Ce n'est pas seulement la gourde qui disparaît

PORT-AU-PRINCE, 7 Juillet – Jusqu'où peut aller la chute de la gourde ? La monnaie haïtienne est engagée dans une chute infernale et que rien ne semble pouvoir arrêter.
En un mois, près de 10 points perdus. On tremblait quand le taux était de 45 gourdes pour 1 dollar. A ce moment-là, la banque centrale haïtienne avait crû bon d'intervenir pour calmer l'opinion.
Aujourd'hui le taux caracole allégrement au-dessus de 54 gourdes, mais no comment !
C'est peut-être que le grand public n'a jamais rien compris à ce proverbe haïtien pourtant bien connu : 'mezi lajan ou, mezi wanga ou.'
Selon la valeur de l'argent que tu as en main, dépend aussi la valeur de tout ce que tu possèdes.
Le dollar à 54 gourdes, cela veut dire que le biscuit que tu tiens en main n'est plus qu'une moitié de biscuit. Même pas la moitié. Et qu'il diminue chaque jour un peu plus. Cela veut dire que la famine, ou du moins l'insécurité alimentaire, augmente d'autant.
Normal, plus la gourde dégringole, plus ton biscuit devient plus petit. A moins que tu acceptes de payer 2 fois plus cher le même biscuit. Donc ceux qui ne le peuvent pas, n'auront pas de biscuit tout simplement.
Et encore, nous parlons de ceux qui ont de quoi se payer un biscuit. Or on sait que ce n'est pas le cas pour une grande partie de la population.
D'autre part, il est évident que le pouvoir en place n'a pas (n'a plus) les moyens de venir en aide.
Notre cas est grave !
On rapporte qu'en Allemagne, avant la Seconde Guerre mondiale, la monnaie allemande, le Mark, avait tellement perdu de sa valeur, comme aujourd'hui de plus en plus aussi notre gourde, que l'Allemand qui allait au marché, devait utiliser une brouette pour transporter toute sa montagne de papier monnaie, alors que ce qu'il rapportait à la maison ne remplissait un tout petit sachet.


Hitler est arrivé au pouvoir en promettant au peuple allemand qu'il pourra manger un biscuit et demi.
Car, oui, 'mezi lajan ou, mezi wanga ou', si tout ce que vous possédez est en gourdes, eh bien c'est tout cela qui avant longtemps ne vaut plus rien, ou pas grand chose.
C'est le cas de dire : notre gourde fond comme beurre au soleil. Et tout le reste avec.
Dans d'autres pays, dès qu'une telle situation se produit, les gens s'empressent de transformer tout ce qu'ils possèdent dans une autre monnaie ou une autre valeur plus stable.
Probablement c'est le cas en ce moment en Grèce, pays traversé par une grave crise économique et financière.
Contrairement à chez nous, oui nous ne sommes pas en crise ici. Pardon, la crise chez nous est une seconde nature. La décote de la gourde est une simple manifestation d'une crise plus profonde, et plus ancienne : un pays qui ne produit rien - qui ne produit rien que sa misère.
Oui, nous disions que partout ailleurs quand la monnaie nationale perd de sa valeur jusqu'à ne valoir presque plus rien, autrefois, disons jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, on achetait de l'or en pièces ou en lingots. Ou bien des objets de valeur, par exemple des bijoux ou des tableaux de maître, bref tout ce qui est moins susceptible d'être touché par ce genre d'érosion, de disparition annoncée d'une monnaie. Disparition de tout un système. D'une certaine idée d'un pays par lui-même.
En Haïti, il y a fort à parier que si la tendance continue, ceux qui le peuvent s'empresseront de transformer leurs gourdes en dollars verts.
On dit qu'un petit groupe se réjouit, ceux qui reçoivent des transferts de l'étranger, et qui obtiennent au change beaucoup plus de gourdes aujourd'hui pour leurs dollars.
Ce que ceux-là ignorent c'est que leur plaisir risque d'être de courte durée, vu le même proverbe 'mezi lajan ou, se mezi wanga ou.'
Oui, parce que c'est tout ce que nous possédons en Haïti qui perd de la valeur puisque nos possessions sont indexées sur la gourde comme valeur symbolique.
Si aujourd'hui j'achète une propriété en gourdes, je la paie moins cher en principe. Mais si je vends aussi une propriété, je la vends moins cher.
Car tout est dans tout, la chute de la gourde est aussi une manifestation d'autre chose d'encore plus important. C'est la preuve de la disparition aussi de toute une économie nationale. Pour ne pas dire, de tout un pays.
Par conséquent on est plus susceptible de trouver des gens pour vendre ce qu'ils ont (serait-ce pour foutre le camp loin d'ici) tandis que ceux qui achètent se frottent les mains, parce que profitant de la situation pour payer tout moins cher. Une aubaine. Et ces acheteurs ne sont pas forcément tous des nationaux.
Voici donc normalement, mathématiquement, ce qui nous attend au bout de cette course effrénée de la disparition de la monnaie nationale car au-delà de plus de 50 gourdes pour un dollar c'est déjà le désastre annoncé – sauf si c'était une dévaluation contrôlée, de manière à provoquer un effet multiplicateur calculé, comme une augmentation des exportations d'un pays lorsque sa monnaie est moins lourde par rapport à celle de pays concurrents, mais comme Haïti ne produit rien mais importe tout, nous n'avons donc rien de positif à tirer de cette chute de la gourde que la disparition en même temps de tout ce que représente cette monnaie en termes de valeur.
A la limite, c'est une certaine Haïti qui est en train rapidement de disparaître.
C'est l'inconnue totale !

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince