Le Art Basel sans Little-Haiti Cultural Center de Miami …
Et une occasion perdue pour Haïti
MIAMI, 5 Décembre – Le week-end du Art Basel (du jeudi 1er au samedi 3 décembre) a fait comme d’habitude courir tout Miami. C’est la plus grande foire internationale de l’art contemporain qui se tient chaque année sur tous les continents et début décembre à Miami Beach, Floride.
Pendant quelques années artistes et ateliers d’art faisaient également le voyage d’Haïti pour y participer.
Cette année aussi mais parait-il en privé. En tout cas rien n’a été signalé au sein même de la communauté.
Alors que celle-ci (la communauté haïtienne de Miami, Floride) est à ce niveau privilégiée. En effet, depuis plusieurs décennies a été construit en plein Little-Haiti, le plus beau centre communautaire haïtien jamais vu, le Little-Haiti Cultural Center, plus connu pour son architecture imitée du Marché en Fer de la capitale haïtienne, Port-au-Prince, ou ‘Caribbean Market.’
Cependant ce samedi (3 décembre), jour où la foire est visitée par le public le plus large, la partie haïtienne était absente.
Plusieurs causes à cela.
L’absence de participation officielle d’Haïti. On connait les graves problèmes vécus actuellement par notre pays, certes.
Ensuite le Little Haiti Cultural Center n’a pas actuellement de direction administrative.
Donc l’espace est quasiment désert.
Or ce n’est pas seulement un lieu d’exposition où nos peintres et sculpteur(e)s aussi bien d’Haïti que de l’étranger, les uns pour leur célébrité, les autres leurs innovations, et de tous âges dont de jeunes étudiant(e)s d’écoles d’art ici à Miami y compris à l’initiative de membres de la communauté haïtienne, ont déjà défilé ; le Little-Haiti Cultural abrite également une grande salle de théâtre pourvue de tous les équipements modernes, y compris pour des cours d’arts plastiques ainsi que de danses (classique et modernes). En un mot ce qu’on ne trouve nulle part … ni en Haïti, ni ailleurs dans notre diaspora.
A Paris nous pouvons utiliser la Maison de l’Unesco mais ici comme dit le créole, ‘se chè mèt chè mètrès’, c’est à nous !
Par conséquent propice également à des échanges aussi bien en arts qu’en artistes avec des secteurs homologues en Haïti : ateliers de peinture, centres d’art, des villages comme Noailles et Camp Perrin, écoles de danse ou de musique, à la capitale comme en province : Jacmel, Cap-Haïtien, y compris Sans Souci-Milot au pied de la Citadelle etc.
Cependant, pour commencer Little Haïti, quartier né dans les années 1970-1980 avec l’arrivée des premiers ‘Haitian boat people’, est lui-même en voie de disparition. C’est sous la poussée justement des puissants ‘lobbies’ de l’art contemporain qui ont phagocyté une grande partie de la métropole floridienne. Dont une bonne partie du quartier haïtien. Au point que c’est grâce au combat acharné de quelques volontaires que Little-Haiti n’a pas tout simplement été débaptisé pour devenir … ‘Magic City’, plus au goût des multinationales d’art contemporain qui se soucient peu de social ni même de la culture proprement dite.
Cependant Haïti a son rôle à jouer. L’art haïtien ayant toujours été, comme on sait depuis les festivités du Bicentenaire de la ville de Port-au-Prince (1950), notre meilleur passeport.
Il s’agit de maintenir comme cela avait commencé, une présence culturelle régulière d’Haïti dans la communauté haïtienne de Miami, mais qui soit stratégiquement orientée vers tout le public et de-là au grand monde extérieur, cela en marquant régulièrement de cette présence toutes les activités les plus importantes comme justement le Art Basel et autres grandes foires internationales qui se multiplient presque toute l’année dans une ville devenue une plateforme ouverte sur tous les continents (Amérique latine, Europe …) mais aussi aujourd’hui … les riches émirats. Le Mundial n’a-t-il pas lieu à Qatar !
Ce serait un grand pas pour assurer l’avenir d’un pays qui de plus en plus pour ne pas dire de toute évidence … parait ne plus lui-même en avoir.
On pourrait même concevoir à partir de la position centrale du Little-Haiti Cultural Center dans la mégapole floridienne et vu déjà la grande réputation de l’art haïtien, une espèce de ‘Haiti-Art Basel’, c’est-à-dire reliant les créateurs haïtiens de partout entre eux … ceux de tous les coins du monde (Haïti bien sûr, USA, Canada, la République dominicaine et Cuba, Venezuela, Europe, les Antilles, la Caraïbe et … l’Afrique etc) avec leurs fanatiques de partout.
Nous sommes sûrs que la collaboration du gouvernement fédéral américain est déjà gagnée … ainsi que celle de nombreuses fondations privées.
Mais aujourd’hui au contraire tous les efforts accomplis ces dernières années semblent en train de disparaitre à jamais, en même temps que l’est notre pays natal sous le joug des gangs armés dont personne ne connait les tenants et encore moins les aboutissants après qu’ils auront pris le contrôle de tout le territoire …
Cependant au-delà des gangs il y a une autre faiblesse peut-être plus grave et comme on dit structurelle, c’est notre incapacité justement à maintenir un accomplissement quelle qu’en soit l’importance. On pense au café ‘Haitian Bleu’ qui en à peine quelques mois de promotion, était devenu ‘un must’ c’est-à-dire indispensable sur toutes les tables aux Etats-Unis comme ailleurs et jusqu’au Japon, mais qui, comme tout en Haïti, devait en peu de temps disparaitre sans qu’on n’ait jamais su pourquoi et laissant toutes ces dizaines voire centaines de milliers de fins gourmets sur leur soif.
C’est tout à fait à la même chose qu’on vient d’assister le week-end écoulé à l’occasion du festival Art Basel de Miami, sans aucune présence du Little-Haiti Cultural Center et donc d’Haïti en soi comme nation dont la richesse repose d’abord sur ses arts sous toutes les formes.
Tant pis si cela accélère la redénomination de notre centre lui-même de Little-Haiti Cultural Center en … ‘Magic Cultural Center’.
Cela ne dérangera pas grand monde, jusqu’aux membres de la communauté haïtienne eux-mêmes qui n’ont pas les moyens de lutter contre les puissants groupes internationaux ; par contre ce sera pour Haïti elle-même une perte irréparable, la disparition à tout jamais d’une fenêtre unique pour continuer à faire briller la magie de son art, de son âme. Bref tout ce qui nous reste aujourd’hui.
On pourrait dire : qui peut se soucier d’art dans les problèmes que nous traversons. Or la culture est justement une manifestation parmi les plus profondes (et les plus fortes) de notre âme et de notre caractère national.
Et aussi longtemps qu’elle existe, aussi longtemps on devra compter avec nous.
Qui a dit : la culture c’est ce qui reste quand on a tout perdu.
Marcus Garcia, Haïti en Marche, 5 décembre 2022