Derrière l’intensification accélérée du blackout


PORT-AU-PRINCE, 12 Août – Depuis le dernier week-end, à la capitale, c’est un sauve qui peut. Tout le monde à la recherche qui d’une génératrice, d’une lampe à kérosène ou de vulgaires bougies. Non ce n’est pas à cause d’un nouvel ouragan (c’est en effet la saison), mais simplement parce que depuis quelque temps l’électricité ne dure pas plus de trois ou quatre heures par jour. On a des raisons de croire que le blackout va encore s’intensifier jusqu’à ce que s’éteigne la dernière ampoule.
On nous a d’abord dit que c’est à cause du remplacement des circuits de distribution datant de Mathusalem.
Puis on a incriminé le barrage hydro-électrique de Péligre rendu par la sécheresse quasiment inutilisable.
C’est aussi vrai l’un que l’autre.
Mais soudain, d’autres facteurs font leur apparition.
Des firmes privées de fourniture d’électricité à la compagnie nationale (ou Electricité d’Haïti) arrêtent (ou menacent d’arrêter) leurs turbines.
Elles sont trois ou quatre.
L’affaire gagne les rues. L’Etat ne peut pas honorer ses factures.

Constat de faillite …
Ce fut presque l’un des thèmes du récent Carnaval dit des fleurs. N’était la décision formelle du président Michel Joseph Martelly d’interdire tout propos hostile au gouvernement dans ‘son’ carnaval !
Mais les faits vont vite prouver que l’Etat est en effet quasiment en banqueroute. Et l’un des signes les plus irréfutables c’est le nombre d’heures de distribution de courant dans la capitale.
Or il arrive que l’électricité soit étroitement liée au baromètre politique. Depuis François ‘Papa Doc’ Duvalier, le père du barrage hydro-électrique de Péligre, on le sait.

Une affaire de subvention …
Mais à ce niveau, le pouvoir Martelly a moins les coudées franches que ses prédécesseurs.
La raison en est que l’Etat n’a plus le droit de subventionner l’Electricité d’Haïti (ED’H) comme par le passé.
L’EDH a toujours fonctionné à perte. Plus qu’une entreprise, elle fut d’abord une vache à lait dans les années qui ont suivi l’entrée de l’énergie hydro-électrique (Péligre) sur le marché (1971 jusqu’à 1980).
Puis plus tard, y compris après la chute du régime Duvalier, une mangeoire où les partisans du pouvoir ou des partis proches du pouvoir pouvaient plus aisément se faire caser.
Ce laxisme-là ne va pas tarder à entrainer la débâcle totale de la compagne nationale dont l’administration se retrouva incapable de gérer ni le recouvrement des créances, ni la multiplicité ou plutôt la généralisation des prises clandestines, et pas seulement dans les bidonvilles mais jusque dans des quartiers des plus florissants.
Mais il restait la subvention de l’Etat. Chaque année toujours plus élevée. L’année dernière, elle s’élevait à près de US$200 millions.

Ce qui fait enrager nos bailleurs de fonds. « Il n’est pas possible de continuer à accorder des subventions de l’ordre de 150 à 200 millions de dollars américains à l’Electricité d’Haïti », a fulminé un certain Boileau Loko, haut fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI), au terme d’une mission en Haïti, en décembre 2012.

 

Une corde très sensible …
Mais c’est là aussi toucher à une corde politique extrêmement sensible car tout le monde y trouve son compte.
L’usager dont la facture serait plusieurs fois plus élevée si l’EDH procédait exactement en fonction du coût et du revient ou des règles d’une saine gestion comptable.
Le gouvernement qui a un moindre souci car en tant que régulateur de la météo politique, l’électricité est presque plus importante que l’emploi et la sécurité alimentaire parce qu’elle touche toute la communauté, toutes catégories sociales confondues.
Et les firmes privées de distribution qui non seulement ont pris naissance grâce à l’assurance de la subvention versée par l’Etat à la compagnie nationale mais cette dernière ayant (depuis le père Duvalier, par souci de nationalisme) le monopole de la distribution, l’opérateur privé n’a donc pas à se soucier du plus grand casse-tête sur toute la chaine : le vol de courant.

Machines à laver …
Aussi ce ne sont pas tant les problèmes de modernisation du circuit de distribution (tellement agité par le gouvernement et l’international pour nous faire patienter), ni l’assèchement du lac de Péligre qui font tant problème en ce moment …
Ni le pillage des kilowatts, que l’on met trop facilement sur le dos de nos compatriotes les plus pauvres … Ceux-ci n’ont pas de machine à laver.
Mais c’est faute de pouvoir verser cette année la subvention habituelle, ou en tout cas pas autant qu’auparavant.

Une médecine de cheval …
Le gouvernement ne va piper mot à cet égard. Pour la bonne raison qu’il attend la récompense de cette médecine de cheval à laquelle nous sommes soumis impitoyablement : que Haïti soit sortie du rouge. Comme nous l’explique le premier ministre Laurent Lamothe : retrouver notre solvabilité, notre crédit, pour avoir accès au marché des capitaux extérieurs.
Vous me direz : ce discours n’est pas nouveau. On nous avait pareillement seriné les oreilles à propos de la Teleco (compagnie de téléphonie nationale) ainsi que du Ciment d’Haïti, de la Minoterie d’Haïti, toutes entreprises nationales (toutes nées de la marotte nationaliste de Papa Doc) mais toutes passées aujourd’hui aux mains du secteur privé.
Alors qu’est-ce qui empêche l’Electricité d’Haïti de subir le même traitement ?
Probablement pas son syndicat, autrefois si entreprenant mais dont un grand nombre de cadres sont déjà partis créer leur propre petite entreprise privée.
Plus certainement le gouvernement haïtien qui perdrait là un important levier d’influence sur l’environnement politico-social et financier.
Quant aux firmes privées de production locales, elles n’ont pas l’envergure nécessaire.

Technologie des ‘mains sales’ …
De plus, contrairement à la Teleco, l’électricité (du moins chez nous) n’est pas une composante des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication), c’est encore une technologie des ‘mains sales’, aussi les compagnies étrangères qui sont venues en mission de prospection sont toutes reparties en haussant les épaules. Seuls les Haïtiens eux-mêmes qui peuvent survivre dans un tel merdier !
Nous voici donc forcés d’avaler un remède de cheval mais sans assurance d’aller au petit coin (oh pardon !), bref de trouver jamais un soulagement.
L’international nous pousse vers une privatisation mais qui de son côté nous repousse.
Comme c’est le cas aujourd’hui pour beaucoup de choses … dans notre singulier petit pays !

Haïti en Marche, 12 Août 2013