Amélie BARON, avec Martine PAUWELS à Londres
AFP19 février 2018
Port-au-Prince (AFP) - L'ONG britannique Oxfam a présenté ses excuses au peuple haïtien lundi pour les dérives sexuelles de certains de ses employés, exprimant sa "honte" en remettant aux autorités à Port-au-Prince son rapport d'enquête interne.
Le directeur général d'Oxfam Mark Goldring doit venir mardi à Londres s'expliquer sur ce scandale devant une commission parlementaire britannique, de même qu'un responsable d'une autre organisation humanitaire elle aussi touchée par un scandale, Save the Children.
Le rapport interne remis au gouvernement haïtien décrit en onze pages de nombreuses dérives de la mission humanitaire déployée en Haïti après le séisme meurtrier de 2010.
Un responsable y reconnaît avoir payé des prostituées, d'autres employés sont accusés de harcèlement et d'intimidation, et un témoin a été menacé physiquement.
"Nous sommes venus ici (à Port-au-Prince, ndlr) pour exprimer notre honte et nos excuses au gouvernement haïtien et à la population haïtienne pour ce qui s'est passé", a déclaré Simon Ticehurst, directeur régional d'Oxfam pour l'Amérique Latine et les Caraïbes.
Il venait de s'entretenir pendant deux heures avec Aviol Fleurant, ministre haïtien de la Planification et de la Coopération externe.
"Nous avons pris de nombreuses mesures pour améliorer les mesures internes de sauvegarde" censées éviter les mauvais comportements, a assuré M. Ticehurst.
"On va maintenant solliciter des rapports de toutes sortes, audits, rapports financiers, dans un souci de reddition de comptes", a déclaré le ministre haïtien.
Il s'est interrogé sur une éventuelle "obstruction à la justice" de la part d'Oxfam, car avant la remise du rapport lundi, les autorités haïtiennes n'avaient "jamais été informées de ces crimes commis dans les locaux de l'institution".
Les autorités haïtiennes ont annoncé la semaine dernière vouloir mener leur propre enquête. L'ONG s'était engagée à leur remettre lundi une version intégrale de son rapport rédigé en 2011 et dont une version partiellement censurée a été rendue publique lundi.
Le Belge Roland Van Hauwermeiren, ancien directeur d'Oxfam en Haïti, a reconnu avoir eu des rapports tarifés avec des prostituées dans des locaux financés par l'organisation. Le recours à des prostituées mineures n'a pas été exclu par Oxfam.
"C'est absolument horrible", a déclaré lundi la Première ministre britannique Theresa May. Les comportements révélés sont "bien en-deçà des standards que nous pouvons attendre des associations caritatives et ONG avec lesquelles nous travaillons", a-t-elle dit.
- 'Beaucoup de filles' -
Dans le quotidien The Times, une jeune Haïtienne, Mikelange Gabou, raconte avoir eu une relation avec M. Van Hauwermeiren alors qu'elle avait 16 ans et lui 61. Elle dit qu'il lui a donné de l'argent et des couches pour son nouveau-né. Selon elle, il invitait parfois dans sa maison des femmes venues demander un emploi et leur donnait parfois de l'argent.
"Il m'aidait mais il avait beaucoup de filles", raconte-t-elle. "C'était toujours des (...) Haïtiennes. Les femmes étaient sa distraction".
M. Van Hauwermeiren avait affirmé qu'il n'avait pas organisé d'orgies avec de jeunes prostituées. Dans une lettre publiée par des médias belges, il avait seulement reconnu avoir eu des rapports sexuels avec une "femme honorable et d'âge mûr" et avait soutenu qu'il ne lui avait pas versé d'argent.
Selon le rapport, sept employés d'Oxfam en Haïti ont quitté l'ONG dans le cadre de l'enquête. Outre le recours à des prostituées, certains étaient également mis en cause pour harcèlement et intimidation, envers d'autres membres du personnel notamment.
Quatre ont été licenciés pour "faute grave" tandis que trois ont démissionné, dont Roland Van Hauwermeiren, auquel il a été proposé un "départ digne, à condition qu'il coopère pleinement avec le reste de l'enquête".
Oxfam dit avoir choisi de rendre public ce rapport pour "être aussi transparente que possible quant aux décisions prises durant l'enquête". Elle affirme avoir communiqué aux autorités compétentes les noms des personnes soupçonnées.
L'ONG a dévoilé vendredi un plan d'action pour empêcher de nouveaux abus sexuels et tenter ainsi d'apaiser la polémique qui a fait fuir ses soutiens.
Le ministère britannique du Développement international a imposé à chaque organisation percevant des subventions publiques, dont Oxfam, de lui faire parvenir un rapport sur les pratiques de prévention interne d'ici au 26 février.
"Nous ne travaillerons pas avec quiconque ne satisfait pas aux normes élevées que nous avons établies", a averti Theresa May.
- Cascade de révélations -
Dans son rapport de 2011, Oxfam estimait devoir mettre en place de "meilleurs mécanismes" pour informer d'autres régions et agences du comportement problématique de certains employés.
L'organisation s'est pourtant vu reprocher d'avoir laissé les salariés incriminés rejoindre d'autres ONG, sans mise en garde. Après Oxfam, Roland Van Hauwermeiren a rejoint l'ONG française Action contre la faim au Bangladesh. Cette dernière a déploré de ne pas avoir été prévenue.
Les premières révélations sur les agissements des employés d'Oxfam en Haïti en avaient entraîné d'autres, notamment sur des abus au Soudan du Sud et au Liberia.
Le scandale s'est aussi étendu à d'autres organisations humanitaires, dont Save the Children. L'ONG britannique est accusée d'avoir laissé partir sans sanction un de ses employés, alors qu'il lui était reproché un comportement sexuel inapproprié envers des collègues féminines.