MIAMI, 22 Février – En Haïti qu’est-ce que la justice ? Réponse : c’est faire justice à soi-même. Si ce n’est en actes mais d’abord en pensée. Et si on est la presse ou autre organisme influent : eh bien tout simplement en ridiculisant l’institution judiciaire.
Voilà à quoi on assiste en ce moment dans le dossier de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021.
Après une attente de deux années sort le rapport du juge d’instruction (Me. Walther Wesser Voltaire) prononçant une quarantaine d’inculpations, dont la moitié constituée de mercenaires colombiens engagés pour le crime.
Quant aux inculpés côté haïtien ils sont également une vingtaine et en majorité des proches collaborateurs de la victime au palais présidentiel, y compris son épouse, Martine Moïse.
On relève aussi de nombreux officiels dont des responsables de la sécurité personnelle du chef de l’Etat … ainsi que le premier ministre de l’époque, M. Claude Joseph. Etc.
Cependant la publication du dossier d’inculpation soulève un grand tapage : certains ne seraient pas satisfaits parce que n’y trouvant pas des noms qu’on attendait, en un mot ses propres cibles, ceux-là que soi-même l’on n’aime pas etc.
Après l’assassinat du 58e chef de l’Etat d’Haïti des noms avaient été lancés un peu partout, des soupçons sans aucune preuve à ce stade et renvoyant automatiquement à des gens qui avaient eu maille à partir avec la victime, principalement dans le monde politique et celui des affaires. Or presqu’aucun de ces derniers ne figure apparemment dans l’acte d’inculpation.
Mais comme toujours aujourd’hui en Haïti : ‘vox populi vox dei’, cela ne s’arrête pas là. La contestation gagne les ondes et la grande presse si elle n’est pas le fait même de ces dernières. Le juge Voltaire est brûlé en effigie, on trouve mille prétextes pour démontrer que son rapport ne vaut rien.
Belle conception de la justice. Surtout quand ce sont les institutions mêmes chargées de la défendre et la protéger, qui la mettent en pièces. Comme la presse et certaines organisations dites de défense des droits humains.
D’autre part la loi partout place aussi des institutions pour gérer ce genre de contestations sans que cela ne mette en péril la justice elle-même, comme on y assiste en ce moment chez nous.
En Haïti comme ailleurs la justice comprend plusieurs degrés ou étapes. Au moins trois : le tribunal de première instance (civile ou criminelle), la Cour d’appel et la Cour de cassation. Que l’on sache, ça au moins n’a pas encore disparu chez nous.


Or au lieu d’encourager la population à utiliser la loi – en effet nul ne peut empêcher le citoyen quel qu’il soit à porter ses protestations voire s’il a des preuves sérieuses par devant le tribunal – voici au contraire que ce sont des voix autorisées qui poussent au désordre …
Au moins (contrairement à l’anarchie qui caractérise déjà le monde politique en lui-même) nous sommes ici dans un domaine régi par une certaine logique et une logique certaine … Cependant voici que c’est chez ceux-là mêmes sur lesquels on devrait compter que surgit le scandale.
Ce n’est même pas œil pour œil dent pour dent, mais c’est qui je n’aime pas, au poteau sans discussion !
C’est la loi ‘tonton macoute’ par excellence, c’est-à-dire celui qui, pour le moment, est le plus fort. Celui qui tire le premier !
Permettez qu’on revienne à ce jugement en Floride d’un jeune homme qui avait tué froidement 17 petits camarades.
Nicolas Cruz, 19 ans, revient armé dans son ancien lycée (Marjory Stoneman Douglas), à Parkland, et de sang-froid il abat 17 élèves.
Quatre années plus tard, en 2022, Nicolas Cruz est condamné à la prison à vie sans possibilité de remise de peine. Cependant les parents des enfants qu’il a assassinés sans raison, ne l’entendent pas de cette oreille et exigent la peine capitale.
D’autant que la Floride fait partie des Etats qui reconnaissent la peine de mort.
L’affaire va devant la Cour d’appel de Floride, celle-ci maintient l’emprisonnement à vie, cela au vu de certaines circonstances atténuantes relevées dans la vie même du condamné (Nicolas Cruz est une adoption) ainsi que la trop grande facilité pour des quasi-mineurs à se procurer des armes de tout calibre … Décision maintenue malgré les protestations énergiques par maintes associations de parents.
Mais en Haïti comment cela se serait-il passé ?
Eh bien, la foule aurait envahi la salle d’audience et lynché l’assassin ainsi que le juge !
Les mêmes censés demander justice sont ceux-là encore qui veulent imposer leur propre conception de la justice. Malgré que chez nous comme ailleurs, la loi fournisse les voies et moyens pour fixer les vraies responsabilités.
Il suffit de se battre pour la vraie cause. Et non pour ses propres intérêts.
Ou alors attendre que la réponse nous vienne … d’un tribunal aux Etats-Unis ?
Elle n’a d’ailleurs pas attendu. L’avocat américain de Martine Moïse, la veuve du président inculpée aussi dans l’ordonnance du juge, écrit que sa cliente ne viendra pas en Haïti. Elle accepte d’être interrogée. Mais aux Etats-Unis.
On est vraiment tombé très bas dans notre considération de notre pays. Jamais aussi bas jusqu’ici.

Marcus Garcia, Haïti en Marche, 22 Février 2024