Jovenel est déjà un demi-dieu …
MEYER, 10 Mai – Selon la tradition haïtienne de toujours sanctifier les disparus pour ne pas dire : les absents ont toujours raison (!), on commence à créer une nouvelle image du défunt président Jovenel Moïse, assassiné dans sa résidence le 7 juillet 2021 sans (exceptionnellement) rien ni personne pour lui porter secours. Mort seul dans sa peau. Et pourtant voici que c’est une image de ‘papa bon cœur’ qui de plus en plus se dessine à son sujet.
Nous sommes à Jacmel, chef-lieu du Sud-est où le président Jovenel Moïse avait tant de mécontentement contre lui qu’il avait dû faire atterrir son hélicoptère dans le lit de la rivière pour ne pas encourir de difficultés au moment de son départ.
Pourtant aujourd’hui on se souvient que sous son administration un nouveau système d’adduction d’eau potable à domicile, y compris dans les faubourgs nouvellement construits (Meyer etc), était créé qui, justement, ne fonctionne déjà plus … afin que bien entendu les distributeurs privés par camion puissent recommencer à avoir le monopole.
Idem pour l’électricité.
Tandis que pour raison salariale, la voirie est absente et les rues souvent transformées en poubelles.
Etc.
Jovenel Moïse est donc déjà passé à l’Histoire … avec un grand H.
Il en est ainsi en Haïti. Des présidents de la république comme de n’importe qui. Vivant vous faites de l’ombre. Décédé, ouf !
Mais seuls les présidents qui ont ce privilège d’avoir accès immédiatement à l’Olympe.

Chez nous les absents ont toujours … raison. Mais vous aurez l’obligeance de mourir d’abord, n’est-ce pas ! …

Interrogeant dans son exil new-yorkais l’ex-président général Paul Eugène Magloire et le tombeur du président Dumarsais Estimé, il nous présenta ce dernier comme s’il avait été sur le point de devenir un Papa Doc avant la lettre … lorsque l’armée décida de le renverser.
Outre que le futur dictateur à vie, François Duvalier, était déjà un membre éminent du gouvernement Estimé.
Cependant aujourd’hui le président Estimé est porté plus qu’aux nues mais au panthéon vodou (‘Papa Gede bèl gason’) siégeant aux côtés du fondateur de la nation, Jean-Jacques Dessalines qui fut lui aussi assassiné, avant d’être déifié.
Tandis qu’aujourd’hui même le terrible Papa Doc, assassin de plusieurs milliers que comme Néron aux fauves dans les jeux de cirque, il a livré à ses monstres de Fort Dimanche-Fort La Mort, même Duvalier père qui prend de nouvelles couleurs avec l’actualité des gangs armés qui kidnappent et tuent et ont plongé le pays dans un cauchemar total.
Ah, entend-on partout, vivement Papa Doc !
Eh bien oui, chez nous les absents ont toujours … raison. Mais vous aurez l’obligeance de mourir d’abord, n’est-ce pas !
Voire sans personne pour voler à votre secours comme le président Jovenel Moïse. La trahison suprême.
Dès lors aussi vous êtes digne d’un héros de Shakespeare.


Digne des plus profondes interrogations du genre : Qui t’a fait roi ?
Tout de suite des doigts accusateurs se tendent vers ces derniers. Jovenel s’est-il rebellé contre ceux-là, qui en réaction auraient ourdi l’attentat de la nuit du 6 au 7 juillet 2021 ?
Cependant la grande tragédie n’est jamais à une interprétation près. Comme par exemple encore celle-ci : ‘La suffisance comme l’orgueil va au-devant de la destruction et l’esprit supérieur n’est jamais loin de la chute.’


Tout-à-fait le président Jovenel Moïse qui ne finissait pas de lancer des défis publiquement à ses adversaires : ‘vous ne pouvez pas me renverser, ni m’exiler vous ne pouvez rien contre moi.’
Pourquoi agissait-il ainsi ?
Or si aujourd’hui le même personnage est au bord de la déification mais on ne doit pas oublier qu’il avait manœuvré pour avoir quasiment déjà tous les pouvoirs entre ses mains, ayant fermé le parlement et réduit le sénat au tiers restant donc sans réel pouvoir, cela sans avoir organisé ni les législatives, ni les municipales pour confier les postes correspondants à des membres de sa clique …
Qu’eut pensé le président-général Paul Magloire qui renversa le président Estimé sur un simple soupçon que celui-ci aurait pu tenter de manipuler les termes de son mandat présidentiel !
Les temps ont donc bien changé.


De plus est-on à cent pour cent certain que le président Jovenel Moïse aurait accepté d’organiser des présidentielles pour partir le 7 février 2022 – d’un côté luttant contre des adversaires qui fixaient ce terme une année plus tôt (7 février 2021), mais de l’autre côté semblant multiplier les obstacles pour rendre ce départ chaque jour encore plus problématique : projet de nouvelle constitution etc.
Puis, puis soudain, tombant de nulle part puisque nous en sommes à la grande tragédie, place à l’événement inattendu, la fatalité, le deus ex machina des Grecs : c’est l’assassinat du président dans sa résidence même, la nuit du 6 au 7 juillet 2021.
Comme dit Macbeth : ‘éteins-toi petite flamme !’
Il est seul à mourir. Pas moins de 12 balles. Vengeance à l’antique. Néron livré à ses propres lions, murmure l’ennemi : celui-ci le fameux ‘oligarque corrompu’ dont le président assassiné avait fait son juron préféré ; ennemi presqu’invisible à force d’être dénoncé mais jamais identifié !
Mais aujourd’hui, comme si l’Histoire allait plus vite à l’heure des réseaux sociaux, que ce soit chez notre coiffeur à Miami, ou au resto à Jacmel on découvre un tout autre Jovenel Moïse que ce qu’en disait l’actualité politique jusqu’au 7 février 2021.
Mais le problème avec l’Olympe c’est qu’il y a toujours beaucoup d’appelés comme la ligne a commencé déjà à s’allonger quasi indéfiniment, mais peu d’élus.
Voire quand il faut commencer par les Douze Travaux d’Hercule. Ben oui, vaincre d’abord les gangs armés qui tiennent le pays en otage.
L’assassinat du président a ouvert ce que ses contradictions mêmes servaient à nous cacher : l’enfer total.
Aujourd’hui l’enfer ce n’est pas les autres mais c’est l’impossibilité déjà de regagner votre propre maison.
Et pour certains, jusqu’à son pays même !

Marcus Garcia, Haïti en Marche, 10 Mai 2022