24 Avril, pieux mensonge ou vœu pieux ?
JACMEL, 25 Mars – On est le 25 Mars. Comment avoir des élections dans moins d'un mois, le 24 Avril 2016, alors que le Conseil électoral provisoire (CEP) n'a toujours pas été constitué ?
Mais on continue à en parler comme si de rien n'était.
C'est ce qu'on appelle un pieux mensonge. Du côté des opposants à cette perspective.
Tandis que du côté de ceux qui y aspirent, les partisans du 24 Avril, c'est plutôt un vœu pieux.
Le seul point commun est que tous veulent les élections. Y compris le gouvernement de transition dont c'est la seule justification.
Comme le lui rappelle le sénateur Youri Latortue lors du vote de la déclaration de politique générale du Premier ministre Enex J. Jean-Charles, le vendredi 24 mars écoulé : 'Nous ne sommes liés qu'à l'Accord !'
Un gouvernement de moins de 2 mois ( !) ...
Il s'agit de l'Accord signé le 5 Février 2016 entre le chef de l'Etat arrivé en fin de mandat, Michel Joseph Martelly, et les présidents des deux chambres législatives, dont celui du Sénat, Jocelerme Privert, qui sera installé une semaine plus tard, le 14 Février, au poste de Président provisoire de la République.
L'Accord en question stipule la conclusion des élections entamées en 2015, soit le second tour de la présidentielle et les législatives partielles, à la date du 24 Avril 2016.
Tandis que le nouveau Président élu de la République doit prêter le serment constitutionnel le 14 Mai 2016.
Le gouvernement provisoire a donc un mandat de 3 mois. Dont il reste désormais moins de 2 mois à courir.
Mais au moment où nous parlons, on a plus d'un mois de retard sur le calendrier fixé par l'Accord.
D'autre part, le précédent conseil électoral provisoire (CEP) n'est plus. Dispersé aux quatre vents par la démission l'un après l'autre de ses 9 membres.
Le Président Privert s'est mis en devoir de constituer un nouveau CEP, dont les membres ont été désignés par les secteurs de la société civile correspondants. Même au prix d'une cabale au sein de certains de ces derniers à l'endroit des choix faits (secteurs femmes et droits humains particulièrement).
De plus, un nouveau Premier ministre (Enex Jean-Charles) et un nouveau cabinet ministériel entrent en fonction cette semaine, en accord avec les deux chambres du Parlement.
C'est le Conseil électoral qui dresse le calendrier électoral ...
Première tâche du gouvernement de transition : ratifier l'arrêté formant le nouveau conseil électoral.
Selon les experts des élections haïtiennes et dans les meilleurs cas, il faudrait plus d'un mois au nouveau CEP pour mettre en place la machine.
Impossible donc de respecter la date du 24 Avril.
Aux partisans résolus du 24 Avril, spécialement ceux du candidat à la présidence du parti de l'ex-président Martelly (PHTK), Mr Jovenel Moïse, qui avaient annoncé leur intention d'ouvrir leur campagne pour le second tour un mois à l'avance, et qui mettaient la pression sur le Président provisoire, le Premier ministre Enex Jean-Charles a rappelé vendredi lors du vote de confiance de sa déclaration de politique générale par devant le Sénat que c'est le Conseil électoral qui dresse le calendrier électoral et qui par lettre demande au chef de l'Etat de convoquer le peuple en ses comices.
L'Exécutif n'est pas seul engagé dans le respect de l'Accord ...
Le Premier ministre, interrogé par le sénateur Youri Latortue (chef de l'opposition pro-Martelly à la chambre haute) s'est montré soucieux du respect de l'Accord du 5 Février, dans son ensemble.
Son objectif est davantage le 14 Mai, date fixée dans l'Accord pour l'investiture du nouveau Président légitimement élu.
S'engageant à faire tout son possible pour le respect de cette date.
Tout en rappelant avec insistance que l'Exécutif n'est pas seul engagé dans le respect de l'Accord mais aussi le Parlement.
Mais ce n'est pas fini. L'Accord du 5 Février fait aussi référence à une commission d'évaluation électorale pour régler une fois pour toutes la question des accusations d'irrégularités et de fraudes reprochées par l'opposition anti-Martelly aux élections des 9 Août (législatives) et 25 Octobre (1er tour des présidentielles), protestations qui ont forcé au renvoi sine die du second tour en décembre dernier, et empêchant le passage de l'écharpe symbolique, le 7 Février 2016, à un nouveau Chef de l'Etat légitime.
Comme sur un bec ...
Le pouvoir de transition semble buter sur cette autre partie de l'Accord du 5 Février.
Lors du vote de vendredi au Sénat, le Premier ministre a essayé de contourner la question : 'Faut-il une nouvelle commission d'évaluation ou le CEP peut-il faire sa propre évaluation ?'
Le Core Group (communauté internationale) est réticent, craignant que les exigences de l'opposition ne viennent à faire capoter tout le processus électoral.
Mais le coordonnateur spécial pour Haïti au Département d'Etat, Kenneth Merten, a été clair : c'est aux Haïtiens de trancher. L'international n'a aucune prérogative dans cette question. Toutefois il ne manque pas d'insister sur la nécessité de résoudre une crise qui handicape les efforts pour combattre la menace de famine qui pèse sur 3,5 millions de nos compatriotes.
L'ex-opposition anti-Martelly va se faire entendre ...
De son côté, une fois le cabinet ministériel entrant en fonction cette semaine et le nouveau CEP installé, l'ex-opposition anti-Martelly va se faire entendre, alors qu'elle gardait jusqu'à présent un profil bas, une attitude modérée et même discrète pour laisser au pouvoir de transition le temps de prendre son cap. Voir dans quelle direction il se dirige.
La question de commission d'évaluation électorale pour investiguer les accusations d'irrégularités et de fraudes est susceptible de rebondir, d'autant que le Core Group (entre autres lors de la dernière rencontre du Conseil de sécurité de l'ONU la semaine dernière sur Haïti) continue de considérer les résultats proclamés par l'ancien conseil électoral après le premier tour de la présidentielle (25 Octobre) comme valables. Ces résultats mettent en tête le candidat de l'ex-président Martelly, Jovenel Moïse, et en seconde position Jude Célestin, mais celui-ci, refusant d'aller au second tour dans de telles conditions, a précipité cette dernière phase de la crise.
Personne désormais n'accepte de faire le premier pas ...
Cependant ceci dit, une même attitude se retrouve partout : personne désormais n'accepte de faire le premier pas.
La date du 24 Avril est techniquement impossible, mais aucun des protagonistes qui s'aventure à faire une proposition.
Le sénateur Youri Latortue rappelle au Premier ministre qu'il n'a qu'un mandat désormais de 90 jours (3 mois) mais il ne lui demande pas moins de prendre les dispositions pour la prochaine saison cyclonique qui commence en juin. Alors que le prochain chef de l'Etat élu doit entrer (en principe) en fonction le 14 Mai.
Même l'envoyé spécial Merten qui n'ose la moindre conjecture à ce niveau.
Quant au chef du gouvernement, il rappelle que c'est au conseil électoral qu'il revient de fixer le calendrier.
Moïse Jean-Charles ...
Dénominateur commun : on tourne en rond, tous tant que nous sommes.
Le seul qui ose, c'est le candidat Moïse Jean-Charles.
Le coordonnateur de Pitit Dessalines, qui se considère comme le vrai vainqueur de la présidentielle de 2015, a appelé le Président Jocelerme Privert à rejeter l'Accord du 5 février et à faire appel aux partis politiques en vue de bâtir un nouveau consensus ...
Mais c'était après le rejet par la Chambre des députés de la candidature de l'économiste Fritz-Alphonse Jean au poste de Premier ministre.
Donc voilà pourquoi on peut considérer qu'à partir de cette semaine c'est une sorte de re-démarrage.
Sauf que les conséquences directes de la crise : plus d'insécurité publique, plus d'insécurité alimentaire, quant à elles, ne vont pas disparaître d'un trait de plume.
Haïti en Marche, 25 Mars 2016