Haïti est-elle aux Haïtiens uniquement !?
JACMEL, 2 Janvier – Tout le monde à l'extérieur n'a qu'une conversation cette semaine : la température.
Au Canada, il fait un temps à ne pas mettre un Esquimau dehors.
A New York, Boston on se barricade.
A Miami, il semble qu'on n'en est pas loin.
Seul le milliardaire devenu président des Etats-Unis, Donald Trump, qui trouve cela normal. Dans son obstination à ne pas reconnaitre le phénomène du dérèglement climatique, car cela dérangerait ses amis qui ont investi dans les industries au charbon et dans l'extraction pétrolière du gaz de schiste qui sacrifie l'environnement, il fait semblant de se rappeler avoir vécu hiver bien plus rigoureux que cela. Oui, peut-être à Mar-a-Lago (West Palm Beach), son ranch floridien !
A l'autre bout du thermomètre se trouve Haïti où il fait en cette saison la température la plus douce qui se puisse rêver.
Est-ce que tout cela est juste ?
Non, parce que le pays qui bénéficie de tant de bonté de la part de la Providence, est en même temps l'un des moins hospitaliers du continent.
En effet, n'est-ce pas chaque mois que les mises en garde de l'Ambassade des Etats-Unis en Haïti, relayant le Département d'Etat américain, viennent rappeler les dangers et menaces qui pèsent sur les citoyens étrangers qui s'aventurent dans notre pays. Y compris aussi nos compatriotes vivant à l'étranger et venant visiter leurs proches.
Vous vous trouvez en Haïti à vos risques et périls. C'est chaque jour que les tueurs frappent dans nos rues sans crainte.
Alors que l'on chante les funérailles d'un prêtre, Joseph Simoly, tombé sous leurs balles aveugles, c'est un jeune sportif (arbitre) et étudiant qui est également assassiné.
Et c'est comme ça tous les jours.
Personne qui puisse arrêter le massacre. La présence pendant 13 années d'une mission onusienne dite de stabilisation, n'a rien pu y changer.
Or que nous enseigne le phénomène dit du dérèglement climatique ?
L'une de ses premières manifestations : c'est un grand mouvement de populations.
C'est du moins ainsi que les experts interprètent le phénomène migratoire massif actuel dans le sens sud-nord de l'hémisphère.
Depuis quelque 5 ans ce sont plusieurs centaines de milliers, en majorité originaires de pays musulmans et africains, dévorés par la sécheresse et autres crises dans le calendrier des saisons, qui tentent de franchir la Méditerranée pour entrer en Europe. Beaucoup y laissent leur peau.
Cette migration bien sûr illégale, c'est-à-dire non désirée ou non invitée mais qui se poursuit de manière on dirait aveugle, est devenue en même temps un casse-tête pour les pays-hôtes et dont la première manifestation est un bouleversement de l'échiquier politico-électoral, jusqu'à ressusciter la question si irritante des identités nationales sur le Vieux continent.
L'extrême-droite un peu partout relève la tête à nouveau.
Nous ne nous reconnaissons aucune responsabilité ...
Cependant en Haïti nous regardons tout cela comme si nous n'étions en rien concernés.
Nous considérons normal que notre président, Mr Jovenel Moïse, soit allé plaider le mois dernier lors d'un sommet à Paris sur le climat ('One Planet, Summit') le droit des pays comme le nôtre à réclamer, si l'on peut dire, des compensations parce que nous trouvant directement sur la route des catastrophes naturelles dont le dérèglement climatique augmente le nombre et surtout la puissance maligne.
Par contre, nous ne nous reconnaissons aucune responsabilité.
Eh bien, en cela nous avons tort, puisque, si c'est 'One planet', comme dit le récent sommet de Paris ('nous formons tous une seule planète'), eh bien nous avons nous aussi notre partition à jouer, et cela s'appelle même : porter secours à personnes en danger !
Si pour paraphraser la chanson de Ferland, 'on gèle à ce point au nord' cette semaine, nous ne pouvons rester à jouir du climat qui règne en ce moment chez nous aussi égoïstement.
Mais de plus, si nous avons décidé de rester les bras croisés devant les causes qui rendent nos rives aussi inhospitalières - alors qu'elles font rêver les actuelles victimes de la plus grande période glaciaire depuis toujours, oui de la même façon que nous considérons comme normal que les peuples du nord doivent se serrer pour recevoir les migrants venant du Sud, de même que nous avons nous aussi une responsabilité dans ce débat.
Nouvelles définitions des concepts de nationalité, de territoire national ...
Oui, là où nous voulons arriver c'est : si les conséquences du dérèglement climatique continuent de s'intensifier, n'arrivera-t-il pas un moment où la migration s'exercera aussi dans l'autre sens : du nord vers le sud ?
Les années passant, et la situation ne s'améliorant pas, n'en viendra-t-on pas à de nouvelles définitions des concepts, qui nous sont si chers, d'inviolabilité de l'espace territorial, de souveraineté nationale etc.
Et pourquoi pas aussi une migration du nord au sud ?
Migration encore plus massive que celle qui se produit aujourd'hui des pays du Sahel vers ceux du bord du Rhin ou du Danube.
Libre à vous de croire que nous faisons de la politique fiction. Car c'est oublier que Colomb ne s'est pas aventuré sur nos rives pour faire de la planche à voile. Mais parce que l'Europe éclatait lors (15e siècle) sous la surpopulation et les maux qui l'accompagnent : famines, épidémies etc.
D'autre part on ne nous demande pas d'inventer quoi que ce soit, puisque ce dont nous débattons en ce moment a un nom, c'est le tourisme.
Mais quel tourisme peut-on faire en ce moment en Haïti ?
D'autre part, plus que les nécessités structurelles, il y a plus important : l'ordre public.
De plus l'insécurité ce ne sont pas seulement les cadavres qui s'accumulent mais ce sont aussi ces maux plus profonds qui s'appellent la corruption et tous ses corollaires : l'indifférence au bien public et au devenir de la nation.
Conclusion : impossibilité de bâtir un lendemain. Comme le montrent nos jeunes qui s'enfuient massivement vers d'autres cieux. Migration obligée, oui. Mais c'est kif-kif.
De la même façon que le nord puisse être obligé de se plier sous la pression migratoire du sud, Donald Trump ou pas (!), de la même façon on peut voir avant pas trop longtemps les questions de territoire et de souveraineté nationale remises en cause.
Or vu d'ici, nous Haïtiens sommes en première ligne pour un tel programme : revu et corrigé !
Haïti en Marche, 30 décembre 2017