PORT-AU-PRINCE, 28 décembre – Commençons par dire que la fin d’année ne fut pas toujours aussi triste. Personne ne peut oublier la veille de notre entrée dans le nouveau siècle (l’an 2000) avec le Champ de Mars plein de gaieté et d’attractions dont ces traineaux pour enfants semblables à celui du Père Noel, ainsi que la renaissance de la Cité de l’Exposition ou Bicentenaire avec tous ses centres d’attraction remis en animation. Vous me direz mais où tout cela est-il passé ? La crise. Oui la crise toujours recommencée.
Même le 31 décembre 2003 et veille du Bicentenaire de l’Indépendance (1804-2004), en pleine guerre civile, oui guerre civile Lavalas versus Groupe des 184, et pourtant les fanaux de Noel se ramassaient à la pelle.
N’en déplaise à notre plus grand président depuis l’Empereur Dessalines puisque c’est le titre auquel ouvertement aspire Mr Jovenel Moïse …
En tout cas ce samedi 28 décembre 2019, la petite marchande des quatre saisons (après n’avoir rien vendu pendant les trois premières … saisons on ne peut plus en enfer, comme dit le poète) a failli plusieurs fois s’endormir derrière son étal, aucun acheteur à l’horizon. En créole ‘kòk pa bat.’
Même les taxi-motos s’ils ne sont pas rentrés faute de clients, sont vus surtout dans de bruyantes conversations aux carrefours les plus achalandés du centre-ville.
Une seule conversation ? Les difficultés économiques. Oui mais surtout l’insécurité. Voici que celle-ci accomplit un nouveau bond alors qu’on espérait une amélioration avec le ralentissement de la mobilisation politique qui a permis la réouverture des écoles, or voici que l’on remet ça : les conversations cette veille de la fin d’année c’est le kidnapping de la compagne de feu notre ami Titoine Izméry qui serait gardée en otage à Village de Dieu, quartier au sud de la capitale, depuis de nombreux mois sous le contrôle de gangs armés, avec son fils Adam et une parente.
Nous prions les gangsters (si ce n’est pas encore fait à l’heure de diffusion de cet éditorial) de les remettre en liberté, s’il vous plait (‘Bon Dye va beni w’) car c’est qu’ils ne savent pas que Antoine Izméry a été l’un des plus ardents et en même temps plus généreux défenseurs de cette partie la plus méprisée de notre peuple.
Et que c’est la raison pour laquelle il a été assassiné. En plein jour, le 11 septembre 1993, sous la dictature militaire du Général Raoul Cédras et du Colonel Michel François.
Le seul nom de Antoine Izméry aurait suffi à arrêter les criminels dans leur forfait il n’y a encore pas si longtemps.
C’est donc que les temps ont bien changé. Pour paraphraser Aragon, nous voici aujourd’hui vivant ‘un temps déraisonnable (… ) on prend les loups pour des chiens.’ Justement.
‘Marengwen ap vole gwo la jounen, ou pa konn sa k mal, sa k femèl.’


Un bon point pour la Police nationale qui a déployé une présence plus importante dans les rues pour la circonstance.
Une autre information qui fait la une : deux jeunes hommes abattus à Pétionville, vendredi soir, non loin du Giant Market.
La police les avait pris en filature. Abattus. Ni vu. Ni connu.
Vrais méchants ou dégâts collatéraux ? Que voulez-vous ? On marche sur des œufs.
En plus des pas moins de 500.000 armes illégales en circulation, voici la découverte d’un très important arsenal chez un certain Aby Larco dans sa demeure à Puits Blain 9, Pétionville, le mardi 24 décembre.
Est-ce que les autorités ont réalisé là le coup de filet du siècle ? Pas si certain puisque voici que qui de droit s’amuse déjà à bombarder les ondes et réseaux sociaux de maintes « autorisations » officielles (Police nationale d’Haïti, Unité de sécurité du Palais National, Douane de Port-au-Prince etc) détenues par le dénommé Aby Larco dont les activités ne seraient donc pas inconnues, comme on disait autrefois, pour les ‘autorités supérieures’ de la République.
A ce propos, nous ne pensons pas tellement pécher d’exagération si nous prédisions que la guerre civile est proche et qu’il faudra s’en méfier l’année qui s’en vient.
En effet, le fait du jour c’est le langage politique qui en un clin d’oeil, a changé du tout au tout.
Que se passera-t-il le Premier janvier 2020 ? Le Président de la république, Jovenel Moïse, prononcera-t-il le discours habituel sur la Place d’Armes des Gonaïves, Cité de l’Indépendance, comme il s’y prépare ?
Ou les opposants, du moins des secteurs s’exprimant via les réseaux sociaux, seront-ils capables de l’en empêcher ?
Y compris les armes à la main, comme ils le disent.
C’est là soudain un changement de langage total capital dans le cadre de la crise politique qui fait rage depuis du moins juillet 2018 avec les émeutes qui avaient régné pendant trois jours et causé des dommages considérables dans la ceinture commerciale de la capitale (Delmas, Route de l’Aéroport international, Pétionville etc).
Or c’est le Président lui-même qui par ses propres mots a lancé le nouveau cours des choses en utilisant le mot ‘ACCIDENTS’ parlant de ceux qui voudraient l’empêcher d’accomplir sa mission (bien sûr) historique ! Des ‘accidents’ peuvent se produire. Les accidents ne sont pas faits pour les chiens, quoi !
Notre petit doigt nous dit que s’il y a un vœu à formuler pour 2020, c’est que nous puissions éviter le risque de revenir à ce que l’Histoire d’Haïti définit sous l’appellation de ‘Le temps des baïonnettes’ (merci Roger Gaillard) quand le pouvoir était … au bout du fusil. Et rien d’autre.
Et hélas, ce temps a duré longtemps. Plusieurs décennies de turbulences qui ont ruiné toujours davantage le pays … jusqu’à l’Occupation américaine en 1915 (soulignons !).
Jovenel Moïse semble parfaitement jouer le jeu. Aux dernières nouvelles, on dirait moins un chef de l’Etat visitant son peuple privé même de la soupe de l’Indépendance, que Sylvain Salnave poursuivant les rebelles dans les grands espaces déboisés de l’Artibonite et du Nord-Est.
Jouer au ‘lago kache’. C’est à qui piégera l’autre. Du Président ou de ses adversaires de plus en plus mystérieux, inconnus, imprévisibles, la lutte s’éloignant de plus en plus de la classe politique de la capitale.
Traitez-nous donc de bouche ‘kabrit’ ! C’est à dire de diseur de mauvaise aventure. De mauvais présages. Que nous ne voudrions pas être, bien sûr que non.
Bonne Année malgré tout.

Marcus-Haïti en Marche, 28 décembre 2019