Un certain Luis Abinader !
MIAMI, 5 Juin – Vouloir le beurre et l’argent du beurre, c’est la position qu’occupe en ce moment sur l’échiquier haïtien le chef de l’Etat dominicain Luis Abinader.
Aux dernières nouvelles, la République dominicaine bloque le projet du président haïtien Jovenel Moïse de construire un canal sur la rivière Massacre commune aux deux voisins territoriaux.
Mais pas la moindre protestation dans l’opinion publique haïtienne pour la bonne raison que l’actuel chef de l’Etat est le plus impopulaire que notre pays ait connu depuis des générations.
Selon l’agence nationale de nouvelles VBI (reprenant le journal Listin Diario), le chancelier dominicain Roberto Alvarez a annoncé « la décision de son pays de ne pas participer à la réunion de la commission mixte technique qui devrait avoir lieu la semaine prochaine.
« Nous n’y assisterons pas tant que le gouvernement haïtien n’aura pas fait une déclaration publique concernant l’arrêt des travaux » a déclaré Roberto Alvarez.
En guise de réponse, le premier ministre haïtien a.i. et responsable de la diplomatie nationale, Claude Joseph, aurait indiqué (selon VBI) ‘c’est la première fois qu’Haïti construit un canal au niveau de la Rivière Massacre alors que les Dominicains ont construit de leur côté plusieurs ouvrages du même genre.’
Mais c’est tout.
Luis Abinader ne veut pas s’engager avec un pouvoir dont le sort ne tient qu’à sa seule volonté de puissance mais qui est confronté non seulement à l’ire de sa population mais surtout à sa totale inutilité. Tenez, face à l’épidémie du covid qui fait rage en Haïti et force encore plus d’Haïtiens à se précipiter où … que vers la frontière en quête de secours.

Gardez vos sans logis mais envoyez-moi vos classes moyennes, c’est-à-dire tous ceux qui ont un certain pouvoir d’achat...

Et c’est là que le nouveau chef de l’Etat dominicain tranche par rapport à tous ses prédécesseurs au niveau des rapports avec la république voisine, notre Haïti.


D’un côté il accomplit le vœu des extrémistes dominicains de droite de construire un mur pour délimiter les deux républiques et bouter hors de leur vue ‘La isla al revès’, titre d’un livre de feu le président Joaquin Balaguer pour dire leur horreur devant l’échec d’Haïti et leur volonté de barrer la route à nos masses affamées …
De l’autre côté jamais on n’avait autant ouvert les mêmes frontières aux nôtres. Mais attention, il suffit d’y mettre le prix. Gardez vos sans logis mais envoyez-moi vos classes moyennes, c’est-à-dire tous ceux qui ont un certain pouvoir d’achat.
Et même un pouvoir d’achat certain puisqu’il s’agit des fameux transferts (‘remesas’) en provenance de la diaspora haïtienne, principalement des Etats-Unis et du Canada.
Calcul simple : sous le choc du coronavirus qui a porté un coup quasi fatal au tourisme qui a été ces dernières décennies le fer de lance de l’économie dominicaine, Luis Abinader, un produit du milieu des affaires, ne met pas de gants.
De leur côté, nos compatriotes sont poursuivis par tous les problèmes traversés actuellement par leur pays : un gouvernement inapte dans tous les domaines, à commencer face aux gangs d’assassins et de kidnappeurs qui tiennent la république en otage …
Avec aussi aujourd’hui une remontée brutale du virus (la Covid-19 et ses variants) qui fait chaque jour rouler des têtes dans tous les milieux … alors que la république voisine qui elle-même y fait face depuis deux années, est là aussi mieux équipée.
En conséquence, peu de familles qui n’aient déjà une réservation, au propre ou au figuré, dans le pays voisin.

Abinader a décidé d’avoir aussi l’argent du beurre c’est-à-dire d’attirer le portefeuille haïtien à domicile …

En effet, depuis longtemps, et surtout depuis la chute de la dictature Duvalier (1986) et que la faillite économique a continué à s’élargir en Haïti, avec la quasi-disparition de la production nationale sous toutes ses formes, nous sommes devenus le second marché pour les exportations dominicaines, précédés seulement par les Etats-Unis.
Pays le plus pauvre du continent en termes de PIB, mais qui reçoit en même temps sous forme de transferts de plus en plus de milliards. On parle de plus de 3 milliards de dollars annuellement, malgré la crise économique due au Covid. Une bonne partie de ce pactole atterrit déjà bien sûr dans les poches des producteurs dominicains … qui en échange ne facilitent pas la réciprocité de la part des nôtres, outre que ces derniers sont de moins en moins nombreux.
Et voici le coup de grâce.
Non seulement le beurre, le président Abinader a décidé d’avoir aussi l’argent du beurre. C’est-à-dire d’attirer le portefeuille haïtien à domicile …
De notre côté vous avez tous les emmerdes possibles et imaginables. Avec en tête de liste l’insécurité qui fait craindre pour les enfants ne pouvant aller tranquillement à l’école, dont un grand nombre de parents vivant aux Etats-Unis quand eux-mêmes n’y sont pas nés (de fait plusieurs ont été kidnappés avec demande de rançons en centaines de milliers de dollars).
Et voici cet important pouvoir d’achat émigrant par la force des choses dans un autre pays mais qui a non seulement l’avantage d’être notre voisin et baignant dans le même soleil, cultivant les mêmes fruits (mangues et avocats qui nous sont si chers) mais aussi où tout est moins cher qu’ici, y compris le loyer.
Avec bien entendu les mêmes services élémentaires qui n’opèrent plus dans notre capitale Port-au-Prince : l’électricité et l’eau.

L’homme du moment ne s’appelle pas Biden mais Luis Abinader ...

A écouter parler les nôtres, c’est une planche de salut qu’est soudain devenu un pays voisin que traditionnellement (que historiquement, pardon) nous ne portons pas dans notre cœur, tandis que eux-mêmes, de leur côté, ont toujours été éduqués pour se croire supérieurs et pour cause … En effet vu que n’avions-nous gagné notre indépendance nationale (et ce depuis 1804), eh bien la république voisine probablement n’existerait pas. A chacun sa petite fierté.
Mais voici soudain un chef de l’Etat dominicain qui semble l’avoir bien compris, certainement beaucoup mieux que ceux-là mêmes qui nous dirigent aujourd’hui ou aspirent même à nous diriger …
Alors que tous les regards sont tournés chez nous vers les Etats-Unis de Joe Biden, eh bien l’homme du moment s’appelle Luis Abinader. Et comme on voit dans l’affaire de la rivière Massacre, Jovenel et sa bande sont totalement désarmés.

Marcus Garcia, Haïti en Marche, 5 Juin 2021