Trois petites notes de musique et tout change !
MIAMI, 30 Septembre – On pense à la chanson de Montand (Yves) : ‘Trois petites notes de musique ont plié boutique au fond du souvenir …’.
Qu’est-ce qui fait qu’une musique est éternelle ?
Apparemment donc ce n’est ni la célébrité même indéniable de son interprète (on pense à un Louis Armstrong pour le jazz ou Maria Callas à l’opéra), ni une question d’époque quoiqu’on ait pu vibrer pour le pop ou s’éclater avec le rock …
C’est rien que ‘trois petites notes de musique’ mais qui ne prennent pas d’âge. On pense à cette citation de je ne me rappelle plus qui : La culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié.
Pareil pour la musique. Très peu savent en effet quelque chose des interprètes qu’on va avoir ce soir-là.
Cependant comme chaque dernier vendredi du mois c’est foule au concert de North Miami : Jazz at MOCA ; la plazza est bondée comme d’habitude mais ce soir avec un public lui aussi très spécial.
A l’affiche du jazz cubain ou Afro Cuban Jazz. Pepito Montes & Mr. Conjunto. Un xylophone, une flûte, une trompette, un tambour et un tambourin … et le tour est joué.
Les compositions s’enchainent. On les connait toutes. Oui, toujours les mêmes. Guantanamera. Mon ami crie ‘Manicero, Manicero !’ On les a entendus mille fois. Et pourtant la magie opère.
Un premier couple s’élance. Deux petits vieux. C’est pas vrai ! Puis un second. Puis encore, encore. Et ça danse comme de vrais pros.
Ce n’est pas un concert comme chaque dernier vendredi du mois mais aujourd’hui … un vrai bal populaire.
Les noms de villes cubaines et d’autres lieux symboliques de là-bas s’enchainent … Or nous sommes, je vous rappelle, à Miami, le quartier général de l’opposition anticastriste. Mais Cuba … forever.


Evidemment ce n’est pas de Cuba en soi qu’il s’agit. Mais de musique. De la musique avant toute chose. Détachée de tout le reste. La guerre en Ukraine. Les prochaines présidentielles américaines qui s’annoncent comme devant être pires que tout ce qu’on a pu dire d’aucun pays sous-développé. Même les gangs en Haïti. D’ailleurs nous sommes dans la ville portuaire, Miami Florida, d’où partent librement les armes et les munitions qui sèment partout la mort dans nos pays.
Mais ce vendredi soir et serait-ce seulement pour une heure … voici à présent des couples plus jeunes qui envahissent aussi la piste, entrainés par la performance de leurs ainés déjà d’un certain âge et même d’un âge certain.
Jazz at MOCA, le rendez-vous du dernier vendredi du mois, à la plazza de North Miami, a pour but de consacrer voire populariser ce que nous avons d’impérissable dans le domaine musical : musique classique, moderne ou jazz ou autre, salsa c’est sans préjugés et sans complexe, laissez tous vos présupposés à la maison et venez rêver, inventer vous-mêmes car sans le savoir ‘yes you can’.
Première leçon : le grand art, celui qui traverse les âges n’est d’aucun temps et en même temps de tous les temps. Immortel peut-être mais attention vous n’êtes pas à l’Académie ici. Pas de mots savants : ‘Guantanamera, guajira guantanamera’ la même rengaine … mais une succession d’improvisations qui vous transportent on ne peut plus on ne sait plus, bref jusqu’à l’infini.
‘Trois petites notes de musique’ et l’on recrée le monde. Et l’homme en a besoin. Pour continuer à mériter ce nom !
Mais petite indiscrétion : est-ce que Cuba sera lui aussi un jour désincarné tout comme personne ne pense à Vienne en écoutant la valse jouée par quelque pianiste anonyme pour attirer la clientèle dans un grand magasin de luxe.
Mais que disons-nous, c’est notre Haïti qui de toute évidence court d’abord ce risque de … disparition, désincarnation, désintégration. Collapse. ‘Se fue’ !
Tandis que les ‘viejos’ d’hier et aussi de demain, si l’on en juge par leur entrain ce vendredi soir, continueront de répondre au rendez-vous des Pepito Montes & Mr. Conjunto et de quantités d’autres talents de la même veine.
La communauté haïtienne de Miami a lui aussi ses rendez-vous où l’on se bouscule. Cependant qu’un grand talent haïtien-américain se produise au Jazz at MOCA, les nôtres sont peu nombreux ou rares.
Comme le guitariste classique Jean Chardavoine (‘Chardavoine and The Evolution’) qui nous gratifia d’une soirée également inoubliable il n’y a pas longtemps.
Donc il y a du travail à faire de ce côté.
Pensez cependant qu’il y a quelques décennies, Miami n’était qu’une lointaine province. Le même spectacle se passait plutôt à Cuba même, La Havane ou Santiago.
Ou en Haïti, bien sûr, dans les années 1950. Du temps de la Célébration du Bicentenaire de la Ville de Port-au-Prince, c’est chez nous qu’était le grand rendez-vous.
Katherine Dunham, Alvin Ailey, Nat King Cole, Celia Cruz, Lucho Gatica, Harry Belafonte, Maria Callas, les plus grands succès de Broadway faisaient leur répétition générale oui à Port-au-Prince tandis que tous applaudissaient aussi les performances de nos Lumane Casimir, Ti Roro, Joe Trouillot, ainsi que du génial danseur professionnel haïtien qui vient de nous laisser, Louines Louinis. Nos respects à la famille.
Aujourd’hui notre musique ‘Rabòday’ peut faire succès plus foule mais reste à savoir s’il en restera quelque chose.
‘Trois petites notes de musique’ à jamais éternelles … sauf que ce n’est ni le pouvoir ni l’argent qui peut le faire. Or c’est surtout en cela qu’on semble croire hélas aujourd’hui chez nous.

 

Marcus Garcia, Haïti en Marche, 30 Septembre 2023