Les régimes passent, la machine reste !

PORT-AU-PRINCE, 30 Mars – Lorsque Bernard Diederich demande à Jean Claude Duvalier qui a ordonné la mort d’un Gasner Raymond ou autre victime d’assassinat politique, celui-ci lui répond : ‘ah ça, c’est la machine.’

Voir dans ‘L’Héritier’, le dernier né de la série consacrée par le journaliste néo-zélandais à la dictature des Duvalier père et fils (1957-1986).
Comme si lui-même, l’ex-dictateur et président à vie, n’y est pour rien.
De quelle machine s’agit-il donc ?
La dictature Duvalier est renversée le 7 février 1986 par la fuite du tyran au petit matin, mais la machine continue de fonctionner. Infernale.
Sous quelque régime que ce soit. Progressiste ou autoritaire. Civil ou militaire. Elu ou issu d’un putsch.
Les têtes continuent de rouler. Implacablement. Le père Jean Marie Vincent. Les frères Izméry. Le ministre Guy Malary. Mireille Durocher Bertin. Puis Jean Dominique. Et d’autres.
Quelle est donc cette machine qui ne respecte pas de ligne de démarcation formelle puisque la victime peut être de gauche (Jean Marie Vincent, Antoine Izméry, Jean Dominique) ou de droite (l’avocat Guy Malary). Ou même d’extrême-droite, Mireille Durocher Bertin fut un vrai chantre du coup d’état militaire de septembre 1991, qui se révélera par le nombre de victimes dans les quartiers populaires l’un des plus sanguinaires de notre Histoire.
Ou même sous son propre gouvernement après avoir su échapper à tous ses ennemis. Jean Dominique est mort sous le président dont il était le plus proche et le plus respecté, René Préval.

‘L’assassin est dans la ville’ …

Vous aurez remarqué qu’il existe cependant un commun dénominateur entre tous les cas mentionnés : on n’a jamais retrouvé le ou les coupables.
L’assassin court toujours. Ou mieux encore, comme dit cette affiche commémorant l’anniversaire de la mort de Jean Dominique, le journaliste et PDG de Radio Haïti Inter, abattu pratiquement devant son micro le 3 Avril 2000 : ‘L’assassin est dans la ville’.
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Et ce fut dès l’accession de Michel Martelly à la présidence, l’assassinat du PDG de la Banque nationale de crédit (BNC), Guito Toussaint, venant allonger la liste de ces crimes sans faire part. Et d’enquêtes qui se poursuivent sans avoir jamais commencé.
Disparues dans les oubliettes de la justice haïtienne … pour faire semblant de ressurgir à la faveur d’une quelconque pirouette politicienne. Comme la récente convocation de l’ex-président Préval par un juge d’instruction dans le dossier Jean Dominique.

 

Existe-t-il une ligne rouge ? …

Ainsi donc on ne serait nulle part à l’abri de la machine, à en croire Jean Claude Duvalier lui-même. Que faire ? Existe-t-il une ligne rouge à ne pas franchir ?
Mais d’abord pourquoi celui-ci et pas celui-là ?
Pourquoi pas Jean Claude Duvalier lui-même, responsable de milliers de morts commis par son régime. Machine ou pas !
Pourquoi Mireille Bertin et pas Toto Constant, le chef des escadrons de la mort sous le régime putschiste (1991-1994). Et qui s’en vante.
D’un autre côté, les responsables de la mort du journaliste de Petit Goave, Brignol Lindor, ont été retrouvés. Jugés. Et condamnés.
Tout comme les exécutants sinon responsables du kidnapping-assassinat du poète Jacques Roche.
Tandis que la justice sert au contraire de paravent aux auteurs des assassinats de Jean Dominique ainsi que du patron de la BNC, Guito Toussaint.

 

Un underground du crime ? …

Aussi question, existe-t-il un spécial network qui, comme l’anguille ou plutôt le serpent, sort, frappe et disparait aussitôt dans son trou ?
Un underground du crime ? Infaillible.
Un exécutant froid. Un super robot cop. Aux ordres. Mais de qui ?
La machine, dit Jean Claude Duvalier.
Et comment ce dernier peut-il en être aussi sûr ?
En effet, sous la dictature de trente longues années, on comprend que celle-ci et la supposée machine en soient venues à ne faire qu’une.
Aussi Mr Duvalier ne peut-il s’en tirer aujourd’hui aussi facilement.

 

Démocratie sous haute surveillance...

Mais Duvalier parti, le mystérieux massacre ne fait que commencer. Qui pis est, dans une confusion entretenue à dessein pour vous empêcher toute parade. Qui sera le prochain (ou la prochaine) à tomber ? Aucun panneau indicateur. Ni le moment (on peut être tué sous un pouvoir ami ou ennemi). Ni profession particulière (un commerçant ou un banquier subissant le même sort). Tandis que les vrais maitres du jeu s’en tirent sans une égratignure.
Quelle est donc cette machine ? Qui la dirige ? Qui lui passe des commandes ?
Jean Claude Duvalier nous dirait-il lors d’un improbable procès. Raison pour laquelle ce dernier peut ne jamais pouvoir se tenir.
La dictature une fois partie, la machine disparaît plus profondément dans l’ombre. Pour en ressortir à des moments précis. Et soigneusement calculés. Bref, une démocratie sous haute surveillance.
Un underground qui vient de faire peut-être sa nouvelle victime. Georges Honorat, à la fois co-rédacteur en chef d’un hebdomadaire de gauche, Haïti-Progrès, et consultant auprès du bureau du Premier ministre, assassiné le samedi 23 mars, devant sa résidence, à Port-au-Prince.
Selon que l’on retrouve ou non le ou les coupables, on saura à quoi s’en tenir.
Et puis, après ?

 

Haïti en Marche, 30 Mars 2013