Jovenel Moïse règle ses comptes à ses ennemis intimes
MEYER (S.E.), 15 Décembre – Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage mais ne sut pas ménager son retour au bercail.
Bonne prestation au sommet de Paris ('One Planet, Summit' ou Nous sommes une même Planète), le mardi 12 décembre 2017, par un chef de l'Etat haïtien qui n'est pas bureaucrate pour un sou, mais qui passe au contraire tout son temps, depuis son investiture il y a 10 mois, à parcourir notre pays en long et en large, dont le seul programme politique a pour nom : la 'Caravane du changement', et pour qui par conséquent les vocables de menaces environnementales, économie de l'eau et énergies renouvelables ne sont pas étrangers.
Le président Jovenel Moïse a donc su plaider la cause des petits Etats de la Caraïbe exposés annuellement à la menace des catastrophes naturelles (ouragans, sécheresse etc) au sommet sur le climat convoqué par le président français Emmanuel Macron à l'adresse cette fois des petites nations appelées à bénéficier d'un certain 'Fonds vert' par le truchement duquel les pays développés qui sont davantage responsables du changement climatique via leur plus forte consommation en carbone, leur apporteraient un appui financier pour aider à faire face aux dégâts enregistrés désormais pratiquement chaque année.
Le président haïtien assurera l'an prochain la présidence tournante de la Caricom ou Communauté des Etats de la Caraïbe.
Ceci dit, Jovenel Moïse a cependant, comme on dit, pété les plombs dès lors qu'il s'est agi de s'adresser à ses concitoyens lors d'une rencontre organisée avec la communauté haïtienne en France.
Reprenant le style qui l'a aidé à remporter la présidentielle (novembre 2016), consistant à se mettre à la hauteur de l'homme de la rue, le voici qui confesse avoir joué des pieds et des mains pour empêcher la publication officielle du rapport sur l'utilisation des Fonds Petrocaribe.
Il s'agit de quelque 3 milliards de dollars américains mis à la disposition de l'Etat haïtien sur les revenus de la vente en Haïti du pétrole fourni par le gouvernement ami du Venezuela.
Un rapport réalisé par une commission de l'actuel Sénat montre qu'une importante partie de ce pactole a été ou mal utilisée ou détournée par des hauts fonctionnaires sous les administrations précédentes, dont deux premiers ministres et de nombreux ministres et directeurs généraux cités nommément.
Le président Jovenel Moïse n'est supposé avoir aucun rapport avec des faits qui ont eu lieu avant son arrivée au pouvoir.


Mais le président laisse entendre que le rapport en question est une machination politique, et qu'il est visé lui aussi.
Sa candidature, il est vrai, a été présentée par le même parti politique au pouvoir (hier comme aujourd'hui), le Parti Haïtien Tèt Kale, créé sous l'administration du président Michel Martelly avec pour premier ministre Laurent Lamothe, administration la plus critiquée aussi dans le rapport.
Cette 'confession' de l'actuel chef de l'Etat haïtien a été fort applaudie par de nombreux admirateurs se trouvant (probablement à dessein) à cette rencontre à Paris avec la communauté haïtienne.


Mais Jovenel Moïse n'est plus simple candidat, aujourd'hui il est le Chef de l'Etat et donc soumis par la Constitution sur laquelle il a prêté serment, à des obligations spéciales, bien au-dessus de sa simple personne !
Aussi le président n'est-il pas allé trop loin en 'avouant' qu'il a œuvré à saboter la rencontre du 30 novembre où l'assemblée sénatoriale devait décider de la position à adopter face au rapport sur les fonds Petrocaribe ?
Voire quand il dit l'avoir fait parce que se sentant visé lui aussi dans ce rapport.
En droit américain, cela s'appelle 'obstruction of justice.'
Ou empêcher à la justice de suivre son cours.
Et toujours en législation américaine, le président américain n'a même pas besoin de commettre cet acte, mais le seul fait par lui d'y penser, voire de l'évoquer en public ... est un motif suffisant pour le déclenchement de la procédure de destitution ('impeachment').
Demandez au président Donald Trump dont c'est actuellement le plus grand cauchemar.
Mais ce n'est pas tout. Ce jour-là (mardi 12 décembre 2017), le président Jovenel Moïse était réellement en veine de confidences.
C'est ainsi qu'il s'est mis à dos tout le Pouvoir Judiciaire haïtien en déclarant avoir été forcé de reconduire une 'cinquantaine de juges' sans avoir eu le temps d'analyser leurs dossiers alors que nombre d'entre eux sont soupçonnés d'avoir trempé dans la corruption ?
Mais, a poursuivi le président, il n'a pas pu résister au chantage quand après les greffiers, tous les juges sont entrés également en grève.
Ce sont là encore des révélations on ne peut plus graves.
Surtout quand, ne se retenant plus, mais aussi ivre du succès remporté dans son auditoire par des déclarations aussi peu ordinaires, Jovenel Moïse n'hésite pas à présenter la justice haïtienne comme le corps le plus pourri de notre société. (Dixit) 'Les innocents sont persécutés tandis que les criminels circulent librement'.
Dans le public, c'est le délire. Mais comment un président peut-il avouer avoir nommé des juges dont il sait que ce sont des ripoux (anagramme de pourris) ?
Alors que, en vertu de la Constitution en vigueur, le président de la République est le premier garant de la haute valeur morale des institutions qui nous régissent !
C'est le moins qu'on puisse dire : le président Jovenel Moïse a bien besoin de relire la Constitution sur laquelle il a prêté serment.
Même si le reste, comme on dit, c'est de la politique. Et en Haïti, ça vaut ce que ça vaut.

Haïti en Marche, 15 décembre 2017