PORT-AU-PRINCE, 18 Novembre – Le week-end dernier on a laissé courir trop vite la nouvelle que le monument de Vertières avait été repeint en rose et blanc, couleurs Martelly-stes.
Qui plus est, en suggérant que c’était le fait du pouvoir lui-même.
Il n’en est rien.
Selon notre correspondant au Cap-Haïtien, des mains inconnues ont en effet passé une couche de peinture rose et blanc sur le socle du monument. Mais au lever du jour, des organisations populaires de la zone avaient tôt fait d’effacer le sacrilège et de repeindre comme auparavant en marron vert ce que notre Histoire dénomme les hommes d’airain (équivalent du bronze), c’est-à-dire les héros qui ont inscrit dans le feu et le sang, le 18 Novembre 1803, la fin de l’esclavage à Saint-Domingue et la naissance de la première république noire indépendante du monde.
Mais c’est cette même dangereuse course aux ‘scoops’ à laquelle se livrent nos médias qui fait que l’on avait aussi annoncé vendredi, avant confirmation, qu’un casque bleu (Minustah) avait tué un étudiant alors que ces derniers tiennent le haut du pavé (au sens propre) depuis une semaine pour protester contre l’assassinat d’un des leurs par un policier.
Quand dans le second cas il s’agissait plutôt d’un échange de tirs entre la police et des bandits qui a résulté dans la mort d’un de ces derniers.
Mais on a évité de justesse une plus grande escalade des troubles sans qu’on n’ose imaginer jusqu’où cela nous aurait mené !

Considérer le national comme vieux jeu …
Revenons à l’incident de Vertières. Monument se dressant au Haut de la ville du Cap-Haïtien (chef-lieu du département du Nord) et rappelant la dernière position enlevée aux troupes napoléoniennes par l’armée indigène sous le commandement de Jean-Jacques Dessalines, et où s’immortalisa notamment le général Capois-la-Mort.
On se plaint depuis longtemps que le sens civique s’est étiolé dans notre pays jusqu’à devenir quasiment inconnu de notre jeunesse sous le coup d’influences externes souvent mal digérées et considérant ce qui est national comme vieux jeu.
Mais c’est non seulement aux responsables publics et à nos élus de lutter pour rétablir l’équilibre mais de donner l’exemple dans leur propre comportement.
Nous étions dans un centre commercial quand la nouvelle concernant Vertières est tombée. Commentaires d’un vieux monsieur : ‘Et puis après, un tout petit groupe va en être offusqué mais depuis longtemps les valeurs et les modèles n’ont aucune importance dans ce pays.


Un autre de rajouter : Duvalier n’avait-il pas remplacé le bleu du drapeau national par le noir ?’

Haïti y croyait encore ! …
Oui, mais rappelons que dès la chute de la dictature trentenaire, le bleu a retrouvé sa place dans l’emblème national.
Le 7 Février 1986, ne serait-ce pour ce seul exemple, reste une date importante. Parce que Haïti y croyait encore !
Aujourd’hui encore l’exemple doit venir d’en haut. Si les responsables publics se mettent à sous-estimer l’importance de ces symboles, à les banaliser, comment le reprocher au simple citoyen ?
A plus forte raison quand la souveraineté nationale nous semble violée par la présence de troupes étrangères dépêchées il y a déjà 8 ans pour rétablir le statu quo ! Et que ce sont nos propres négligences qui continuent de servir de prétexte à leur maintien à demeure.
Que les autorités nationales n’aient pas les moyens pour mettre fin à cette présence qui jure avec la geste du 18 Novembre 1803, elles ont cependant pour devoir de maintenir la flamme même au plan symbolique.
Sinon c’est la capitulation. C’est la trahison plate.

Apprentis profanateurs …
Le patrimoine historique national ne se négocie pas. Ni envers les ‘occupants’. C’est entendu. Ni envers de futurs électeurs (but visé par les apprentis profanateurs du monument de Vertières). Dès l’école, puisque la conjoncture nous y oblige, il nous faut apprendre aux enfants la différence entre le patrimoine historique - héritage sacré, et la politique qui est purement conjoncturelle et profane. Si ce n’est pire !
Mais le même respect doit se manifester aussi par celui du bien public car le bien public n’est que la matérialisation du patrimoine national pour lequel nos ancêtres ont donné leur vie.
C’est par le respect du bien public, entendez la non utilisation abusive des ressources de l’Etat, que le respect de ce qui est au-dessus de nous et hors de notre atteinte de simple mortel se traduit en actes.
Chaque fois qu’on gaspille la moindre ressource publique, on retire un morceau de pain de la bouche d’un enfant nécessiteux, et c’est Vertières que l’on trahit !
Vous pensez que c’est ringard, que tout cela est dépassé. Alors dégagez et recherchez vous d’autres héros ! Si vous le pouvez.

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince