Tout sauf Démocratique !
PORT-AU-PRINCE, 17 Janvier – L’international ne saurait apporter son support à un pouvoir dont la légitimité n’est pas définitivement établie, comme l’est actuellement celui d’Haïti.
Ou alors pas ouvertement. Pas comme jusqu’ici.
Bien sûr ce dernier (le pouvoir) prétendra le contraire. Le Parlement a été déclaré ‘caduc’ par le chef de l’Etat. Plus exactement toute la Chambre des députés et les 2 tiers du Sénat (le tiers restant n’a pas de pouvoir décisionnel). Mais nous sommes devant une décision plus ’fait accompli’ que constitutionnelle, étant donné que la non tenue des élections est également imputable au pouvoir en place.
Comme écrit un commentateur, Jean Claude Roy : ‘nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.’
De leur côté, les parlementaires qui protestent, n’ont pas d’arguments absolument convaincants ni définitifs. Ils auraient dû insister pour la tenue des élections en temps opportun (en automne dernier). C’est donc que cette situation les arrangeait.
‘Konstitisyon se papye, bayonèt se fè’ …
En tout cas voici ce que tous ou presque redoutaient : le président Jovenel Moïse est en position de réclamer le régime du gouvernement par décrets reconnu par la Constitution en vigueur
… Jusqu’à la tenue des élections pour une nouvelle Législature. Mais allez savoir quand ?
Aussi, et vu les appétits féroces de l’équipe au pouvoir, déjà soupçonné dans de nombreux scandales (dont la dilapidation des 3 milliards du fonds Petrocaribe de l’aide vénézuélienne à Haïti, entre 2011 et 2016), la communauté internationale peut-elle apporter son support à un tel pouvoir qui, sans avoir officiellement encore annoncé les couleurs, a manœuvré ouvertement (par la non-organisation des élections entre autres) pour se retrouver en position d’application du régime des pleins pouvoirs ?
Or dans toute leur correspondance avec l’Etat haïtien, les gouvernements ainsi que les organisations internationales se placent dans un même cadre politique et juridique, dans une seule et même logique : renforcement de la Démocratie.
Et non celle d’un pouvoir de ‘fait accompli.’ Une sorte de version édulcorée ... du coup d’Etat. Ou mieux encore dans la bonne ligne haïtienne de nos présidents généraux et même analphabètes d’autrefois : ‘Konstitisyon se papye, bayonèt se fè.’
De plus il ne s’agit pas de savoir qui a tort, qui a raison. Du président Jovenel Moïse ou des sénateurs en vacances forcées, le pays n’est pas une simple table de ‘jwèt zo’. De poker. De poker menteur.
Il ne reste plus rien du pays réel …
Quant à l’opposition, elle s’est apparemment fourvoyée en n’ayant pas bien mesuré l’état de ses forces tout en jouant le jusqu’auboutisme, le tout ou rien alors que le temps ne lui appartenait pas.
On commence par une situation proprement révolutionnaire, pour aboutir à un simple mouvement de contestation plus ou moins individualiste.
On déplace près d’un million à travers le pays lors des premières manifestations des Petrochallengers en février 2019, pour aboutir au coup de tête d’un militant peut-être simplement en mal de paraitre.
Mais pour les uns comme pour les autres, dans un cas ou dans un autre, et d’abord pour la grande masse : il reste le pays réel.
Ou plutôt il ne reste plus rien du pays réel. Fini. Caput.
Ne reste donc que le pouvoir - la présidence tout comme les sénateurs hier encore complices pour garder le pays en otage puis qui, toujours pour des raisons ne relevant que de leurs seuls intérêts, se retrouvent à couteaux tirés … qui sait le temps de rebattre à nouveau les cartes et seulement entre eux, et en face l’opposition qui par des décisions mal calculées, en ayant fait un mauvais calcul de ses forces, notamment en regard du temps, de la durée, n’en est pas moins responsable de la dégradation totale de la situation économique et sécuritaire …
Il n’y a pas une loi qui veut qu’on ait toujours raison parce qu’on est l’opposition, sinon que de guerres et de malheurs auraient été évités.
Core Group et Co. …
Toutefois, on n’a pas encore mentionné le seul acteur qui puisse être considéré comme l’élément qui a véritablement brouillé le jeu …
Et c’est la communauté internationale.
Qu’on l’appelle Core Group, Washington, Union européenne, OEA, ONU ou autre, la communauté internationale est entrée dans la mêlée comme en pays connu, si ce n’est en pays conquis.
Déclarant avant toute chose, son support incontournable pour le président Jovenel Moïse, sous le sacro-saint prétexte que c’est le président élu et qu’il l’a été démocratiquement et doit donc aller jusqu’au bout de son mandat de 5 ans, comme le veut la Constitution haïtienne en vigueur.
‘Ayiti se tè glise’ …
Evidemment sans nous dire, sans dévoiler quel est son véritable mobile ?
Cependant, ‘Ayiti se tè glise’, pour peu à peu commencer à découvrir elle aussi (la communauté internationale) les dessous de table (scandales de corruption, massacres commandés et commandités etc) …
Bref nous voici peu à peu nous éloignant de la belle photo de famille, soit comme invités au ranch du président Trump à Mar-el-Lago, Florida ; soit aux cocktails anniversaire sur invitation des grandes ambassades, mais c’est plutôt tout d’un coup les rapports diplomatiques officiels avec pour seuls sujets la litanie quotidienne des gangs qui pullulent comme des maringouins, des kidnappings et meurtres commis en plein jour, n’épargnant pas les étrangers et forçant les mêmes ambassades à dénoncer par devant leur ministère de tutelle que leurs représentants sont obligés de vivre enfermés à double tour, cela dans le même pays dont cependant ils doivent continuer de dire tant de bien, sur le plan politique et gouvernemental !
Oui comme si rien n’a changé, dans la même approche et le même esprit. Toujours sous le chapitre : renforcement de la Démocratie.
Bref, du charabia.
Cependant après le coup de force du président Jovenel Moïse pour s’emparer du régime de gouvernement par décrets, et tant qu’une correction n’y aura pas été apportée (essentiellement de nouvelles élections mais quand ? Et dans des conditions réellement démocratiques, peut-on l’espérer dans l’état actuel des choses ?), on défie l’international de continuer à placer ses relations, pardon son support unilatéral au pouvoir en place en Haïti, sous le signe sacro-saint de la Démocratie.
Il faut appeler un chat un chat et un coup de force, même sorti des firmes de lobbying de Washington, un coup de force ...
Même maquillé en coup de poker. Histoire de voir jusqu’où on peut aller avec les Haïtiens.
Jusqu’où aussi, attention, on peut aller trop loin !
Marcus-Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince