PORT-AU-PRINCE, 1er Juin – Il ne faudrait pas qu'on donne au gouvernement haïtien trop de responsabilité dans l'affaire TPS.
Pour la bonne raison que à cause de ses obligations vis à vis de l'autre pays, il ne peut trop faire.
Qu'on se souvienne du dossier de dénationalisation des Dominicains d'ascendance haïtienne qu'une disposition de la Cour suprême de Santo Domingo est venue priver de leur nationalité acquise par la naissance dans ce pays.
Les autorités dominicaines ont su nager habilement pour écarter les institutions internationales (dont la Cour interaméricaine des Droits Humains – CIDH, la Caricom ou communauté des Etats de la Caraïbe etc) pour se retrouver avec pour vis à vis uniquement le gouvernement haïtien.
Et nous avons perdu. Pardon, les Dominicains-Haïtiens ont pratiquement perdu la bataille.
Nombre d'entre eux font partie des dizaines de milliers d'expulsés et de rapatriés qui ont depuis traversé la frontière.
Ce mercredi (31 mai), le ministre de la sécurité intérieure des Etats-Unis, et à ce tire responsable en chef de l'immigration, John Kelly, a rendu visite au président Jovenel Moïse au palais national, qui l'a reçu en compagnie du premier ministre Jack Guy Lafontant et d'autres autorités gouvernementales.
En gros, la rencontre s'est terminée en queue de poisson. Au sens que rien n'a changé sur le fond. Le ministre américain a promis de continuer à réfléchir mais sans garantir ce que souhaitait l'Etat haïtien lui aussi : une prolongation du TPS pour 18 mois et non pour seulement 6 mois comme l'a décidé la semaine dernière le ministre Kelly.
Comme vous savez, le mot TPS désigne un statut de résidence temporaire que l'ex-président Barack Obama avait bien voulu accorder aux Haïtiens qui se sont réfugiés aux Etats-Unis au lendemain du séisme de janvier 2010 qui a ravagé la capitale haïtienne, faisant plus de 250.000 morts.
Ils sont près de 60.000 compatriotes à vivre depuis 7 ans aux Etats-Unis sous la protection de ce statut spécial mais temporaire qui leur permet de travailler, d'envoyer leurs enfants à l'école et même de visiter le reste de la famille de temps en temps en Haïti, comme s'ils avaient la résidence légale, communément appelée la carte verte ('green card'). Mais voilà, le TPS est une disposition temporaire. La seule façon de continuer à en bénéficier c'est si elle est renouvelée. Comme l'administration Obama l'a fait depuis tous les 18 mois.
Mais voilà, c'est un nouveau président qui occupe la Maison Blanche, Mr Donald Trump. Et il a des sentiments différents vis-à-vis de ce dossier.
La semaine dernière, son ministre de l'intérieur, John Kelly, a décidé une prolongation du TPS pour seulement 6 mois. En précisant que ces 6 mois c'est pour donner le temps aux personnes en question pour préparer leur dossier afin de retourner en Haïti.


Cependant cette décision a provoqué un tollé aux Etats-Unis où les éditoriaux se succèdent accusant le gouvernement américain de vouloir renvoyer les 60.000 Haïtiens et leurs enfants dans un pays qui non seulement n'est pas sorti des décombres du séisme mais qui a subi encore d'autres terribles catastrophes comme l'ouragan de catégorie 5 (Matthew) qui a ravagé trois départements du pays en octobre 2016.
Aux Etats-Unis les défenseurs de la cause haïtienne considèrent que la visite du ministre John Kelly n'est que pure démagogie car comment peut-il juger de l'état véritable du pays en restant seulement au palais national pendant toute la visite ?
Mais le ministre a semblé lui-même réaliser l'ambivalence de sa démarche. Ecoutons-le lors de la conférence de presse qui a suivi la visite : 'Le TPS est une disposition temporaire, par conséquent elle n'est pas définitive. Le TPS n'est pas la carte verte ou green card. La seule façon pour qu'elle dure c'est son renouvellement.'
John Kelly vient d'en faire le renouvellement pour 6 mois.
Il dit qu'il peut continuer à y réfléchir. De concert avec le gouvernement haïtien. Mais il ne promet rien.
Mais qui plus est, le Miami Herald rapporte que des membres Républicains du Congrès seraient prêts à saboter l'application du TPS si l'administration Trump décidait de le renouveler pour les 58.000 Haïtiens.
A ce niveau on comprend que la question dépasse de loin les possibilités d'intervention de l'Etat haïtien dans le dossier.
Il serait donc maladroit de faire porter trop de responsabilité à ce dernier. La seule chose qu'on puisse demander au gouvernement haïtien c'est de ne pas se laisser utiliser par l'administration américaine pour faciliter la déportation de nos compatriotes.
C'est une question américaine qui doit être réglée essentiellement au niveau des institutions des Etats-Unis : en face de l'administration Trump, une importante partie de la société civile aux Etats-Unis, les grands journaux (New York Times, le Miami Herald etc) et bien entendu la communauté haïtienne-américaine.
Notre support en Haïti ne peut venir qu'en appui à une cause mais qui se joue essentiellement aux Etats-Unis. Et en vertu des lois des Etats-Unis.
Et c'est déjà bigrement complexe. Comme l'explique le ministre John Kelly : 'le TPS est une disposition temporaire.'
C'est aussi une disposition faisant partie des privilèges du président des Etats-Unis ('executive orders'). C'est-à-dire que le président peut décider de lui-même de l'accorder et/ou de le renouveler pour une catégorie de personnes se trouvant en territoire américain pour une raison ou une autre.
Mais en dehors de son renouvellement (retenez-le bien), le président ne peut rien d'autre. Obama ne pouvait pas décider de lui-même de donner la résidence définitive aux quelque 58.000 Haïtiens. Pour la bonne raison que seule une loi le permettrait. Or qui dit loi dit le Congrès.
Cette loi s'appelle une amnistie. Une amnistie pour tous les étrangers illégaux se trouvant dans le pays.
Or Obama a dirigé avec un Congrès à majorité Républicaine dans les deux chambres.
Donc point d'amnistie pendant ses deux mandats (8 ans).
Mais qui pis est, voici élu Donald Trump. Et qui annonce son intention de renvoyer chez eux tous les étrangers se trouvant illégalement dans le pays.
Nous entendons certains compatriotes ici en Haïti dire que, selon eux, la seule solution équitable c'est la légalisation définitive de leur statut pour tous ces compatriotes qui ont été forcés par le séisme de laisser leur pays et qui aux Etats-Unis ont un comportement irréprochable.
C'est vrai mais comment obtenir une légalisation définitive sinon par l'amnistie.
Ou alors par des démarches individuelles. C'est une autre affaire.
On peut espérer convaincre l'administration américaine d'accorder un renouvellement pour 18 mois et non seulement pour 6.
Mais et après ?
C'est un vrai dilemme.
Cependant il y a des cas où le TPS a été renouvelé presque indéfiniment.
Oui, pour les Cubains. Et cela depuis que le président John Kennedy l'avait décidé au début des années 60 après l'échec pour renverser le gouvernement révolutionnaire cubain.
C'est seulement avant son départ de la Maison blanche en janvier dernier que le président Obama y a mis fin. Dans le cadre du programme de réchauffement des relations entre Washington et La Havane.
Nous n'avons pas une aussi grande importance sur le plan géostratégique.
Cependant au nom de l'Histoire (au nom de Savannah !), au nom aussi de l'importance aussi bien stratégique que économique que représente Haïti pour les Etats-Unis (même si Washington préfère le cacher ?), mais surtout au nom du comportement sans tâche de ces 58.000 compatriotes qui ne vivent pas aux frais du contribuable américain mais paient leurs taxes ... et vivent en accord avec le rêve américain, nous allons continuer à exiger pour eux le renouvellement du TPS jusqu'à ce qu'une solution plus définitive soit trouvée.
Mais la lutte est menée aux Etats-Unis mêmes. Pas en Haïti. Pas au palais national de Port-au-Prince.
Mais en même temps, pas de coups bas de la part du gouvernement haïtien ! Ni d'aucune autre institution. Publique ou privée. Nationale ou internationale. 'Veye yo !'

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince