Tiens, pourquoi ne pas rouvrir les Magasins de l’Etat ?
MIAMI, 20 Juillet – Face à la hausse vertigineuse des prix à la consommation en Haïti, plus d’un se demande : que fait le gouvernement ?
Les plus âgés remarquent : mais où sont passés les Magasins de l’Etat ?
Ces derniers se souviennent que sous la dictature Duvalier (1957-1986), dès que les prix augmentaient de façon trop brutale, tout de suite le gouvernement passait lui-même commande des produits dits de consommation courante, en particulier le riz et les huiles comestibles, et obtenait ainsi un retour à la normale.
C’est ce que l’on entend par les Magasins de l’Etat, institution publique qui avait en charge cette fonction. Aussi le poste de directeur général des Magasins de l’Etat était très envié.
Car évidemment cela comprenait aussi un certain degré pour ne pas dire un degré certain de corruption.
Première conclusion : la dictature avait peur davantage de la mauvaise humeur populaire que le règne démocratique sous lequel nous sommes supposés vivre aujourd’hui ?
Oui, par certains côtés. Parce que la dictature est censée en partant être une usurpation, voire quand c’est une dictature à vie !
Donc elle est davantage sur ses gardes.
Mais aussi il y a démocratie et démocratie. Et toutes ne sont pas censées être comme celle que nous connaissons aujourd’hui en Haïti, qui rappellerait plutôt une sorte de dictature à visage démocratique.
Ce qui n’avantage que les nouveaux dirigeants puisqu’ils n’ont même pas besoin d’avoir les soucis du dictateur …
En effet, l’escalade en ce moment des prix à la consommation ne semble pas empêcher les détenteurs du pouvoir de dormir sur leurs deux oreilles.
Jean-Claude (Baby Doc) Duvalier en aurait fait une maladie.
Mais comment tout cela est-il arrivé ?
François Duvalier avait compris (sacré bonhomme !) qu’un pouvoir qui n’a pas le contrôle de l’économie, toute l’économie, n’est pas un pouvoir.
Aussi s’empressa-t-il de mettre toute l’infrastructure commerciale sous son contrôle.
C’est la création du Ciment d’Haïti (contrôle de l’industrie de la construction), de la Minoterie (la farine que nous ne produisions pas en Haïti jusque-là et qui nous revenait à très cher), plus tard de l’Electricité d’Haïti, puis de la Teleco (téléphone) etc …
Mais en même temps tout cela doit servir pas seulement à contrôler les prix à la consommation en les empêchant d’être totalement assujettis aux variations du marché international mais cela doit servir aussi à consolider le régime …


Donc permettre aux chefs et aux partisans d’en bénéficier. Et c’est donc la création de ce qu’on appelle les vaches à lait du régime : la Régie du tabac, la Loterie de l’Etat haïtien etc. Ce sont les points forts de la corruption. Seuls y ont droit les serviteurs zélés de la dictature.
Voilà donc le véritable édifice qui a permis au duvaliérisme de tenir près de tente ans au pouvoir.
Ce n’est pas seulement la répression (malgré les près de dix mille morts de Fort Dimanche, la Bastille du régime) mais c’est aussi le contrôle de l’édifice commercialo-économique. Les seuls admis à faire fortune ont été les protégés du régime, nous citons les familles Mevs, Brandt, Dadeski, Bigio etc.
Aussi (car le monde était tout doucement en train quant à lui de changer, contrairement au système de Duvalier qui se considérait à vie, c’est-à-dire éternellement le même) pas étonnant que les Etats-Unis chercheront d’abord à s’attaquer aux vaches à lait.
Pression dès les années 1970 sur le gouvernement de Baby Doc pour privatiser les ‘boites de l’Etat’.
En premier lieu la Régie du Tabac, l’ex-fief de Mr. Siclait, l’un des plus grands barons du régime à vie. C’est la nomination ‘forcée’ d’un parachuté de la Banque mondiale, Marc Bazin, au poste de ministre des finances mais qui n’y fera pas de vieux os, rapidement victime des ‘dinosaures’.
Finalement ce fut l’une des causes, sinon la cause principale, du renversement de la dictature à vie des Duvalier.
Le refus d’ouvrir totalement le pays au nouveau système économique en vogue : le néo-libéralisme ou règne incontesté et sans contrôle du capital.
Ou mieux encore de la ‘marchandise.’
En effet Baby Doc partait pour l’exil que le même jour (7 février 1986) son successeur et chef du gouvernement provisoire, le général Henri Namphy, nommait à la tête des finances publiques, celui que la malice populaire surnomma le ‘Chicago boy’, ou disciple des enseignants mêmes du nouveau système économique, le futur ministre de l’économie puis gouverneur de la Banque centrale, Lesly Delatour.
Tout le reste s’ensuit.
Le premier président élu (librement) de l’après-Duvalier s’appelle Jean-Bertrand Aristide.
Disons-le, très peu averti des réalités économiques internationales.
Washington tenta de lui refiler comme premier ministre, devinez ? Oui, Marc Bazin, le pion de la Banque mondiale, qui avait été comme par hasard son principal concurrent aux mêmes présidentielles de décembre 1990.
Mais Aristide probablement ne comprit pas la manœuvre.
Il fut renversé prestement par les forces armées, à peine 7 mois après son investiture, en septembre 1991.
Puis, fait sans précédent, pour couler un exil doré de trois ans aux Etats-Unis, dans la capitale fédérale américaine elle-même.
Aristide revient au pouvoir à Port-au-Prince trois années plus tard (1994), bien entendu à la grande joie de ses nombreux partisans (il avait été élu avec une participation record : au moins 80 pour cent de l’électorat) …
Mais ce retour triomphal avait son prix : Haïti signa pour abaisser presqu’entièrement ses barrières douanières (les Accords de Paris), ouvrant totalement la voie aux importations de produits de base, y compris ceux jusqu’ici produits de manière quasi satisfaisante au pays même, principalement le riz (s’ensuit la quasi disparition des fameuses rizières de l’Artibonite sous la direction de l’ODVA - Office de Développement de la Vallée de l’Artibonite, une fierté du régime Duvalier).
Pour arriver au point où nous en sommes. Haïti important jusqu’aux produits les plus ordinaires.
Les chiffres parlent. Pour trois milliards de dollars d’importations seulement de notre voisine, la République dominicaine, nous arrivons difficilement à vendre à celle-ci pour quelques centaines de millions.
En même temps que nous perdons par la contrebande à la frontière commune, pour près de 600 millions de dollars (statistiques officielles).
Pas étonnant qu’aujourd’hui la monnaie locale (la gourde) vaut moins des trois quarts de sa valeur au moment du renversement de la dictature Duvalier (1986).
Et que les prix à la consommation s’en ressentent bien évidemment de cette descente en enfer.
Faut-il regretter la dictature ?
Non bien évidemment.
Mais c’est comment nous avons été floués.
La dictature nous a fait payer assez cher sa protection trompeuse pour ne pas avoir envie de revenir en arrière, mais la question c’est que s’est-il passé ?
Eh bien il s’est passé que nos nouveaux dirigeants se sont faits rouler dans la farine c’est le cas de dire, pour paraphraser cette réplique dans un ancien film : ‘je suis dans le pétrin, mais un pétrin qui ne pétrit plus !’
Il se trouve que la fameuse ouverture au libre jeu des forces économiques qu’on nous disait inséparable de la démocratie et qui devait non seulement nous faire bénéficier du meilleur qui se produit dans le monde et au meilleur prix grâce à la concurrence et être aussi créatrice d’emplois pour notre population jeune et de plus en plus poussée vers la ville, partant délaissant le travail de la terre, y compris les fameuses rizières de l’Artibonite, eh bien ce beau programme a été pris en otage par une poignée de nouveaux compradores, c’est-à-dire des agents du nouveau système économique international entièrement sujets à la machine d’importation exclusivement, tuant toute concurrence sur le marché national en établissant un régime de monopole, donc décourageant en même temps la production locale mais pour finir tenant l’Etat pieds et poings liés par ses engagements contractés envers les institutions internationales.
Mais pourquoi l’Etat ne remet-il pas en question un tel statut ?
That is the question.
Puisque les conditions qui ont présidé aux Accords de Paris ne sont pas remplies, tout au contraire, pourquoi ne le dénonçons-nous pas ?
Est-ce que le président américain Donald Trump ne remet pas en question nombre d‘accords qui avaient été ratifiés par les Etats-Unis, nous donnant ainsi l’exemple ?
Puisque nous ne bénéficions d’aucun des bénéfices du libre marché, ni des prix avantageux, ni de la création d’emplois mais tout au contraire …
Et pour finir que les grandes institutions internationales devant lesquelles nous avons signé, aujourd’hui nous refusent leur assistance, alors l’Etat ne devrait pas hésiter à (disons et de manière symbolique) rouvrir les Magasin de l’Etat …
Sauf qu’on ne ferait que compliquer davantage la situation parce que la corruption aujourd’hui risque d’être pire encore que sous la dictature Duvalier.
Donc le pouvoir en place, qui bénéficie du système en vigueur, agirait contre lui-même. Faut pas s’y attendre.
Conclusion : on a encore du boulot !
Mais cela demande réflexion et stratégie. Pas uniquement du ‘kraze brize.’
Ni de l’esbroufe. Oui, beaucoup de bruit pour rien. Comme c’est actuellement la tendance.

Haïti en Marche, 20 Juillet 2019