Adieu Lili !
MIAMI, 1er Août – J’ai connu Liliane la journaliste … mais pas Liliane la journaliste la plus célèbre peut-être de toute l’histoire d’Haïti.
C’était les années 1970 sous la dictature. Elle était à Radio Haïti Inter et moi directeur de l’information de Radio Métropole après avoir occupé la même fonction à Haïti Inter.
Mais on se retrouvait elle et moi tous les jours parce que je faisais moi-même le boulot de ramassage des infos tandis que la toute jeune Liliane, surnommée à juste titre Lili, le faisait pour l’émission dont la big star s’appelait Konpè Filo (vrai nom Anthony Pascal).
Filo est le seul confrère que je pouvais jalouser parce que dans son créole inimitable il était la coqueluche des gens de Cité Soleil, à l’époque Cité Simone et seul bidonville connu de la capitale haïtienne.
Liliane m’attendait parce que je la ramenais en voiture, on a une différence d’âge d’une dizaine d’années.
Par exemple le lundi on faisait l’Hôpital général, le mardi les Recherches criminelles, le mercredi le Pénitencier national, et occasionnellement le Palais de justice etc.
On a donc largement le temps de se connaitre et surtout de rire des démêlés autour de nous parce qu’appartenant à deux stations concurrentes, se partageant le même public, et un public tellement passionné que c’est lui qui finalement donnait le tempo et semblant prendre plaisir à nous jeter dans des polémiques quasi perpétuelles.
Mon amitié avec Liliane me permit de ne pas céder à toutes les attaques d’Haïti Inter et surtout de Jando lui-même (Jean Dominique) qui a toujours voulu c’est le moins qu’on puisse dire, avoir le monopole de l’écoute.
Son slogan : ‘L’écoute intelligente’.
Je redoutais aussi que le gouvernement de Baby Doc ne profite de nos querelles … bien entendu.
Je rigolais de nous-mêmes. Et avec Liliane chaque fois qu’on se rencontrait sur le terrain.
C’était certainement la plus grande époque de la presse haïtienne comme il n’y en aura probablement jamais. Parce qu’on marchait sur des œufs. Pas une erreur n’était permise sur la véracité de l’information. Les espions du colonel Jean Valmé, chef de la SD (police politique), étaient partout. Jusqu’à la porte même de la radio, devant mon domicile à la ruelle Roy, eh oui, surveillant nos moindres faits et gestes … C’était : ‘mon ange gardien’.
Il était donc important de pouvoir se partager les informations pour éviter toute erreur et c’est ce que je faisais avec Liliane, avec le consentement de Filo. Mais ne vous trompez pas, Jean Dominique m’appelait aussi dès qu’on avait l’impression que ça tournait mal avec le pouvoir.
On savait que cela tournerait mal, un jour ou l’autre mais le boulot était si passionnant … Surtout ne pas se prendre la tête, pas jouer les héros ; on joue à cache-cache avec la police macoute, surtout après l’assassinat de Gasner Raymond du Petit Samedi Soir, en 1976, le seul organe de la presse écrite semblant exister à l’époque, notre Gasner étouffé de ses propres mains par un certain Lionel Willy dit Ti-Je ; Dany Laferrière dut choisir l’exil, Pierre Clitandre et Jean Robert Hérard un instant le maquis etc. …
Le 28 novembre 1980 n’est pas loin.
Les premiers embarqués ce fut l’équipe d’Haïti Inter. Liliane, Filo, Richard Brisson, Michèle Montas et co. Jean Dominique avait soudainement disparu.
Liliane a-t-elle été torturée ? En tout cas elle partagea la même cellule qu’Elsie Ethéart pendant deux nuits, et selon celle-ci ce n’est pas le genre à se laisser faire.
Le seul problème est que l’équipe d’Haïti Inter n’avait pas de visa pour les Etats-Unis, contrairement à nous-mêmes et aux confrères du Petit Samedi Soir Pierre Clitandre et Jean Robert Hérard. Aussi furent-ils malheureusement contraints de rester en prison pendant plusieurs semaines avant d’aboutir au Venezuela puis au Canada.
Et là aussi finissait mon aventure professionnelle avec Liliane Pierre-Paul. Dès lors naissait aussi la grande star que notre amie allait devenir et qui est pleurée aujourd’hui par toute une nation.
Elle le mérite. Mais elle part bien sûr trop tôt. C’est le cas de dire comme le poète, ‘un seul être vous manque et tout est dépeuplé.’
C’est ainsi que notre pays semble vivre cette disparition.
Si au moins le même pays pouvait décider de réaliser le rêve de notre chère disparue : une Haïti meilleure !
‘Li Fè 4 è’, c’est plus que l’heure !
Marcus Garcia, Mélodie FM, 1er Août 2023