Port-au-Prince - Jacmel ou entre fiasco et espoir d’un renouveau

JACMEL, 11 Février – Aucune comparaison entre le carnaval de Jacmel (chef lieu du Sud Est) et celui de Port-au-Prince, la capitale.
Pour répéter un dicton populaire chez nous : c’est le jour et la nuit.
Jacmel c’est l’invention, l’originalité, le bonheur dans la création et le renouveau.
Port-au-Prince c’est le sommet du toc, c’est-à-dire entre le superficiel et la vulgarité, et surtout du gaspillage.
A Jacmel, la majorité des masques, pure invention d’artistes locaux, inspirés autant des traditions culturelles et artistiques régionales que de techniques nouvelles comme le papier mâché, le design et les matériaux de récupération, oui les masques sont de plus portés surtout par des enfants, donc faisant intervenir une grande part de jeu et de spontanéité mais en même temps garantissant que la tradition est passée aux générations futures, et que ce carnaval unique en son genre ne disparaitra pas.
Comme le fut justement celui de la capitale Port-au-Prince, qui jusque dans les années 60 et 70 était le plus grand rendez-vous culturel et touristique de la Caraïbe.

 

Mémoire des sociétés secrètes africaines reconverties en Marronage …
Comment oublier le défilé coloré et pimpant de toutes les civilisations, réelles ou imaginaires, qui se sont succédées sur cette terre depuis des millénaires : Indiens, Morts vivants, Nègres marrons, Echasses (‘Bwa pi wo’), ‘Rabòday’ ou mémoire des sociétés secrètes africaines converties en Marronage qui a constitué le ferment de la lutte pour l’indépendance nationale, tout comme les ‘Gason ma kòmè’ ou travestis du groupe Titato du Bel Air (à notre façon, c’est-à-dire par le truchement de l’humour, nous n’avons pas attendu que le mariage Gay nous soit imposé comme condition d’obtention de l’aide internationale).
Cela marchait si bien que, à court de ressources budgétaires (comme le serait l’actuelle administration de Jovenel Moïse-Jack Guy Lafontant), le président François ‘Papa Doc’ Duvalier n’hésita pas à créer une réplique annuelle sous le nom de ‘carnaval des Fleurs’ (afin de prolonger la saison touristique dont Port-au-Prince était redevenue un carrefour dans la Caraïbe comme elle l’avait été dans les années 1950 avec la réalisation du Bicentenaire de la Ville de Port-au-Prince).


Mais vint la débâcle politico-économique, commencée depuis le règne de fiston Duvalier (Baby Doc – 1971-1986) forçant les Haïtiens à commencer à laisser le pays en masse pour d’autres cieux.

Un étalage de plus en plus bas de plaisir carnassier …
L’une des conséquences de cette émigration massive est que Port-au-Prince devint dès lors un simple lieu de transit et perdit assez rapidement toute identité culturelle propre.
Jusqu’à ce que pour retrouver un peu de ce temps-là, il vous faudrait voyager à New York où la communauté haïtienne a tenté de le récréer (festival LABAPEK).
Ou à Miami, pour la fête du drapeau haïtien le 18 Mai (Compas festival).
Mais cela ne va bien sûr pas plus loin que la simple nostalgie.
Tandis que le carnaval de Port-au-Prince est devenu un corps sans âme, un étalage de plus en plus bas de plaisir carnassier (débauche sexuelle … d’abord les mots puis les gestes et pour finir l’acte lui-même !).
A part la parenthèse ‘Racines’ (c’est-à-dire inspirée de la musique originelle locale, le Vodou) mais qui sera de bien courte durée, face à la tendance générale.
C’est fatal. Comme Jacmel le prouve, on ne peut avoir un carnaval de valeur, et surtout capable de renouveler la performance touristique des décennies 1950, puis 1970, sans qu’il soit le reflet d’une identité propre au milieu qui lui donne naissance.
Le carnaval de Port-au-Prince est tout à fait le reflet d’une capitale qui n’a rien à offrir désormais que sa laideur, non pas tant à cause de la destruction laissée par le séisme de janvier 2010, que de l’absence de tout attachement de la part de la majorité de sa population qui ne fait que passer, ou qui pense ainsi, et la traite comme, oui c’est le mot, ‘shithole’, ou du moins comme une poubelle, évident.

‘Carnaval fiasco national’ …
Le thème ‘Ayiti sou wout chanjman’ devrait être plutôt ‘carnaval fiasco national’, au sens que c’est nous tous qui sommes concernés.
Et partant carnaval procession de tous nos péchés capitaux : insuffisances dans l’esprit et dans la lettre et suffisance de la part des puissants du moment (pour ne citer aucun nom), gaspillage et corruption.
Des chapiteaux élevés à coups de millions mais pour être démantelés le jour suivant alors que les mêmes structures auraient pu servir pour des expositions et autres activités publiques et possiblement lucratives.
Un ‘Sambadrome’ (lieu de parcours du carnaval de Rio) mais où on ne voit pas un seul touriste, même pas local (ce dernier a bien sûr choisi plutôt d’être à Jacmel).

Quand le pouvoir se démasque …
Or au moment où l’on s’y attend le moins, coup de théâtre, voici le pouvoir qui se démasque.
Dans une querelle avec la municipalité de Jacmel qui a décidé d’interdire l’accès au défilé carnavalesque de la ville au groupe de l’ex-président Michel Martelly, dit ‘Sweet Micky’, considéré comme un pur produit de cette dérive dans laquelle s’est enfoncée la capitale, l’administration centrale a choisi de boycotter le carnaval de Jacmel en n’y prenant cette année aucune participation directe.
Conclusion : on voit dans quel camp se situe le pouvoir (avec ou sans Jovenel Moïse) et surtout son rôle dans la persistance … du fiasco.

Haïti en Marche, 11 Février 2018