Haïti : silence, on tue !
PORT-AU-PRINCE, 11 Décembre – Haïti est sous le choc. Le dernier crime le plus horrible est l'assassinat d'une jeune étudiante, Lentie S. Mirville, 24 ans, après son enlèvement et alors que son père, propriétaire d'un bureau de change, avait déjà versé 90.000 dollars américains sur les 150.000 qui étaient exigés par les bandits.
On pense qu'elle aurait identifié un de ces derniers qui, par peur d'être dénoncé, aurait décidé de se débarrasser de la victime.
Le corps sera découvert au fond d'un ravin à un endroit assez isolé de la route de Jacmel (Morne Karate).
Peu auparavant c'est un animateur radio (Scoop FM), Mass Design (de son vrai nom, Chéristin Ferdinand) qui est abattu à Puits-Blain, zone de Delmas 75.
Deux cas sûrs de faire les grands titres locaux.
Et venant couronner cette série noire vécue ces jours-ci et ainsi depuis plusieurs semaines avec des agressions à la chaîne, des assassinats des plus spectaculaires et à longueur de journée, principalement à la capitale et en plein jour (samedi c'est un technicien dominicain travaillant en Haïti et un compagnon haïtien qui sont abattus), hold-ups et vols de véhicules ne se comptent plus (comme c'est arrivé vendredi au journaliste vedette de Radio Tele Métropole, Wendell Théodore). Parmi les cibles privilégiées : les policiers eux-mêmes, dont l'un a été tué de plus de 20 balles. Ce qui laisse à penser qu'il y a une volonté aussi de faire dans le spectaculaire. Donc qu'on ferait face à quelque chose d'encore plus important que la criminalité ordinaire.
La criminalité a pris le pouvoir ! ...
Autre signe particulier. Il n'y a plus de zone rouge ou de non droit, comme on disait encore il y a quelques années (2004-2006).
Ou alors celles-ci se sont élargies à toute la capitale. C'est partout que cela pétarade. Et plutôt de jour que de nuit. Et soudain un cadavre en plein milieu de la rue. Ni vu ni connu. Donc la criminalité règne en maitre sur la ville. La criminalité, si l'on peut dire, a pris le pouvoir !
La police arrive toujours en retard. Certains disent que les policiers sont les premiers à se mettre à couvert puisque se sachant une cible privilégiée.
Les criminels semblent avoir réussi leur pari : maitriser, dominer la police. Et donc, tout le pays avec elle, puisque la police nationale est le seul corps autorisé officiellement à porter des armes.
A force d'avoir tué des policiers et aussi de sortir toujours vainqueurs des confrontations avec ces derniers.
Chicago des années 1930 ...
Sans tomber dans les rumeurs voulant que les policiers soient eux-mêmes alliés aux gangs. Il est vrai que depuis le Chicago des années 1930, la stratégie a toujours été la même : assassiner des policiers pour forcer tout le corps à coopérer.
Mais d'où viennent tous ces pistolets ? Il en sort de partout aux mains de jeunes hommes dont la moyenne d'âge ne dépasse pas 24 ans. Et ces derniers s'en servent avec une adresse peu commune qui les rend toujours victorieux aussi bien sur les policiers que les rares civils qui tenteraient de leur résister avec une arme.
On vous dit : surtout pas d'arme, vous aurez une chance d'en sortir vivant !
Par conséquent, les jeunes délinquants sont au pinacle, sont les rois. C'est même à leurs victimes qu'on donne tort. On entend : il n'aurait jamais dû essayer de se défendre.
Massacre électoral de novembre 1987 ...
Qui plus est, l'Etat ne s'en émeut point. Mais point du tout. Comme s'il avait d'autres chats à fouetter. L'assassinat de la jeune étudiante par ses kidnappeurs n'a été l'objet d'aucun commentaire par la bouche des officiels.
Aussi pour les uns c'est le pouvoir en place, ou plutôt des proches alliés aux intérêts inavouables, qui seraient à l'origine d'une campagne de terreur, comme autrefois à la veille du massacre électoral du 29 novembre 1987.
Pour d'autres au contraire, le pouvoir est au bout du rouleau et n'a plus les moyens de faire face à un phénomène qui échappe désormais à tout contrôle, forçant le pauvre citoyen à vivre dans un état permanent de panique. Dépression à la clef.
Qui sont les tueurs qui se sont rendus ainsi les maitres tout puissants de la capitale ?
Motos, pistolets et portables ...
Tous les crimes se commettent de la même manière. Des tueurs à moto. De jeunes hommes. Qu'ils attaquent une personne sortant d'une banque ou d'une institution financière quelconque. Qu'il s'agisse d'un coup ciblé. Comme l'exécution d'un policier.
Depuis tant d'années que ces crimes se commettent de la même façon, immanquablement, rien d'effectif n'a été fait pour les arrêter. Ni même pour les arrêter de se multiplier. Tout au contraire. Et aujourd'hui on touche à un pic. Si on ne l'a depuis longtemps dépassé.
Evidemment les pouvoirs publics (police et justice) répètent les mêmes banalités de toujours : à chaque fois que l'on est en période électorale, voire en même temps en fin d'année c'est toujours ainsi, il y a toujours une remontée de l'insécurité. Et blablabla.
Est-ce que cela fait une différence entre le policier qui pourrait avoir été tué d'une balle mais qui en a reçu plus d'une vingtaine ?
D'où viennent toutes ces armes ? A un moment où il est tant question de terrorisme international !
D'où viennent toutes ces motos qui sont devenues l'instrument indispensable pour tuer et en même temps permettre aux tueurs de disparaître à tout jamais ?
D'où viennent tous ces tueurs eux-mêmes, aussi habiles pour frapper à chaque fois en plein dans le mille et disparaître pratiquement sans laisser de traces.
A ce train là les tribunaux auraient dû siéger toute l'année et à longueur de journée pour entendre tous ces crimes.
Pourtant les gens n'ont que leurs yeux pour pleurer.
Silence, on tue !
Pas étonnant que les avions en direction d'Haïti soient vides pour cette fin de décembre.
Haïti en Marche, 11 Décembre 2015