Haïti attend de savoir s'il y aura un second tour !
PORT-AU-PRINCE, 25 Octobre – Les opérations de vote ont débuté plus tôt que d'habitude le dimanche 25 octobre, jour du premier tour des présidentielles, second tour des législatives ainsi que les municipales.
Selon Associated Press, le vote a commencé de manière ordonnée à travers le pays, quoiqu'il y avait déjà quelques signes de confusion.
Difficile que ce ne soit le cas pour le pauvre électeur forcé de choisir, en principe, entre 54 candidats à la présidence, nombre qui s'est réduit un peu avec le phénomène du désistement en faveur des candidats les plus en avance.
Le candidat placé en tête par la majorité des sondages, Jude Célestin, du parti LAPEH (Ligue haïtienne pour le progrès et l'émancipation d'Haïti), a choisi le grand centre de vote au lycée de Pétionville (banlieue résidentielle) pour jeter son bulletin dans l'urne.
Il était accompagné de collaborateurs tels la vedette internationale Wyclef Jean, le chanteur Izolan et d'autres.
Reçu par des réflexions mixtes ...
Peu après arrivait le président sortant Michel Joseph Martelly pour accomplir son devoir civique.
Martelly a attendu le départ de Jude Célestin mais il n'était pas accompagné du candidat du parti au pouvoir, le jeune homme d'affaires Jovenel Moïse (PHTK – Pati Ayisyen Tèt Kale, la formation politique créée par Martelly).
C'est pour apprendre que ce dernier (au surnom de 'Nèg bannann nan', il est le créateur d'une entreprise, Agritrans, d'exportation de bananes organiques et qu'il présente comme la preuve que la production nationale peut renaître), oui, Jovenel Moïse votait dans son patelin, Trou du Nord (Nord-Est).
Le président Martelly a été reçu par des réflexions mixtes. Des applaudissements ont retenti mais dans la foule des voix ont exprimé leur impatience de le voir partir. Le nouveau chef de l'Etat sera installé le 7 février 2016.
Une ferveur étouffante ! ...
L'ex-président Jean-Bertrand Aristide a mené activement campagne pour la candidate à la présidence de son parti, Fanmi Lavalas, Dr Maryse Narcisse.
Dimanche Aristide a voté au centre Jean Marie Vincent (nom d'un jeune prêtre assassiné sous le régime militaire putschiste – 1991-1994) au milieu d'une foule de partisans en délire chantant 'Notre sang c'est le sang d'Aristide.' Et accompagné de Maryse Narcisse.
C'est l'une des rares fois que l'ancien leader des masses populaires de Port-au-Prince se présente en public depuis son retour d'exil (2004-2011). Sa popularité reste incontestable dans ces secteurs. Cependant peut-être que cette ferveur étouffe la personnalité de la candidate du parti, dont on a peu entendu au sujet de son programme si elle venait à être élue.
L'enfant terrible ...
D'ailleurs Lavalas a éclaté puisque Aristide ne peut empêcher une bonne partie de ses propres fanatiques d'appuyer un autre candidat, Moïse Jean-Charles, l'ex-sénateur du Nord et un enfant terrible du mouvement Lavalas. Moïse Jean-Charles, l'un des hommes politiques les plus remuants du moment, a fondé son propre parti, Pitit Desalin, reconverti plus récemment et prudemment en 'Nou Tout se Pitit Desalin', nous sommes tous les enfants de Dessalines, le fondateur de la Patrie Haïtienne.
La veille des élections, tandis que Aristide faisait triomphalement le tour de Cité Soleil, le plus grand bidonville de la capitale haïtienne, accompagnant sa candidate, Maryse Narcisse, de son côté le candidat de Pitit Desalin, Moïse Jean-Charles, qui se dit le représentant des plus déshérités, faisait une large distribution de sacs contenant du riz, du spaghetti et de l'huile de cuisine (information Associated Press).
Les noms qui revenaient le plus souvent ce dimanche devant les centres de vote à la capitale sont ceux de Jude Célestin, Jovenel Moïse (le candidat de Martelly), Moïse Jean-Charles (Pitit Desalin, l'autre branche du Lavalas) et Maryse Narcisse, la candidate d'Aristide.
Y aura-t-il un second tour ? ...
Les résultats du 1er tour ne sont pas attendus avant fin novembre, selon le Conseil électoral provisoire (CEP).
Et c'est ici que commence le grand suspense. Savoir si un des candidats de pointe aura la majorité absolue, sinon dépassera son poursuivant immédiat de 25% au moins, pour n'avoir pas besoin d'aller au second tour.
Selon les sondages, aucun des compétiteurs ne présente, à l'échelle nationale, cette capacité.
Mais en cas d'une participation électorale vraiment élevée, des surprises peuvent survenir. On attend donc impatiemment les premières estimations.
Espérons-le, dans la même sérénité qui a caractérisé en gros la journée électorale. Comme le relèvent les organisations haïtiennes de la société civile et les missions d'observateurs nationales et internationales (OEA, Union européenne et les grandes ambassades).
Les fameuses zones rouges ...
Au fond, le processus de vote a paru assez erratique, d'un point à l'autre de la capitale, plutôt bien ici, mais ailleurs dans le désordre et sans le secret du vote.
Le pire exemple est le centre de vote installé au lycée de Cité Soleil où l'on ne voit ni observateurs, ni police (seulement deux agents sans grande autorité), aucun organe de presse, ni même les électeurs proprement dits que des petits groupes qui ont pris toutes les opérations en mains, pour finir par bourrer eux-mêmes les urnes. Et au vu et au su de tout le monde. Même pas, puisque personne n'ose mettre le nez dans leurs affaires !
Les autres centres de vote les plus fragiles se retrouvent dans des quartiers populaires et plutôt isolés (les fameuses zones rouges), comme certains endroits au Bel Air et ailleurs. Nous avons fini par réaliser comment fonctionne le système de la fraude électorale. Par la déstabilisation. On s'arrange pour qu'un bureau de vote soit plein à craquer. Dès lors on ne sait plus qui est qui et les MBV (membres de bureau de vote) sont rapidement dépassés.
Comme à la Nasa ...
Un point faible est le système des mandataires intervenant par rotation, c'est l'alternative qui fut trouvée par l'organisme électoral face au nombre élevé de candidats, multipliant donc d'autant le nombre de mandataires ou représentants des partis autorisés à assister au vote, ainsi qu'au dépouillement.
On aboutit à une double pression des mandataires, d'un côté de la part de ceux déjà à l'intérieur et qui après les trois heures de présence autorisées refusent de sortir, et de l'autre côté ceux qui se gonflent nombreux à la porte du centre et qui sont impatients d'entrer.
Situation qui fait le jeu des déstabilisateurs mentionnés plus haut.
Au fond la tricherie aux élections haïtiennes est devenue, après tant d'années d'exercice en toute impunité, une véritable science. On croirait des experts assis devant leur tableau de bord numérique (comme à la Nasa) distribuant des ordres par ci par là, dès qu'une occasion à exploiter se présente.
Peu d'incidents violents à Port-au-Prince. Par contre, à Hinche (Centre) on a parlé de urnes incendiées en plein jour, à Terrier Rouge (Nord-Est), de désordres pour faire obstacle au dépouillement. Tandis que, selon un communiqué du Conseil électoral provisoire (CEP), son convoi de matériels à destination des centres de vote dans la circonscription du Borgne (Nord) a été partiellement incendié la veille.
La police a opéré plus d'une soixantaine d'arrestations à l'échelle nationale mais aucun décès ni blessé grave n'a été rapporté jusqu'en fin de journée.
Marcus - Haïti en Marche, 25 Octobre 2015