Haïti menacée de disparaître !
MEYER, 8 Décembre – ‘Collapse’ c’est le nom d’un ouvrage paru ces derniers temps (2005) et qui a un grand succès. Son auteur est l’écrivain Jared Diamond, citoyen américain et diplômé de l’université Harvard.
Un expert haïtien, Jean André Victor, vient de commencer une série d’articles dans le quotidien Le Nouvelliste (22 novembre 2012) pour mettre les thèses qui y sont développées plus à la portée de notre public.
En effet dans ‘Collapse’, Effondrement ou plutôt Implosion, disparition par écrasement sous son propre poids, comme on le fait de bâtiments qu’on veut détruire sans affecter les autres qui l’environnent ( !), l’un des exemples sélectionnés par l’auteur de l’ouvrage, c’est Haïti.
Notre Haïti !
Haïti est menacée de disparition par l’ampleur quasi irréversible prise par les causes de destruction physique (au premier chef l’érosion, la disparition de la couche forestière réduite à pas plus de 2% et en même temps des moyens de défense naturels du pays, la moindre pluie provoquant des inondations qui font des centaines de morts et entrainent le pays corps et biens, et le suc même de la vie, à la mer) ; cependant le plus grand facteur de disparition, de ce ‘collapse’, c’est l’impossibilité par l’Haïtien d’arrêter le phénomène sur sa course. Haïti condamnée presque irréversiblement à disparaître un jour, pas si lointain en termes de durée de vie des communautés humaines et des civilisations. C’est ce qu’il ressort sans ambages du livre de Jared Diamond ainsi que de la première partie de l’analyse qu’en fait Jean André Victor dans Le Nouvelliste.
Evanouies dans la nature …
Et ceci est d’autant plus dans l’ordre naturel des choses que ‘Collapse’ fait état de plusieurs autres cas patents. Tous historiques. Evidemment nous aurions préféré éviter un tel honneur !
On sait que les vestiges pré-colombiens (aujourd’hui hauts lieux touristiques) comme les temples du Machu Picchu (Pérou) ou les pyramides de Teotihuacan (au Mexique) ont été des berceaux de grande civilisation mais dont on ne retrouve aucune trace des populations qui les ont créées.
Tous n’ont pas été exécutés par les troupes assoiffées d’or des conquistadors (Pizarro et Cortez).
Ces populations se seraient, si l’on peut dire, évanouies dans la nature.
Victimes de quoi ? D’autres peuples cannibales. Ou de maladies à l’époque incurables. Pensez au cholera.
Mais le continent européen connut peut-être pire encore. N’est-ce pas la disparition entière de peuples dévorés par la famine ou par la peste qui, en faisant ainsi place nette, a permis l’accumulation d’assez de ressources à l’Europe du Moyen Age pour se hisser au niveau de la Renaissance dont naitra la civilisation parvenue jusqu’à nous.
Qu’arrivera-t-il de l’île ? …
Mais si Haïti vient à disparaître, qu’arrivera-t-il de l’île ?
Pour les étrangers qui nous écoutent (ou qui nous lisent), nous sommes deux peuples à partager la même île.
L’autre partie, la face orientale (appelée autrefois ‘partie de l’est’), s’appelle la République dominicaine. Une population métissée (blancs, indiens et noirs).
Et c’est ce qui rend la situation un peu plus complexe. L’autre partie a passé beaucoup mieux le test que nous autres Haïtiens. En gros et grâce aux efforts consentis par ses dirigeants et son peuple, toutes catégories confondues, elle a gardé (ou rétabli) une couverture forestière d’au moins 20%.
Sur le plan économique, la réussite de l’ancienne partie de l’est est encore plus éloquente. Les statistiques établissent que lorsqu’elle nous vend pour plusieurs milliards de dollars en biens et services, nos exportations ne dépassent pas 60 millions par an. Pour la bonne raison que nous ne produisons presque rien et achetons presque tout principalement de lui.
Revanche de l’histoire ! …
Donc si la République d’Haïti peut disparaître, ce ne serait pas automatiquement le cas de toute l’île.
Que faire alors ?
Nos voisins sont-ils condamnés (oui, condamnés) à avoir un jour toute l’île à eux seuls ?
La République dominicaine devra-t-elle un jour prendre possession de toute l’île … qu’elle a pris d’ailleurs l’initiative de rebaptiser Hispaniola ! Comme une fatalité. Par la force des choses. Selon le principe bien connu : la nature a horreur du vide. Rien ne se perd, rien ne se crée.
Mais on pourrait ajouter aussi : juste retour des choses. Revanche de l’histoire !
En effet il faut revenir deux siècles en arrière lorsque c’était pratiquement la même situation mais en sens inverse.
A l’indépendance d’Haïti, en 1804 - l’une des plus grandes surprises de l’Histoire moderne qui prit toutes les grandes puissances de l’époque par surprise : une communauté d’esclaves jetant à la mer l’armée la plus puissante, celle de Napoléon Bonaparte, eh bien c’est la partie orientale de l’île qui était un no man’s land, une morne plaine, un pays en jachères parcouru par des chevaux sauvages.
Aussi pour les nouveaux dirigeants haïtiens, tous issus de la guerre de l’indépendance : traverser la frontière c’était une véritable promenade militaire.
Comme dans du beurre …
Lorsque la force d’expédition napoléonienne se présenta devant le Cap-Haïtien (à l’époque le Cap Français), rappelons que le gouverneur général Toussaint Louverture vit arriver la flotte française depuis la baie de Samana, c’est à dire de l’autre côté de l’île, où il guerroyait contre l’Espagne qui occupait encore ladite partie de l’est.
Ensuite les différentes expéditions militaires ordonnées par l’empereur Dessalines (1804-1806) ou par le président Boyer (1818-1843) pénétreront comme dans du beurre.
Et seul son tempérament fantasque (traduisez son obsession par les sortilèges vodou) empêcheront l’empereur Faustin Soulouque (1847-1859) de réitérer l’occupation haïtienne de la partie orientale.
Puis un jour, y en a marre, une nouvelle génération de citoyens naitra de l’autre côté de la frontière.
Aujourd’hui ils réussissent mieux que nous sur différents plans. Et non des moindres.
C’est donc une question d’hommes capables ou non de faire face à la fatalité.
Jusqu’au 1er Janvier 1804 ! …
De même que nous avons renversé l’esclavage à Saint Domingue. N’oublions pas que Las Casas avait recommandé de faire venir, pour remplacer les Indiens, les Noirs d’Afrique plus propres à l’esclavage.
Le Noir était donc destiné à être esclave. Par fatalité.
Jusqu’au 1er Janvier 1804 !
Donc en matière de fatalité ce bout de terre, même blanchi par l’érosion, en a vu d’autres.
Seuls les hommes qui changent. En bien ou en mal !
Aux Haïtiens de choisir. Ils en ont encore le temps. Même si celui-ci nous est de plus en plus compté.
L’analyse de ‘Collapse’ s’appuie certes sur des exemples historiques mais elle aurait peut-être besoin qu’on la fasse passer aussi au crible de l’histoire des relations Nord Sud, voire du marxisme historique même si ce dernier peut sonner vieux jeu.
Mais pas pour des sociétés encore plus vieux jeu comme la nôtre.
Star Wars …
D’ailleurs le vrai titre du livre c’est ‘Effondrement ou comment des sociétés décident de leur disparition ou de leur survie’. Donc il s’agit moins de fatalité que de choix. Choix clair mais aussi éclairé.
Enfin il existe de multiples autres causes pouvant laisser craindre la disparition d’une société ou d’un peuple.
Selon l’auteur, ces causes sont diverses : environnementales, changements climatiques, voisins hostiles, problèmes de réponse sociétale (le racisme par exemple comme au Rwanda et aujourd’hui à nouveau au Nigéria ou hier en Allemagne) ou encore, mais oui, rivalités commerciales.
Par exemple certains Américains pensent sérieusement que pour échapper à la crise économique actuelle leur pays devrait commencer à construire une immense station spatiale (comme dans le film Star Wars) où éventuellement se réfugier !
Marcus - Haïti en Marche, 8 Décembre 2012