par Jess Macy Yu et Ben Blanchard
PEKIN (Reuters) - La République dominicaine a rompu mardi les liens diplomatiques avec Taïwan pour faire allégeance à la Chine, un nouveau coup dur pour l'île qui accuse la nation antillaise d'avoir accepté de fausses promesses d'aide de Pékin.
Taïwan, où les nationalistes se sont réfugiés en 1949 après leur défaite face aux communistes, est considérée par la Chine comme une province sécessionniste.
Avec le changement d'allégeance de la République dominicaine, le nombre de pays ayant des relations formelles avec Taïwan est ramené à 19, essentiellement des nations pauvres d'Amérique centrale et du Pacifique. Ce nombre avoisinait la trentaine au milieu des années 1990.
La Chine courtise assidûment depuis des années les pays reconnaissant Taïwan, afin de tenter de les faire rompre ces relations. Pékin a encore redoublé d'efforts en la matière depuis l'élection il y a deux ans de la présidente indépendantiste Tsai Ing-wen.
En juin dernier, le Panama, qui était alors l'un des plus anciens d'alliés de Taïpei, avait rompu ses liens avec Taïwan pour en établir avec la Chine.
Le bureau de la présidence de Taïwan a déclaré que le gouvernement ne céderait pas à la pression exercée par Pékin, ajoutant qu'il ferait tout pour protéger les intérêts de l'île.
Lors d'une conférence de presse, le ministre des Affaires étrangères taïwanais Joseph Wu s'en est à la fois pris à la République dominicaine, alliée de Taïwan depuis 77 ans, et à la Chine.
"Le président Danilo Medina de la République dominicaine a ignoré notre partenariat de long terme, les souhaits du peuple de la République dominicaine et les années d'aides au développement fournis par Taïwan pour accepter les fausses promesses d'aide et d'investissement de la Chine", a-t-il dit.
Taïwan "condamne fortement la décision inacceptable de la Chine d'avoir recours à une diplomatie du dollar pour faire changer d'avis les alliés diplomatiques de Taïwan", a ajouté Joseph Wu.
Son homologue chinois, Wang Yu, a salué la décision de la République dominicaine, estimant qu'elle était en parfait accord avec "les intérêts essentiels du pays et sa population".

"La Chine offre des montants énormes que Taïwan ne peut pas égaler", a-t-il fustigé, accusant le régime communiste de ne pas tenir ses promesses de développement une fois les relations établies.
La République dominicaine, qui compte 10 millions d'habitants et dont l'économie repose sur l'agriculture et le tourisme, a remercié mardi Taipei pour sa coopération au fil des ans.
Mais "l'histoire et la réalité socio-économique nous obligent à changer de cap", s'est justifié le gouvernement dominicain, défendant une décision "extraordinairement positive pour l'avenir du pays".
C'est un revers pour Taïwan, que seuls 19 Etats reconnaissent encore, parmi lesquels le Vatican, des nations du Pacifique et d'Amérique latine (Honduras, Guatemala, Nicaragua...), mais aussi d'Afrique (Burkina Faso).
Haïti, qui partage l'île d'Hispaniola avec la République dominicaine, reste fidèle à Taipei.
Après le Costa Rica en 2007, la Gambie en 2013 et Sao Tomé en 2016, le Panama avait été le dernier pays en date l'an dernier à changer de partenaire diplomatique en faveur de la Chine communiste.
- Bientôt le Vatican ? -
L'organe taïwanais des "affaires continentales" a appelé Pékin à "cesser ses actions provocatrices exerçant une pression politique et militaire extrême sur Taïwan".
La Chine a durci son attitude depuis l'arrivée au pouvoir en 2016 à Taipei de la présidente Tsai Ing-wen, dont le parti est connu pour ses positions traditionnellement pro-indépendance.
Avec la République dominicaine, "la Chine avertit Taïwan de ne pas franchir la ligne rouge d'une déclaration d'indépendance", après avoir déjà tenté de l'intimider en intensifiant ses manoeuvres militaires au large de l'île, estime Tang Shao-cheng, de l'Université taïwanaise Chengchi.
Pour Michael Cole, chercheur de l'Université britannique de Nottingham, "Taïwan doit concentrer son énergie sur des relations solides, diversifiées, constructives, avec ses partenaires non officiels".
"La République dominicaine rejoint une longue liste de petits Etats parasitaires qui profitaient des largesses taïwanaises et jettent les principes par la fenêtre pour empocher davantage auprès de la Chine. Taïwan n'a plus les moyens de ce jeu-là", insiste-t-il.
Le Vatican pourrait-il être le prochain Etat à virer de bord?
La perspective d'un rapprochement entre le Saint-Siège et le régime communiste s'est récemment renforcée avec l'avancée de négociations sur une procédure de nomination des évêques, prélude à un accord historique.
Une hypothèse balayée par Joseph Wu: les liens entre Taïwan et le Vatican "ne sont pas menacés dans l'immédiat", a-t-il martelé.
La République dominicaine a dit avoir pris sa décision après une longue période de consultations, passant en revue ses besoins et son potentiel, selon un communiqué publié sur le site de la présidence du pays.
"Nous sommes profondément reconnaissants de la coopération entretenue pendant des années (avec Taïwan)", a déclaré Flavio Dario Espinal, conseiller juridique de la présidence.
"Cependant, l'histoire et la réalité socio-économique nous contraignent aujourd'hui à changer de direction."
Le Vatican pourrait être le prochain Etat à tourner le dos à Taïwan et établir des liens avec la Chine, à la faveur d'un futur accord-cadre entre le Saint-Siège et Pékin sur la nomination d'évêques.