Et pourtant la bataille se gagnera aussi avec les Etats-Unis ...
PORT-AU-PRINCE, 4 Octobre – A la veille de son hospitalisation pour un problème cardiaque, le candidat à l’investiture Démocrate pour la présidentielle américaine de 2020, Bernie Sanders, 78 ans, a dénoncé les violations des droits humains devant les tirs à balles réelles exécutées dans certains cas par la police haïtienne contre les manifestants, y compris le cas du sénateur (Ralph Féthière), un membre du parti au pouvoir, qui, en face d’une foule, n’hésite pas à faire feu de son arme blessant 2 personnes, dont un photographe de l’agence Associated Press.
Puis jeudi (3 octobre) c’est la présidente de la Chambre des Représentants, aujourd’hui à majorité Démocrate, Nancy Pelosi qui rencontre la communauté haïtienne au Centre Communautaire Gérard Jean Juste à Miami (Floride) pour entendre les points de vue au sujet de la crise politique qui fait rage en Haïti depuis plusieurs mois et qui a pris une tournure plus inquiétante depuis plus de trois semaines avec des manifestations de protestation quasi quotidiennes à la capitale Port-au-Prince et dans d’autres villes du pays, appelant à la démission du président de la République Jovenel Moïse et réprimées brutalement par les forces de police nationale.
A Port-au-Prince, après une série de rencontres à l’actif de ce qu’on appelle le Core Group (ensemble des chefs diplomatiques des pays les plus importants représentés en Haïti dont les Etats-Unis, le Canada, la France et les membres occidentaux de l’Union européenne ainsi que des ambassadeurs sud-américains et surtout deux entités internationales qui sont l’ONU et l’Organisation des Etats Américains - OEA), il apparaît que le principal sinon le seul soutien à l’heure actuelle du président haïtien c’est essentiellement Washington.
Traduisez l’administration Trump. Soutien à la fois en moyens pour la Police nationale, en lobbying à l’intérieur comme à l’extérieur.
La raison ? Secret de Polichinelle : le président Jovenel Moïse a décidé de renoncer à l’abstention qui a été la position adoptée par Haïti depuis plusieurs années à chaque vote devant l’OEA sur la crise politique au Venezuela dont un groupe de pays de la région avec les Etats-Unis en tête veut renverser le président dit socialiste, Nicolas Maduro.
Le Venezuela est pour Haïti un ami de longue date. Cela depuis la libération de cette grande portion de l’Amérique latine par Simon Bolivar et grâce entre autres à l’aide des premiers dirigeants de l’Etat nouvellement né sous le nom de République d’Haïti (1er janvier 1804).
D’autre part, en 2008, Caracas a ouvert sa production pétrolière, entre autres, à Haïti, nous épargnant les raretés de carburant qui avaient toujours été un grave problème pour notre pays, le plus pauvre du continent, avec de plus un prêt à long terme sur les revenus du pétrole vendu sous le nom de Accord Petrocaribe.
Or non seulement notre président actuel a tourné brutalement le dos à un pays qui nous a aidé autant, mais il aurait trempé lui aussi dans la dilapidation du fonds Petrocaribe (plus de 3 milliards dépensés à l’aveuglette dans des projets soit inachevés, soit n’ayant jamais vu le jour).
En effet selon un rapport (et même deux coup sur coup) de l’institution officielle de contrôle des dépenses opérées sur le trésor Public (la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif), le futur candidat Jovenel Moïse a reçu deux paiements identiques, à travers deux entreprises lui appartenant, pour un même projet de revêtement routier dans le Nord-est du pays etc.
C’est d’ailleurs l’une des revendications des foules qui descendent depuis plusieurs semaines dans les rues du pays exigeant la démission d’un président qui pactise avec le pillage du bien public et le jugement de tous les dilapidateurs aussi bien du secteur public que privé.
CORE GROUP : ultimatum ! …
Cependant après s’être contentés de mesures pour assurer la protection personnelle de leurs membres et de leurs locaux, voici que, face à la montée apparemment irrésistible de la vague revendicative, les membres du Core Group décident de se mettre eux aussi de la partie.
Depuis deux semaines a commencé une série de rencontres avec des leaders de l’opposition au pouvoir en place. Plutôt les plus modérés d’entre eux.
Mais tout de suite éclatent les divergences.
Les ambassadeurs étrangers n’ont qu’un mot à la bouche : il faut négocier avec le président Jovenel Moïse.
Au motif qu’il a été élu pour cinq ans. Mais personne n’est dupe. Surtout qu’il apparaît tout de suite, d’après les propos échangés, que la démarche émane en droite ligne de l’administration Trump via bien sûr son actuel ambassadeur en Haïti, Mme Michele Sison.
Selon certains des invités, le ton semble avoir parfois tourné au chantage avec les politiques haïtiens accusés de manipuler l’opinion ou même de payer pour aller manifester contre le chef de l’Etat.
En tout cas, on dirait que plus qu’une suggestion c’est un ordre formel, un ultimatum, que les représentants de la Maison blanche ont été priés de communiquer aux secteurs d’opposition haïtiens : Jovenel Moïse ne bougera pas. Point final ! Le plus que vous pouvez obtenir c’est de négocier avec lui pour un partage du gouvernement. Ce que le Core Group appelle de ses vœux depuis plusieurs mois : un ‘gouvernement d’inclusion.’
Trop peu, trop tard ! …
Comme ça le problème serait résolu et tout le monde content ?
Sauf le peuple qui est dans la rue pour crier sa misère et pour lequel ce genre de deal du style ‘scratch my back’ ou gratte moi le dos je te gratte le tien, ne fait aucun changement.
On n’est plus en ce temps-là. L’horloge de Mr Trump est très en retard au chapitre Haïti.
De plus le peuple est dans la rue depuis trop longtemps et de manière si résolue qu’aucun politicien même le plus hypocrite, ne prendrait le risque de céder à la requête de l’administration Trump.
Trop peu, trop tard !
Le mouvement de mobilisation au lieu de ralentir, rebondit dès le lendemain vendredi 4 octobre. Et ne fait pas mine de retomber.
Au contraire, les forces de police nationale commencent à s’essouffler.
On parle de quelque 14.000 policiers pour une population de plus de 10 millions. Fait inhabituel, des sous-commissariats ont été attaqués et dévalisés ou incendiés. Et dans certains cas les agents ont dû se replier.
D’autre part le fait qu’aucune note officielle n’ait été publiée par le Core Group autour des démarches en cours, comme c’est habituellement le cas, laisse l’impression que les ambassadeurs étrangers ne sont pas tout à fait d’accord entre eux.
Cependant Washington ne semble pas devoir renoncer à sa proposition. Pardon, son ordre formel. C’est ou avec Jovenel Moïse à la présidence, ou rien du tout !
Haïti approuve l’intervention militaire au Venezuela …
Sur ces entrefaites voici qu’on apprend par la voix de diplomates de la Caricom (Communauté des Etats de la Caraïbe), dont Haïti est membre, que le ministre des affaires étrangères haïtien, dépêché à New York par le président haïtien pour le représenter à la récente Assemblée générale des Nations Unies, le chancelier Bocchit Edmond, a signé aux côtés d’autres pays membres de l’OEA qui adhèrent à la lutte pour le renversement de l’actuel régime vénézuélien, avec en tête les Etats-Unis, un certain traité intitulé TIAR (Traité interaméricain d’assistance réciproque) qui autorise une intervention militaire dans un pays du continent. Le Venezuela en l’occurrence.
Les autres nations de la Caricom regrettent que Haïti ait signé pour la réactivation du TIAR, alors qu’aucun représentant de la communauté caraïbe n’a été invité parce que aucun qui accepterait de le faire.
Selon le principe des vases communicants …
Cependant un autre fait important est en train de se produire et qui peut avoir un grand rôle dans le dénouement de la crise qui à partir de maintenant commence à produire elle-même ce qu’on appelle des effets pervers, à commencer par une aggravation de la crise humanitaire toujours rampante dans un pays aussi pauvre, oui c’est le débordement de la situation chez l’un de ses acteurs principaux .... (selon le principe des vases communicants).
En effet les rencontres organisées par le Core Group et le ressentiment que leur côté ultimatum soulève dans la nation haïtienne, toujours d’une sensibilité à fleur de peau dans ce genre de circonstances (ô Dessalines !), ont pour conséquence soudaine de faire monter la crise dans une autre dimension et grâce à l’entrée en scène de la Diaspora (près de deux millions de compatriotes vivant en terre étrangère) de provoquer une plus grande médiatisation de la crise politique haïtienne avec des articles et éditoriaux dans les grands quotidiens américains et canadiens (New York Times, Washington Post, The Miami Herald, Le Devoir etc), on annonce aussi l’arrivée des chaînes CNN, ABC, des quotidiens français sont également de la partie etc.
C’est là une étape cruciale et qui seule peut faire reculer l’administration américaine dans sa volonté acharnée d’utiliser Haïti comme instrument diplomatico-stratégique pour régler ses comptes avec le président Nicolas Maduro du Venezuela.
Etat à souveraineté limitée …
Nous avons mentionné plus haut l’entrée aussi de la crise haïtienne dans les démarches des candidats (majeurs) à l’investiture Démocrate pour la présidentielle de 2020, ce sont les déclarations de Bernie Sanders dénonçant l’usage excessif de la force contre les manifestants et rappelant que la liberté de rassemblement et la liberté d’expression sont reconnues par la Constitution puisque nous sommes en Haïti censés vivre aujourd’hui dans un Etat démocratique mais que l’administration Trump semblerait vouloir utiliser comme une sorte de condominium ou Etat à souveraineté limitée.
Et c’est la visite d’information de la présidente de la Chambre des représentants, à majorité Démocrate, Mme Nancy Pelosi, le jeudi écoulé, auprès de la communauté haïtienne de Miami pour mieux s’enquérir de l’état des faits en Haïti mais par la bouche des citoyens eux mêmes.
Peut-être faut-il rappeler aux stratèges de l’opposition haïtienne que toutes les guerres qui ont marqué notre temps, y compris celles où les Etats-Unis ont été l’agresseur, comme la Guerre du Vietnam tout comme le passage de l’Afrique du Sud du régime d’apartheid à la démocratie, y compris la sortie de prison de Nelson Mandela, toutes ces batailles ont eu également pour cadre les Etats-Unis mêmes.
Toutes ces batailles ont été gagnées parce qu’on a su aussi conscientiser le peuple américain lui-même de l’injustice commise, y compris par son propre gouvernement.
C’est la particularité des Etats-Unis d’Amérique de constituer ce qu’on appelle ‘a free market of ideas’ ou le pays où la raison peut triompher contre le mal fait à autrui pourvu que la cause soit bien défendue, voire quand on peut prouver à l’opinion américaine que c’est en son propre nom.
Mais c’est à l’opposition haïtienne de s’élever aussi à ce niveau. Et de ne pas laisser le terrain entièrement libre aux Bocchit Edmond !
Outre que les Démocrates ne sont pas d’humeur en ce moment à faire des cadeaux à Donald Trump.
Marcus-Haïti en Marche, 4 Octobre 2019