonton Nord’ n’en fut pas moins l’un des rares chefs d’Etat haïtiens à avoir combattu effectivement la corruption. C’est sous son gouvernement qu’a eu lieu le fameux procès dit de la Consolidation. Et dont (mais est-ce vraiment si curieux!), plusieurs des condamnés finiront eux aussi comme chefs d’Etat.
Mais l’exposition ‘Depuis 200 ans’ ne prend pas seulement en compte l’histoire politique, mais aussi littéraire, culturelle, économique, diplomatique (Haïti participant à la création de l’Etat d’Israël ou à la défense devant le Palais des Nations de l’Ethiopie envahie par l’Italie fasciste : ‘Prenez garde à ne pas devenir l’Ethiopie d’un autre’).
Et pour finir la fameuse phrase relevée des Mémoires de Napoléon à Sainte Hélène : ‘J’ai à me reprocher une tentative sur cette colonie, lors du consulat ; c’était une grande faute que de vouloir la soumettre par la force ; je devais me contenter de la gouverner par l’intermédiaire de Toussaint.’
L’exposition ‘Depuis 200 ans’ continuera-t-elle à passer presqu’inaperçue comme c’est le cas jusqu’à présent ?

Mélodie 103.3 FM, 4 Mai 2014