Haïti importateur et exportateur de 'pèpè'

PORT-AU-PRINCE, 6 Décembre – Le New York Times publiait le 16 novembre dernier un reportage dont le titre pourrait se traduire comme suit : 'Un cargo doublement rembourré en partance pour Haïti.'
Ceci pour expliquer que lorsqu'un cargo laissant le port de New York pour Haïti paraît chargé à ras bord, ce n'est encore que la moitié du chargement, parce que, explique l'article : chaque véhicule à bord (voiture, mini bus, school bus ou autre), chaque réfrigérateur, tout ce qui est capable de contenir d'autres effets, est rempli aussi de tout ce qui est possible et même inimaginable dans un tel lieu.
Des matelas, des vêtements, des équipements (par exemple, ceux-ci provenant jusque d'une vieille cimenterie), des fours et réfrigérateurs datant de Mathusalem, des bicyclettes en veux-tu en voilà, des motos cent fois plus, des douzaines de voitures de modèles qu'on ne trouve plus sur le marché, et celles-ci à leur tour remplies de vêtements, draps, microwaves (fours à micro-ondes), pneus de rechange et pas tout à fait neufs, de packs de jus de fruits et ces jours-ci d'arbres de Noel (en plastic bien sûr).
Mais seuls les cargos pour Haïti qui sont admis à prendre la mer dans un tel état, parce que les Haïtiens sont arrivés à convaincre les autorités du port que tout ce bataclan est indispensable dans leur pays, surtout après le séisme qui a détruit la capitale haïtienne le 12 janvier 2010 faisant près de 300.000 morts.
Pour toute autre destination, ce genre de marchandises voyage dans des conteneurs conçus à cet effet et sécurisés.
Mais pour Haïti, ce sont les véhicules à bord, voitures, bus et autres qui jouent le rôle de conteneur.
Ce qui facilite l'envoi sans contrôle de toutes sortes de 'junks' qui viennent atterrir dans les rues de la capitale haïtienne et des autres villes du pays, encombrant les trottoirs comme on sait.
'Les gens ici ont toujours expédié des choses dans les véhicules, mais depuis le tremblement de terre, c'est beaucoup plus' explique E. Z. Vallon, un employé haïtien au Red Hook Shipping, qui supervise les véhicules, majoritairement usagés, placés à bord, et qui sert aussi d'interprète pour ses patrons, ceux-ci paraissant ravis, les Haïtiens étant toujours prêts à payer le prix qu'il faut pour aider les parents et autres relations laissés en Haïti.
'La situation est vraiment mauvaise pour eux, et nous devons faire tout ce qui est possible pour les aider' dit un homme qui est venu envoyer toutes sortes de choses pour sa sœur Juliette, principalement des produits alimentaires et des vêtements.


Il cherche le propriétaire d'un véhicule en voie d'embarquement pour Haïti et qui voudrait prendre sa 'commission'.
La compagnie de cargo charge US$1.500 pour le transport normal d'un véhicule, plus environ US$150 supplémentaires s'il y a autre chose à l'intérieur.
L'article explique que les compagnies de cargo ne sont pas censées recevoir à bord des articles qui ne sont pas déclarés officiellement mais aussi que, tant que c'est bien caché dans les véhicules qu'on transporte, et que cela ne traine pas sur le pont du navire, alors vogue la galère.


Tant aussi que c'est en route pour Haïti. Notre pays bénéficiant ici d'une sorte de statut spécial (la réputation de pays le plus pauvre du continent a aussi quelques avantages !), si l'on peut dire une sorte de TPS (statut de protection temporaire) mais pas pour les gens, seulement pour les 'pèpè', le New York Times expliquant très sérieusement pour ses lecteurs ce que veut dire ce mot.
Il faut espérer que les douaniers à Port-au-Prince, Miragoane ou Saint-Marc soient prêts à se montrer aussi compréhensifs.
Mais ce que le New York Times semble ne pas savoir c'est que lesdits 'pèpè' aujourd'hui ne sont pas destinés seulement à Haïti.
Notre pays à son tour est devenu grand exportateur de ces mêmes articles usagés.
D'abord ce sont nos voisins de la République dominicaine qui traversaient la frontière entre nos deux pays pour venir faire leur shopping. Comme si c'était à Times Square, New York.
C'est pas du flambant neuf mais c'est à la dernière mode.
Or la fiscalité dominicaine est moins tendre pour les produits importés qu'en Haïti, en vue de protéger la production nationale.
Cependant voici que de plus en plus, les Dominicains sont remplacés par les Cubains.
Explication : ces derniers ont perdu leur facilité pour s'établir aux Etats-Unis, une fois qu'ils avaient pu y parvenir, et qui leur avait été accordée par Washington après son plus grave échec pour renverser le régime castriste (le débarquement de la Baie des cochons, avril 1961).
Aujourd'hui le Cubain a les mêmes difficultés que l'Haïtien pour entrer aux Etats-Unis, depuis que le statut d'exception lui a été enlevé par l'ex-président Obama dans le cadre du rapprochement avec La Havane, le gouvernement cubain considérait la disposition en question comme une forme de déstabilisation permanente aux mains des administrations américaines successives.
Et voici le Cubain qui, à nouveau, a plein de difficultés à s'approvisionner en articles de tous les jours et au goût du jour.
Le consultât d'Haïti à Cuba ne chôme pas dans la délivrance de visas pour Haïti.
Port-au-Prince devient donc une nouvelle plaque tournante dans la région pour ce genre de commerce, si l'on peut dire, informel.
Mais ce n'est toujours pas fini : les ports de New York et de Miami risquent eux aussi de se voir concurrencer par l'arrivée d'un autre partenaire.
Et il s'agit de la Chine. Oui nous disons Pékin. C'est presque chaque semaine que désormais de gros conteneurs débarquent en Haïti en provenance de Shanghai.
Or ce sont aussi les factories chinoises qui alimentent les magasins de Times Square.
Donc on ne perd rien au change.
S'il existe un avenir pour Haïti, qui sait si ce n'est pas celui d'une sorte de nouveau Panama dans les Antilles ?

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince